4 août 2019 : les nouveaux privilèges à abolir (4 articles)

mercredi 7 août 2019.
 

Plus de deux siècles après la nuit du 4 août 1789, qui a donné lieu à l’abolition des privilèges féodaux, les inégalités de revenus en France vont crescendo. De Sarkozy à Macron en passant par le plafonnement mis au point par le pouvoir socialiste, les nouveaux privilégiés sont de plus en plus riches, forment de plus en plus une caste.

1) L’argent roi renforce les inégalités sociales

Depuis les années 1990, les montants des hauts revenus s’envolent, tirés par une forte croissance des revenus du patrimoine et de la Bourse, mais aussi par des salaires les plus élevés. Une situation qui renforce les inégalités.

Plus de deux siècles après la nuit du 4 août 1789, qui a donné lieu à l’abolition des privilèges féodaux, les inégalités de revenus en France vont crescendo. Depuis 2003, avec la création de l’Observatoire des inégalités puis des travaux menés par Thomas Piketty ou Camille Landais, les analyses sur le sujet vont toutes dans le même sens  : les inégalités ont littéralement explosé depuis le milieu des années 1990. Un écart qui se réalise par le haut. Ainsi, les très hauts revenus ont progressé beaucoup plus vite que la moyenne entre 1998 et 2005 en France, tandis que les revenus moyen et médian croissent très modestement sur la période, du fait, en particulier, de la forte croissance des revenus du patrimoine mais aussi des salaires les plus élevés. À titre d’exemple, le pouvoir d’achat des dirigeants de société anonyme a augmenté dix fois plus vite que celui de leurs salariés. Soit une hausse de 55% sur la période 1998-2006. D’après les travaux de l’économiste Camille Landais, les revenus des 10 % les plus riches ont augmenté deux fois plus vite que les autres, entraînant le creusement rapide des inégalités en France. La situation des ménages les plus riches se synthétise donc de la façon suivante  : les 5 % les plus riches ont vu leurs revenus déclarés augmenter de 11% depuis 1998, les 1% les plus riches de 19%, les 0,1% de 32% et au sein des 0,01% les plus riches de près de 43%.

Les revenus du patrimoine sont le premier facteur d’inégalité  : puisqu’ils sont « le résultat d’une somme d’inégalités de revenus accumulées dans le temps par plusieurs générations », note l’Observatoire des inégalités. Au cours du XXe siècle, l’inégalité de patrimoine s’est fortement réduite en France, notamment durant les Trente Glorieuses, grâce en particulier au développement de l’accession à la propriété rendue possible par le développement du crédit. Puis, avec la montée très rapide des prix de l’immobilier et celle de la Bourse, depuis 1982 environ, les patrimoines et les revenus ont gonflé et l’inégalité des patrimoines est devenue croissante. Aujourd’hui, les ouvriers non qualifiés possèdent 9 600 euros de patrimoine contre 200 000 euros pour les cadres supérieurs. En haut de la pyramide, la répartition des revenus est sans appel. Alors qu’elles ne représentent que 1% de la population, ces personnes à très haut revenu perçoivent 5,5% des revenus d’activité, 32% des revenus du patrimoine et 48% des revenus exceptionnels déclarés (plus-values, levées d’options), explique l’étude 2010 de l’Insee intitulée « Les revenus et le patrimoine des ménages ».

Clotilde Mathieu

2) D’un 4 août à l’autre

Au lendemain de la nuit du 4 août 1789, Louis XVI, encore roi, écrit  : « Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse. Je ne donnerai pas ma sanction à des décrets qui les dépouilleraient. » Et pourtant, la pression populaire était-elle qu’il dut se plier à la volonté du peuple, ce peuple français qui, depuis le 14 Juillet, a pris le goût de la liberté, de l’égalité et de la fraternité et ne sera jamais si triomphant que lorsqu’il prend conscience de sa propre force. Depuis lors, l’histoire de la France se lit comme la lutte obstinée entre ceux pour qui la République et le progrès social vont de pair, et ceux qui, sans relâche, en nourriront la pire exécration.

