Espagne D’une "démocratie" royale héritée du franquisme à une 3ème république

vendredi 6 juin 2014.
 

La suspension 
du juge Baltasar Garzon révèle les visions antagoniques mémorielles de l’Espagne. Pour le secrétaire général du Parti communiste d’Espagne (PCE), José Luis Centella,
le débat se structure sur le terrain politique avec la construction de la IIIe République.

Le juge Baltasar Garzon a été suspendu de ses fonctions pour avoir voulu ouvrir une instruction contre des crimes franquistes, et ce sur plainte de groupuscules d’extrême droite. Comment interprétez-vous ce déni de justice  ?

José LuisCentella. Nous nous trouvons face à un moment très important de l’histoire de notre pays. Je le qualifierais de contradictoire. En effet, nous assistons à un début de consolidation d’un mouvement républicain, un mouvement qui regarde vers la IIIe République, et le débat sur notre passé se normalise enfin. 
C’est à cet instant précis qu’apparaît un mouvement réactionnaire pour le freiner. Tandis que le juge Garzon cherche à prendre la tête d’une 
dynamique aussi normale qu’humaine – faire la vérité et la justice quant aux crimes commis durant quarante ans par la dictature –, 
les contradictions de la transition 
resurgissent. Une droite décomplexée, héritière du franquisme, cherche à intimider quiconque ose toucher 
au système. Elle nie le droit aux communistes, et plus généralement 
aux gens de gauche, de poser les débats 
qui étreignent notre pays. Un citoyen européen a du mal à comprendre cette situation, et c’est normal. Près de 150 000 antifranquistes gisent encore sur les bas-côtés de nos routes et nous ne pouvons pas les déterrer  ? Pendant ce temps, le dictateur repose dans un énorme monument – le Valle de los Caidos. C’est cette contradiction qui sort aujourd’hui à la lumière.

Le juge Garzon enquêtait également sur ce scandale d’État qu’est la corruption politique. Croyez-vous que les deux affaires soient liées  ?

José Luis Centella. Bien sûr. Le juge Garzon a eu le courage de mettre à jour le cas Gürtel, un réseau de corruption qui implique directement le Parti populaire (droite). Cela a entraîné toutes sortes de déchaînements politico-médiatiques. Car cette affaire de corruption intervient dans un contexte de grave crise sociale et économique avec plus de 4,5millions de chômeurs.

Justement, dans ce contexte de crise, comment le débat sur la IIIe République se structure-t-il  ?

José LuisCentella. Lors de la transition, il n’y a eu ni débat ni vote des Espagnols pour décider du régime sous lequel ils souhaitaient vivre. Le choix entre démocratie ou franquisme s’est soldé par une démocratie héritière du franquisme, à savoir la monarchie de Juan Carlos Ier. Cet état de fait est en train d’être dépassé. La jeune génération n’a pas vécu la transition et le débat sur la République. L’actuel travail de récupération de la mémoire est un mouvement de justice historique mais avec une vision d’avenir. C’est pour cela que nous parlons de IIIe République. Car, il s’agit de récupérer la dignité d’un peuple, mais en regardant vers le futur. Ces cinq dernières années, l’idée de république comme modèle politique n’a cessé de progresser. Selon les enquêtes, elle atteint même les 40 % chez les jeunes. L’option républicaine dans une Espagne fédérative est un enjeu d’identité politique. Pour nous, il n’y a pas d’autre voie pour résoudre les problèmes du pays.

Vous évoquez le travail de « récupération de la mémoire » Ce dernier est sujet à nombre d’interprétations controversées…

José LuisCentella. On ne peut pas com-parer les victimes aux bourreaux et pourtant, ces derniers sont mieux considérés. Des monuments leur rendent hommage tandis que les victimes, elles, restent invisibles. Or, un peuple sans mémoire est condamné à stagner. Cette année, nous célébrons le centenaire de la naissance de Miguel Hernandez. Poète communiste, il est mort dans les prisons du franquisme parce qu’il a refusé de signer un document qui exigeait de lui de s’excuser d’être communiste. Il a été nommé citoyen d’honneur d’Alicante, ville qui compte un monument à la gloire de Franco. Autre contradiction, sa condamnation à mort, qui a été par la suite commuée en perpétuité, est toujours en vigueur puisque son jugement n’a pas été officiellement annulé. Il est l’un des plus grands poètes espagnols du XXe siècle, et l’on souhaite effacer son identité politique de communiste. C’est un exemple, parmi d’autres, des récupérations malhonnêtes de l’histoire à l’œuvre.

Pour en revenir à la IIIe République, quels axes de travail vous fixez-vous  ?

José LuisCentella. Le premier est d’exiger une publication claire et transparente des comptes de la maison royale. L’État dégage chaque année une ligne budgétaire de 9 millions d’euros. Il est inadmissible qu’en temps de crise, une famille perçoive une telle somme sans avoir de comptes à rendre. Nous avons réalisé une campagne exigeant du Congrès des députés qu’il débatte publiquement de cette question. Nous tiendrons par ailleurs à l’automne une conférence en vue de lancer un processus constituant de la République. Car, il nous faut passer aujourd’hui de l’étape de témoignage et de résistance à une alternative républicaine.

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe, juin 2010

« Vérité, Justice, et Réparation »

Plus d’une quinzaine d’associations mémorielles françaises organisent, dimanche 6juin, à la Jonquera, en Espagne, un rassemblement de soutien au juge Baltasar Garzon. « Le choix du lieu est symbolique puisqu’il s’agit du chemin de l’exil, la retirada, de près d’un demi d’Espagnols en 1939 », rappelle Eloi Martinez, président de l’Association pour le souvenir de l’exil républicain espagnol en France. L’initiative est à ses yeux d’autant 
« plus inédite que ce sont des associations françaises qui se mobilisent en Espagne pour que l’affaire Garzon ne tombe pas aux oubliettes ». 
Les instigateurs en appellent au respect et à l’application du droit international. Rendez-vous à 11 heures, plaza Mayor.


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