Tactiques et esprit défensif dans l’histoire du football

vendredi 20 août 2010.
 

Y aura-t-il des buts cette saison  ? On peut en douter au vu du 0-0 du Trophée des champions de jeudi (victoire de Marseille sur le PSG 5-4 aux tirs au but). L’historien Pascal Charroin nous explique pourquoi le foot est si défensif.

Historiquement, les défenses ont-elles toujours prévalu sur les attaques  ?

Pascal Charroin. C’est le cas depuis que le foot est devenu professionnel à la fin du XIXe siècle en Grande-Bretagne, dans les années 1920 et 1930 en Allemagne et en France. Le professionnalisme a eu un impact immédiat sur la qualité des défenseurs. Avant, les meilleurs joueurs évoluaient devant. Après, la qualité de la défense s’est améliorée. Il a donc fallu trouver une parade pour pallier les déséquilibres attaque-défense. D’où les changements de règle du hors-jeu, la seule loi du jeu qui a été modifiée régulièrement et qui aujourd’hui avantage l’attaquant.

Le foot est-il forcément défensif  ?

Pascal Charroin. Ce sport suit l’évolution des autres disciplines. Au départ, c’est une pyramide inversée avec peu de défenseurs et de nombreux attaquants. Cette pyramide s’est retournée. Aujourd’hui, les joueurs à vocation défensive sont plus nombreux que les attaquants. La première tactique, c’est le WM, qui marque la première spécialisation des postes. Elle symbolise le passage du « dribbling game », où le ballon n’était passé que s’il n’y avait plus d’autre choix, au « passing game ». Dès lors, le jeu de passe oblige les joueurs à se spécialiser car ce ne sont plus eux qui bougent, mais le ballon qui circule. Les inters et les demis restent à leurs postes. L’avènement des tactiques, c’est un peu le fordisme et le taylorisme appliqués au foot qui se justifient par des enjeux financiers croissants. Les postes se spécialisent surtout en défense. Au même moment, le catenaccio se développe (avec sept joueurs de champ à vocation défensive – NDLR).

L’avènement de l’argent dans le foot change donc totalement le jeu.

Pascal Charroin. Oui, mais pas seulement. Il pousse certes à adopter un jeu plus défensif. Mais il faut aussi rappeler qu’au départ, le football est essentiellement offensif. Les meilleurs joueurs sont devant et les défenses ne sont pas bonnes. Les fédérations comme la Fifa poussent à rééquilibrer le jeu. Aujourd’hui, le jeu est déséquilibré dans l’autre sens et l’on essaie d’avantager les attaquants. C’est pour cela, par exemple, que les arbitres sortent plus facilement les cartons jaunes ou rouges.

Est-on condamné à un football fermé  ?

Pascal Charroin. Le 4-3-3 cher à l’Ajax Amsterdam ou aux Verts de Robert Herbin, avec trois attaquants, a un temps offert des solutions contre le catenaccio et son jeu plus fermé. Mais depuis, on a enlevé un attaquant avec le 4-4-2 généralisé dans les années 1980. Actuellement, le 4-5-1 prédomine, avec un attaquant de pointe autour duquel tournent deux milieux offensifs, les autres étant concentrés sur la défense. Les avants sont de plus en plus seuls, mais de plus en plus talentueux aussi. Le foot actuel marque plus de buts que celui des années 1970, autour de 2,25 à 2,3 buts par match. Mais bien moins que celui de l’après-guerre, avec les 4-2 et 6-3 au temps du Stade de Reims.

Est-il aujourd’hui possible d’innover tactiquement  ?

Pascal Charroin. Il serait suicidaire de faire autrement que les grands systèmes déjà connus. On peut innover sur un ou deux postes, mais pas sur l’ensemble d’une équipe. Les changements ont plus trait aux vocables utilisés. On ne parle plus d’ailiers, mais de joueurs de couloir. Les liberos et stoppeurs sont devenus la charnière centrale. La nouveauté de l’époque réside dans les milieux récupérateurs qui pressent très haut. Avant, c’était le travail des défenseurs.

À quoi servent donc les entraîneurs  ?

Pascal Charroin. Dans le sport de haut niveau en général, il y a peu de place pour l’innovation. Un nouveau Fosbury (inventeur du saut en hauteur dorsal – NDLR), c’est impensable. On est dans un système rationnel très collectif, avec un manager, un entraîneur assisté d’adjoints spécialisés, des médecins, des kinés... L’entraîneur gourou ou charismatique qui décide de tout et tout seul, à la Guy Roux, n’existe plus. Il n’a pas d’existence réelle autrement que par la surface médiatique qu’il couvre. Et il a besoin de leaders de vestiaire pour faire passer son message.

Entretien réalisé par Stéphane Guérard


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