Naguère menacée de disparition, la loutre repeuple les rivières

vendredi 27 août 2010.
 

Tombés à 1 500 individus dans les années 1980, les effectifs de la loutre se renforcent.

Journée de dissection au Muséum des sciences naturelles d’Orléans. Sur la table de travail, une loutre mâle de bonne taille. Au sol, sur une grande bâche noire, deux autres dépouilles. « La loutre se situant en bout de chaîne alimentaire, elle accumule les polluants contenus dans les poissons dont elle se nourrit », explique Charles Lemarchand, écotoxicologue à l’école vétérinaire de Lyon.

Penché sur le cadavre éventré, il recueille de la graisse péri-caudale. Un peu de muscle, un rein, la totalité du foie. Autant de tissus qui lui diront quels taux de mercure, pesticides et autres toxiques avait absorbés l’animal, excellent bio-indicateur de l’état des rivières. Le tout sous le regard attentif de René Rosoux, directeur scientifique du muséum et grand spécialiste du petit mustélidé, qui coordonne son suivi dans tout l’ouest de la France.

C’est qu’elle revient de loin, la loutre ! Inféodée aux milieux aquatiques, cette espèce opportuniste a été à deux doigts de disparaître de nos cours d’eau. Estimés à 50 000 il y a un siècle, ses effectifs étaient tombés à moins de 1 500 dans les années 1980. Les causes ? Sa fourrure soyeuse, tout d’abord, et son statut de « nuisible » : entre 1890 et 1930, on en piégeait près de 4 000 par an. A quoi s’ajoutèrent, à partir des années 1950, la destruction des zones humides et la pollution du milieu aquatique. Et les collisions avec les voitures, de plus en plus fréquentes à mesure que le trafic augmentait.

On pouvait donc la croire perdue... Et voilà que Lutra lutra repeuple peu à peu le Massif central et la façade atlantique, ses bastions historiques ! Mieux : des noyaux de populations isolées ont été récemment découverts dans l’Ain et le haut Rhône, et dans deux secteurs de Seine-Normandie. Un repeuplement spontané qui n’a nécessité aucune opération de réintroduction, et qui semble désormais assez dynamique pour que l’espèce soit provisoirement sortie d’affaire.

Non sans aide, il est vrai : la loutre est intégralement protégée depuis 1981, et l’usage des pièges à mâchoires interdit depuis 1984. Mais la bête y a mis du sien. Quitte à perdre sa réputation d’espèce emblématique de la pureté de l’eau.

« A mesure qu’elle repeuple nos cours d’eau, on s’aperçoit qu’elle supporte des milieux relativement pollués, pour peu qu’elle trouve de la nourriture et des »catiches« (du vieux français »se catir«  : se mettre à l’abri) pour élever ses jeunes. On l’a repérée en Grèce, sur des décharges, en Ecosse et en Scandinavie, dans des ports », précise Charles Lemarchand, qui mène grâce à elle (entre autres espèces) une étude écotoxicologique dans le cadre du programme interrégional Loire grandeur nature.

Ses effectifs actuels ? Sur l’ensemble de la France, ils se situeraient entre 2 000 et 3 000. Impossible d’être plus précis, l’animal, nocturne et très farouche, ne se laissant jamais approcher. « Apercevoir un bout de queue, c’est déjà la gloire ! », dit René Rosoux, qui explique que « ce n’est pas la loutre que l’on voit, mais les zones où elle est revenue ». Sur les bords de la Loire, où il nous entraîne, il recherche la trace de ses pattes palmées, guette ses empreintes à l’odeur un peu poissonneuse. Mais seul le castor et le héron, cet après-midi-là, nous livreront des signes de leur présence.

« Connaître les effectifs exacts de la loutre, ce n’est pas si important. Ce qui compte, en termes d’aménagement du territoire, c’est de savoir si ces populations régressent ou progressent, et à quel endroit », précise Sylvain Richier, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).

Chargé de coordonner le réseau mammifères semi-aquatiques pour le plan Loire grandeur nature, il souligne combien de simples innovations peuvent parfois venir en aide à l’espèce. La mise en place de passages à loutres sous les grands axes routiers, par exemple, tels ceux qui furent aménagés sous l’autoroute A89 entre Clermont-Ferrand et Bordeaux.

La loutre va mieux, c’est certain. La meilleure preuve ? Les pisciculteurs et les propriétaires d’étangs recommencent à se plaindre de ses prédations. « De manière souvent exagérée », estime M. Rosoux. « Maintenant que l’espèce a repeuplé le bassin versant de la Loire, elle est capable de partir à la conquête de celui de la Seine ! », s’enthousiasme-t-il, en rêvant déjà de la voir à nouveau en Suisse et en Belgique. Mais ce retour inespéré, il en est persuadé, ne doit pas grand-chose à l’homme : « Si elle est revenue, c’est qu’elle l’a bien voulu ! »

Catherine Vincent


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