Depuis plus d’un mois, le pays commence à renouer comme rarement avec le fil de la conscience des injustices et des privilèges, dont la rupture, éclatante en 2002, a fait le lit du triomphe d’une « droite décomplexée » avec l’avènement de Nicolas Sarkozy cinq ans plus tard. Entendre un Jean-François Copé craindre une « nouvelle nuit du 4 août », alors que des centaines de milliers de salariés descendaient dans la rue un 24 juin, était aussi délicieux, de ce point de vue, que révélateur de l’ordre que défend l’UMP et de la grande peur qui saisit le camp des défenseurs des Bastille de l’argent roi. Alors que juillet 2007 voyait ces derniers jubiler devant l’avalanche de nouveaux privilèges accordés à la fortune, deux ans plus tard, les révélations en boule de neige de « l’affaire Woerth-Bettencourt » ont mis au jour la nature consanguine des noces du pouvoir, de son parti et des grands possédants. Quand, dans le même temps, le premier ministre évoque un nouveau tour de vis de super-austérité, que les profits des banques renflouées par l’argent public s’envolent, et que les seuls « privilèges » auxquels cette bourgeoisie entend s’attaquer, en plein cœur de l’été, c’est le droit des plus vieux de partir en retraite à 60 ans, et donc de libérer des postes de travail pour les plus jeunes, celui des étudiants de se loger ou des parents de handicapés de pouvoir payer le transport de leurs enfants alors, oui, le sentiment d’inégalité criante qui se fait jour peut nourrir l’envie de descendre massivement dans la rue, dès le 7 septembre prochain...

Michel Guilloux

3) Droits sociaux, privilèges : les Français contredisent le gouvernement

Le sondage réalisé par l’institut CSA, à la demande de l’« Humanité Dimanche », et publié cette semaine par le magazine, révèle la force avec laquelle l’opinion publique critique l’état actuel de la société, et l’ampleur de l’aspiration à l’égalité.

Plusieurs enquêtes avaient déjà souligné l’ampleur de l’attachement des Français à leurs acquis sociaux. Celle-ci prend des allures de plébiscite. Le salaire minimum garanti, la protection sociale pour tous, la garantie de l’emploi dans un travail sont en effet considérés comme des « droits » dans des proportions variant de 85% à 94%

Côté privilèges, c’est la Bourse qui fait un tabac : les profits boursiers, les exonérations d’impôts accordées à certains revenus boursiers sont en tête du hit-parade des privilèges, avec les avantages en nature (voiture, domicile de fonction) et le niveau de revenu des grandes vedettes et sportifs.

Interrogé sur ces résultats, le directeur du département des études d’opinion du CSA, Stéphane Rozès, souligne notamment « la très forte aspiration à la préservation égalitaire des acquis et de l’identité du travail, au moment où la société fait de moins en moins appel au travail humain pour créer la richesse ». Il relève également que, contrairement aux années quatre-vingt, les Français « croient moins aux cercles vertueux de l’économie », et « ne considèrent plus les hauts salaires, les profits en Bourse comme le but et le moteur bénéfiques pour tous mais comme des privilèges ».

Le sondage révèle encore d’autres données sur l’état de l’opinion publique : sur le sens de l’évolution des privilèges depuis plusieurs années, l’utilité de leur remise en cause, et ce qui explique que l’on peut être un « privilégié », sur l’attitude à l’égard des mouvements de revendication sociale. Ce qui constitue « l’événement » du magazine fournit ainsi bien des éléments de réflexion sur ce que pense, en ce moment, l’opinion publique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sentiment, ainsi mis à nu, est en complète contradiction avec le discours et les actes du gouvernement actuel.

LIN GUILLOU (article d’archive)

Article original http://www.humanite.fr/

4) Le temps des privilèges décomplexés, de Sarkozy à...

En un modèle de concision – « il règne actuellement une ambiance malsaine de nuit du 4 août » –, Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, en référence à l’abolition des privilèges la nuit du 4 août 1789, avouait d’un même élan qu’il se tient dans le camp des privilégiés, et que ce camp est gagné par une « grande peur ». C’était à l’approche du 24 juin dernier, alors que les salariés défilaient en masse pour lancer la contestation de la réforme des retraites. Et annonçaient, avec le 7 septembre, une rentrée exceptionnellement chaude.

Le double aveu de Jean-François Copé n’a rien d’un accident de discours. Depuis 2007, les hommes du pouvoir annoncent la couleur. Ils ne sont pas seulement « de la droite décomplexée », ils sont sans complexe du côté des riches. C’est même la marque de fabrique du régime sarkozyste depuis l’inauguration du quinquennat au Fouquet’s. Et, depuis, il n’est pas une mesure, une réforme qui ne porte en elle cette visée  : protéger ou rétablir les privilèges des puissants. À commencer par l’instauration du bouclier fiscal qui a permis aux plus riches contribuables de se faire rembourser 700 millions d’euros par l’État en 2009. Exonérations de charges à tour de bras pour les entreprises, suppression de la taxe professionnelle, niches fiscales diverses… La liste est longue des mesures qui dessinent un gouvernement « aux petits soins » pour le capital et les grandes fortunes. À quoi doit s’ajouter l’ensemble des mesures qui ont fait de la crise une aubaine pour les banques et les actionnaires.

