« Le Parlement ne se laissera pas toucher par l’éternel sophisme qui, au nom de la liberté, consacre la perpétuité de la misère et destitue de tout droit les travailleurs épuisés par une vie de labeur », s’exclamait Jaurès en 1901. Il était question de bâtir un système de retraites et la droite, parlant au nom du patronat d’alors, exigeait que la charge en incombât « à la société tout entière » et non pas en grande partie aux entreprises. La scène a changé bien entendu, mais la réaction remet le vieil ouvrage sur le métier. Les acquis sociaux comme la retraite à soixante ans font, à ses yeux, figure de privilèges tandis que les immenses avantages des grandes fortunes sont dépeints comme des droits naturels. Le débat au pas de charge du projet de contre-réforme a débuté hier par l’examen au sein de la commission des Affaires sociales. C’est le prélude à la bataille dans l’hémicycle qui débutera le 6 septembre. En attendant, un peu plus de 400 amendements ont été déposés par l’opposition que les députés godillots de l’UMP ont reçu consigne de tout rejeter. Les élus du parti présidentiel se sont même vu intimer l’ordre de retirer les leurs, afin de ne pas contrarier les faibles marges de manœuvre que veut conserver François Fillon. Scène cocasse où des députés renoncent à leur droit le plus essentiel et où un ministre discrédité se fait l’avocat d’un texte que l’opinion rejette ! Les travaux pourraient se borner « à prendre la température », a prévenu Jean-François Copé. Ce n’est plus le parti godillot, c’est le parti charentaises !
Éric Woerth, à qui l’actualité joue bien des tours, s’est borné à prédire que « l’esprit de responsabilité soufflera ». En vertu de quoi les salariés confrontés aux tâches les plus pénibles resteront attelés au labeur qui les détruit, sans merci et au moins jusqu’à soixante-deux ans, Sauf à rompre sous l’épreuve et être diagnostiqués à 20 % d’invalidité. Mais de l’espérance de vie des ouvriers réduite de plus de quinze ans par rapport aux dirigeants d’entreprise, nul de s’émouvra dans les cercles bien élevés qui entourent le toujours ministre du Travail. Ce n’est pas une conversation de champ de courses !
L’été ne reste pas en jachère pour ceux qui refusent cette régression sociale. Dans de multiples lieux, des pétitions sont proposées, les syndicalistes maintiennent des permanences d’action, des débats s’organisent. Les députés communistes et républicains ont établi un contre-projet circonstancié, argumenté et chiffré qui démontre que d’autres voies peuvent être empruntées pour résoudre le problème du financement des régimes de retraite. Sous la plage, les pavés sont briqués pour la rentrée. Ils verront défiler des millions de Français que n’impressionne pas un président raide comme l’injustice. Il répète qu’il n’écoutera pas la rumeur qui monte du pays. Et qu’il décidera contre tous. « Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé », écrivait Victor Hugo, disant du même : « Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, le coffre-fort (…) On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue. » L’écrivain stigmatisait Napoléon le Petit, dont la droite sarkozyste a fait son héros. Qui devrait se rappeler que bien souvent des montures ont mis bas leurs cavaliers. Et que si ce Napoléon-là a bien connu des retraites, elles étaient honteuses.
Patrick Apel-Muller
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