Poèmes : Le travail

samedi 7 janvier 2023.
 

1) Cri perdu

Quelqu’un m’est apparu très loin dans le passé :

C’était un ouvrier des hautes Pyramides,

Adolescent perdu dans ces foules timides

Qu’écrasait le granit pour Chéops entassé.

.

Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé

Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ;

L’effort gonflait son front et le creusait de rides ;

Il cria tout à coup comme un arbre cassé.

.

Ce cri fit frémir l’air, ébranla l’éther sombre,

Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre

Où l’astrologue lit les jeux tristes du sort ;

.

Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice,

Et depuis trois mille ans sous l’énorme bâtisse,

Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.

Sully Prudhomme,

Les Épreuves

2) cet homme…

Des godasses un peu trop grandes

Un chapeau de paille, troué

Il n’en avait que faire :

Sa vie, c’était la terre.

Des mains aussi noires qu’un mineur

Mais tant d’amour dans le cœur

Jamais un mot de travers

Il en voulait, à son père.

Qui était-il ?

Un « Vieux Bonhomme » au regard clair

Un homme qui aimait la terre.

Les années ont passé,

Il a succombé. … « Il n’en avait que faire,

Sa vie, c’était la terre ».

A mon grand-père.

Sandrine Davin

3) Au prolétaire (Guillaume Apollinaire)

Ô captif innocent qui ne sais pas chanter

Écoute en travaillant tandis que tu te tais

Mêlés aux chocs d’outils les bruits élémentaires

Marquent dans la nature un bon travail austère

L’aquilon juste et pur ou la brise de mai

De la mauvaise usine soufflent la fumée

La terre par amour te nourrit les récoltes

Et l’arbre de science où mûrit la révolte

La mer et ses nénies dorlotent tes noyés

Et le feu le vrai feu l’étoile émerveillée

Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite

Enchantant jusqu’au jour les bleuités du site

Où pour le pain quotidien peinent les gars

D’ahans n’ayant qu’un son le grave l’oméga

.

Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles

Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles

Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux

Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux

Des douleurs de demain tes filles sont enceintes

Et laides de travail tes femmes sont des saintes

Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue

Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu

Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs

Et s’en vont tout en joie un soir à la male heure

Or tu sais que c’est toi toi qui fis la beauté

Qui nourris les humains des injustes cités

Et tu songes parfois aux alcôves divines

Quand tu es triste et las le jour au fond des mines

Guillaume Apollinaire

4) Le Laboureur et ses Enfants

Jean de La Fontaine

Travaillez, prenez de la peine :

C’est le fonds qui manque le moins.

Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,

Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.

Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage

Que nous ont laissé nos parents.

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage

Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Oût.

Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place

Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ

Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an

Il en rapporta davantage.

D’argent, point de caché. Mais le père fut sage

De leur montrer avant sa mort

Que le travail est un trésor.

Jean de La Fontaine


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message