De quoi parle-t-on quand on dit : Le marché ?

jeudi 29 juillet 2010.
 

L’économiste et blogueur Paul Jorion réféléchit à haute voix sur la notion de marché financier, et rappelle au passage que ce terme désigne en réalité des investisseurs en chair et en os.

Les marchés ont existé longtemps avant qu’on ne parle de Le marché, ce qu’on veut dire par lui c’est, dans l’optique de la « science » économique, un mécanisme efficace (« efficient »), qui résulte de la mise en commun des décisions « rationnelles » d’une multitude d’agents humains. C’est cette rationalité qui ferait que le marché aurait la capacité de découvrir le prix vrai.

Une conséquence immédiate de cette conception, c’est que les prix « découverts » par Le marché étant toujours vrais, les prix spéculatifs sont eux nécessairement absents des marchés. Et les prix spéculatifs étant absents des marchés, la spéculation automatiquement aussi. De même, comme il n’y a pas de prix spéculatifs sur les marchés, les bulles ne peuvent pas s’y produire, et un prix de marché – aussi extravagant soit-il – est toujours un prix vrai. D’où l’insistance de Mr. Greenspan à affirmer (jusqu’en octobre 2008), qu’il n’y avait pas de bulle dans l’immobilier résidentiel américain, mais plus simplement un changement dans les fondamentaux de la construction américaine (Cf. La crise du capitalisme américain [2007 ; 2009] : pages 217-220).

Remarque 1 : L’homme est-il rationnel ? Je rappelais l’autre jour que j’ai eu l’occasion de montrer dans une simulation qu’un marché boursier ne reste relativement stable que dans un seul cas : quand à peu près la moitié des intervenants pense que le prix est à la hausse et qu’il faut acheter, et l’autre moitié, qu’il est à la baisse et qu’il convient de vendre. Dès qu’on s’écarte significativement du 50/50, le marché s’emballe à la hausse, ou à la baisse (krach). On n’obtient donc un prix relativement stable que si la moitié des intervenants se trompent quant à l’évolution future du prix. Que veut dire « rationnel » si le système ne fonctionne correctement que quand il y a constamment une moitié des intervenants qui se trompe sur son évolution ?

Remarque 2 : Le marché est-il constitué d’êtres humains ? On nous dit que sur les marchés boursiers, 60 % des décisions sont maintenant prises par des robots suivant les instructions d’un algorithme. Eux aussi doivent respecter la condition qu’en permanence la moitié d’entre eux prennent des décisions erronées : quand ils ont tous raison en même temps, comme le 6 mai à New York, ils prennent apparemment la décision (rationnelle ?) de supprimer le marché en alignant tous les prix sur zéro.

Remarque 3 : Ceci dit, quand on entend ces jours-ci dans une phrase l’expression : Le marché ou Les marchés, le contexte fait immédiatement comprendre que sa signification est très prarticulière : il s’agit d’un simple euphémisme utilisé pour parler des spéculateurs. Au lieu de dire « les spéculateurs s’attaquent à l’euro », on dit « le marché exprime son scepticisme vis-à-vis de l’euro » (Cf. Un abominable malentendu ! ).

Ce texte est un article presslib’. Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici :

De quoi parle-t-on quand on dit : Le marché ?

L’économiste et blogueur Paul Jorion réféléchit à haute voix sur la notion de marché financier, et rappelle au passage que ce terme désigne en réalité des investisseurs en chair et en os. Claire Gatinois m’a interrogé tout à l’heure sur le thème : « De quoi parle-t-on quand on dit Le marché ? ». Son article, qui rapportera les opinions des personnes qu’elle a interrogées, paraîtra dans l’édition du Monde publiée demain à Paris en début d’après-midi et datée de samedi. Voici, un peu en vrac, les idées qui me sont venues pendant que je lui parlais, et ensuite. Les marchés ont existé longtemps avant qu’on ne parle de Le marché, ce qu’on veut dire par lui c’est, dans l’optique de la « science » économique, un mécanisme efficace (« efficient »), qui résulte de la mise en commun des décisions « rationnelles » d’une multitude d’agents humains. C’est cette rationalité qui ferait que le marché aurait la capacité de découvrir le prix vrai.

Une conséquence immédiate de cette conception, c’est que les prix « découverts » par Le marché étant toujours vrais, les prix spéculatifs sont eux nécessairement absents des marchés. Et les prix spéculatifs étant absents des marchés, la spéculation automatiquement aussi. De même, comme il n’y a pas de prix spéculatifs sur les marchés, les bulles ne peuvent pas s’y produire, et un prix de marché – aussi extravagant soit-il – est toujours un prix vrai. D’où l’insistance de Mr. Greenspan à affirmer (jusqu’en octobre 2008), qu’il n’y avait pas de bulle dans l’immobilier résidentiel américain, mais plus simplement un changement dans les fondamentaux de la construction américaine (Cf. La crise du capitalisme américain [2007 ; 2009] : pages 217-220).

Remarque 1 : L’homme est-il rationnel ? Je rappelais l’autre jour que j’ai eu l’occasion de montrer dans une simulation qu’un marché boursier ne reste relativement stable que dans un seul cas : quand à peu près la moitié des intervenants pense que le prix est à la hausse et qu’il faut acheter, et l’autre moitié, qu’il est à la baisse et qu’il convient de vendre. Dès qu’on s’écarte significativement du 50/50, le marché s’emballe à la hausse, ou à la baisse (krach). On n’obtient donc un prix relativement stable que si la moitié des intervenants se trompent quant à l’évolution future du prix. Que veut dire « rationnel » si le système ne fonctionne correctement que quand il y a constamment une moitié des intervenants qui se trompe sur son évolution ?

Remarque 2 : Le marché est-il constitué d’êtres humains ? On nous dit que sur les marchés boursiers, 60 % des décisions sont maintenant prises par des robots suivant les instructions d’un algorithme. Eux aussi doivent respecter la condition qu’en permanence la moitié d’entre eux prennent des décisions erronées : quand ils ont tous raison en même temps, comme le 6 mai à New York, ils prennent apparemment la décision (rationnelle ?) de supprimer le marché en alignant tous les prix sur zéro.

Remarque 3 : Ceci dit, quand on entend ces jours-ci dans une phrase l’expression : Le marché ou Les marchés, le contexte fait immédiatement comprendre que sa signification est très prarticulière : il s’agit d’un simple euphémisme utilisé pour parler des spéculateurs. Au lieu de dire « les spéculateurs s’attaquent à l’euro », on dit « le marché exprime son scepticisme vis-à-vis de l’euro » (Cf. Un abominable malentendu ! ).

Ce texte est un article presslib’. Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez.

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