Le pouvoir de Sarkozy favorise les privilégiés

Sous Nicolas Sarkozy, le pouvoir est un privilège qui sert à favoriser les privilégiés. Et on l’utilise à foison quand on décide de limiter la publicité sur les chaînes publiques à la seule fin de favoriser les rentrées publicitaires de TF1 pour Bouygues ou quand on libère les jeux d’argent en ligne au bénéfice des Lagardère, Bouygues, Le Lay, Bolloré, Pinault ou Balkany… L’affaire Woerth-Bettencourt révèle ce qu’a d’insupportable cette connivence entre ce pouvoir et les « milieux d’affaires ». Le plus grand des scandales n’est pas ce que la justice révélera ou non d’illégal dans les fraudes fiscales ou les conflits d’intérêts. C’est la « légalité » du reversement par l’État d’un chèque de 30 millions d’euros à Liliane Bettencourt. C’est que les relations entre un ministre influent, sa famille et la plus grande fortune de France soient considérées comme naturelles et allant de soi. C’est le même petit monde des grands.

Jean-François Copé dit craindre une nouvelle nuit du 4août, comme l’ancien premier ministre Dominique de Villepin déclarait le 18avril dernier  : « Oui, il y a une forte colère qui s’exprime dans notre pays, oui il y a un risque révolutionnaire en France. » Qu’ils croient à cette révolution ou qu’ils en agitent l’épouvantail montre que leur règne est une imposture  : celui d’une minorité sur la majorité. Mais une minorité privilégiée qui a, comme aujourd’hui lorsqu’ils lancent leur campagne sécuritaire, la possibilité de faire diversion, de diviser, mais aussi d’imposer des lois de plus en plus répressives. Dans la défense des privilèges, mieux vaut faire preuve de prudence face au peuple, même quand on le méprise. C’est ce que Nicolas Sarkozy conseillait aux députés de sa majorité en décembre 2008  : «  Les Français adorent quand je suis avec Carla dans le carrosse, mais en même temps ils ont guillotiné le roi. C’est un pays régicide. Au nom d’une mesure symbolique, ils peuvent renverser le pays. » Chiche  ?

Olivier Mayer

5) Nouvel indice inquiétant d’Oxfam : la France de Macron en passe d’abandonner la lutte contre les inégalités ?

https://www.marianne.net/economie/n...

L’ONG révèle ce mardi 9 octobre les résultats actualisés de son indice d’Engagement à la réduction des inégalités. Si la France est bien placée en raison de son modèle social, Oxfam s’inquiète de la "nouvelle approche" prônée par le gouvernement, qui pourrait voir notre pays dégringoler au classement.

La France, nation soucieuse du sort des plus modestes en raison de son modèle social fortement redistributif : ce lieu commun est encore plutôt vrai, mais cela risque de ne pas durer, s’inquiète Oxfam dans son dernier rapport. Ce mardi 9 octobre, l’ONG classée à gauche publie la dernière mouture de son indice d’Engagement à la réduction des inégalités (ERI). Cette statistique, utilisée pour la première fois en 2017 et examinée par le Centre commun de recherche de la Commission européenne, vise à "mesurer les actions prises par les Etats en matière de dépenses sociales, de fiscalité et de droit du travail". En clair, il s’agit non pas de constater le degré d’inégalité existant au sein des 157 pays évalués, mais plutôt d’examiner à quel point les politiques mises en place concourent à leur réduction.

Cet indice part d’un constat fort dressé par l’ONG : "Les inégalités n’ont rien d’inéluctable : elles sont le produit des choix politiques des gouvernements". Même dans un environnement international contraint, les Etats disposent toujours de marges de manoeuvre pour réduire le fossé entre les riches et les pauvres. Ils peuvent, pour ce faire, activer trois leviers identifiés par Oxfam : les dépenses sociales "qui financent les services publics comme l’éducation, la santé et la protection sociale" ; la fiscalité progressive, "qui consiste à imposer davantage les entreprises et les individus les plus fortunés, afin de redistribuer les ressources au sein de la société (...)" ; et le volet droit du travail, qui comprend l’existence d’un salaire minimum, la protection des syndicats et des salariés. Le (bon) classement trompeur de la France

Quelles sont les performances de la France ? D’après les données brutes, l’indice ERI de l’Hexagone n’est pas si mauvais : notre pays figure en effet à la 8e place mondiale, sur 157, des pays engagés pour réduire les inégalités. Mais ce classement très honorable cache certaines tendances à l’oeuvre. En effet, "[le] lien entre le classement de l’indice ERI et les niveaux d’inégalité dans un pays donné n’est pas automatique, mais complexe", souligne Oxfam. Ainsi, certains pays affichent de forts niveaux d’inégalité, mais sont très engagés pour les réduire. D’autres ont de faibles niveaux d’inégalité mais seulement "grâce à des politiques suivies par le passé" dont ils "s’éloignent de plus en plus". La France pourrait très bientôt entrer dans ce cadre, car les chiffres collectés par l’ONG pour réaliser son classement, pour les plus récents, datent de 2017 et précèdent les principales mesures entérinées par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir.

Ainsi, dans un paragraphe spécialement consacré à la France, Oxfam note que son bon score est principalement dû à "une longue tradition de services publics solides et de politiques redistributives qui remonte au milieu du XXe siècle"... et qui est de plus en plus "remise en question". Ainsi, en matière de fiscalité, la France n’occupe que la 22e place : la faute au "recours croissant à des impôts régressifs", c’est-à-dire des taxes qui n’augmentent pas avec les revenus des ménages sur lesquels elles sont collectées : l’augmentation de la CSG décidée par Emmanuel Macron s’inscrit dans cette tendance. Quid des impôts progressifs ? Ils sont "considérablement réduits", regrette Oxfam, à l’instar de l’impôt sur les sociétés, déjà passé de 33 à 28%, et qui chutera à 25% dans les années à venir. Quant à la suppression de l’ISF et l’instauration d’une "flat tax" sur les revenus du capital, leurs effets seront ravageurs pour les inégalités, et "risquent de faire chuter la France au classement ERI dans les années à venir", prévient l’ONG, qui note que "le taux d’imposition effectif des 10% les plus riches en France a diminué en 2018 et pour la première fois depuis 1990". Le modèle social français en danger

D’après les analystes d’Oxfam, ce tournant fiscal pro-riches et pro-business témoigne de "la nouvelle approche adoptée par la France en matière d’inégalités, où la politique fiscale n’a plus pour objectif de redistribuer les richesses et financer les services publics mais plutôt d’attirer les investissements". Conséquence de cette foi envers le "ruissellement" : en matière de progressivité fiscale, la France n’est plus classée qu’à… la 82e place, loin derrière les Etats-Unis.

Bonne nouvelle dans ce sombre tableau : la France occupe la 3e place mondiale en matière de dépenses dans les services publics, principalement grâce à "son investissement dans la protection sociale". Mais là encore, Oxfam n’est pas rassuré pour la suite : "La protection sociale universelle et les retraites sont régulièrement remises en cause par les responsables politiques, en dépit du soutien profond à ces dispositifs de la population française", note le think tank. Qui redoute que la baisse des recettes fiscales enclenchée depuis le début du quinquennat Macron ne finisse par se répercuter sur les services publics. Enfin, en matière de droit du travail, la France se classait à la 16e position… avant que les effets de la dernière loi Travail aient pu être mesurés. Autant dire que le pouvoir en place aurait tort de se féliciter du bon classement général de la France. "Même si nous utilisons les données les plus récentes à notre disposition, il peut arriver que des gouvernements soient salués pour des engagements qui reposent sur des politiques ou des approches élaborées par des prédécesseurs, note malicieusement Oxfam. Dans certains cas, les gouvernements en place s’opposent activement à ces politiques et cherchent à les annuler."

Impossible donc de s’en tenir aux données brutes du classement, dominé par le Danemark alors que le pays scandinave libéralise son économie depuis 15 ans ce qui a eu pour effet de faire bondir les inégalités de près de 20%. Exemple probant : la Corée du Sud. Au pays du Matin calme, les plus riches ont progressivement capté une part croissante des richesses ces deux dernières décennies, jusqu’à concentrer 45% du produit intérieur. Mais le président Moon Jae-jin, investi début 2017, mène une politique volontariste en matière d’inégalités, saluée par Oxfam : hausse de 16,4% du salaire minimum, passage de 22 à 25% du taux d’impôt sur les sociétés, augmentation des taxes sur les revenus des Sud-Coréens les plus fortunés, lancement d’un programme d’extension des aides sociales. Voilà donc un pays très inégalitaire, mais engagé pour réduire l’écart entre les riches et les pauvres : le miroir inversé de la France d’Emmanuel Macron, en somme.


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