Souhait d’une victoire de la gauche en 2012 pour 55% des Français et aspiration à une société meilleure

dimanche 3 octobre 2010.
 

François Miquet-Marty est le président co-fondateur de l’institut de sondage ViaVoice. Sociologue, il a publié en 2006 L’idéal et le réel : Enquête sur l’identité de la gauche. À l’occasion d’un long entretien, il revient sur la défiance des français vis à vis des forces de gauche, et dresse un état des lieux de la recomposition de cette partie de la classe politique.

G2G : Une étude parue dans Libération le 23 août dernier, et réalisée par votre institut ViaVoice, montre que 55 % des personnes interrogées aspirent à une victoire de la gauche en 2012. Pourtant ce même sondage révèle que 57 % de ces mêmes individus pensent que la gauche au pouvoir ne ferait pas mieux que la droite. Comment expliquer ce déficit de crédibilité ?

François Miquet-Marty : La première raison du déficit de crédibilité est l’histoire des échecs de la gauche au gouvernement par comparaison avec l’ampleur des idéaux qui avaient conduit à sa victoire électorale. Le principal traumatisme reste encore 1981, c’est à dire cet idéal d’une vie qui change et puis la réalité de la persistance de la crise économique. D’où l’idée “la gauche à quoi bon” ? On a bien envie de la gauche mais on reste sceptique sur sa capacité à changer les choses. Ensuite il y a un scepticisme plus global à l’égard de la politique en général. Les français constatent que depuis les années 1970 leur situation ne s’est pas nécessairement améliorée. Aujourd’hui on compte exactement 57 % des français qui considèrent que leur situation dans la société se détériore, qu’ils sont en phase de régression sociale. D’où une interrogation sur l’utilité de la politique. Si depuis les années 1970 le vote quel qu’il soit n’est pas en mesure d’améliorer notre situation, cela introduit un doute sur l’impact de la politique lorsque au pouvoir elle entend améliorer le sort des français. Donc je crois qu’il existe des facteurs plus spécifiques à la gauche, puis des facteurs plus généraux qui tiennent au fond au désenchantement à l’encontre de la politique.

G2G : Cette méfiance concerne-t-elle de la même manière à toutes les composantes de la gauche ?

François Miquet-Marty : Oui. Cette disgrâce atteint les différentes parties de la gauche dans la mesure où, communistes, socialistes ou écologistes, tous ont contribué ou participé à un gouvernement. C’est la succession de ces tentatives collectives qui déçoit. Donc toutes les sensibilités de gauche sont impliquées. En même temps on observe une radicalisation des mécontentements. La crise économique fait que la nécessité de changer de monde, de société ou de modèle économique apparaît de plus en plus forte. Ce qui conduit environ un sympathisant de gauche sur deux à estimer que les choses doivent changer rapidement dans la société, et 80 % de ces sympathisants estiment qu’on manque aujourd’hui d’idéal et de rêve dans notre monde. Mais pour autant cela n’introduit pas de crédibilité supérieure en faveur de la gauche radicale, antilibérale. Autrement dit on a une impatience sociale qui progresse, mais on n’a pas pour autant de crédit supérieur accordé à des formations d’extrême gauche ou communistes, par rapport à des formations plus modérées.

G2G : Comment réconcilier ces sympathisants de gauche déçus avec la vie politique ?

François Miquet-Marty : On observe deux politiques différentes. La politique institutionnelle qui est identifiée comme celle des médias, une politique parisienne. Elle définit des rapports de force qui médiatisent les chiffres. Lorsqu’on dit aux français “est-ce vous préfèreriez comme président de la république telle ou telle personne ?”, ils nous répondent et établissent une hiérarchie. On a effectivement aujourd’hui 44 % des français qui préfèrent Dominique Strauss-Kahn, 31 % Martine Aubry, etc… Ceci est une réalité. Puis il en existe une seconde : la vie quotidienne des gens et l’idée selon laquelle leur vie quotidienne est insuffisamment prise en compte dans le jeu politique. Je crois que tout le travail démocratique consiste à réconcilier ces deux politiques. On ne peut pas dire que l’une soit fausse, l’autre vraie. On ne peut pas dire que l’une soit une illusion et l’autre soit la réalité. Il y a d’une part des gens qui aujourd’hui ont une appétence pour Dominique Strauss-Kahn, et il y des gens qui pensent - les mêmes - qui pensent que se prononcer aujourd’hui pour ce candidat ce n’est pas cela qui va améliorer leur vie, et qui pensent que leur vie n’est pas là dedans. Donc la question de fond, c’est comment relier les vies de chacun au théâtre politique.

G2G : Qu’attendent aujourd’hui les sympathisants de gauche des partis politiques ?

François Miquet-Marty : D’abord, l’attente majeure à l’égard des forces de gauche ce sont des réponses qui permettent de se dire que demain leur quotidien va s’améliorer. On a aujourd’hui des sympathisants de gauche qui ne sont pas, pour la plupart, désenchantés. Ils sont critiques envers la société dans laquelle on vit, et ils sont surtout en attente à l’égard de la politique. C’est très frappant d’observer qu’y compris des abstentionnistes sont tournés vers la politique pour trouver quelque chose d’un peu convainquant pour leur situation personnelle. Autrement dit même quand on est abstentionniste, on est pas pour autant en rupture totale avec la politique. Si l’offre change, on est prêt à l’accepter. Et cette question de l’offre est le propre de la politique en général.

G2G : Quel autre type d’attentes observez-vous ?

François Miquet-Marty : On observe des attentes très fortes d’éthiques et de comportements vertueux. Aujourd’hui 65 % des français qui considèrent que les hommes politiques ne sont pas honnêtes. Ce qui est faux en réalité les hommes politiques sont plus honnêtes que cela. Mais on note cette image-là. Si on se dit que les hommes politiques ne sont pas honnêtes cela signifie qu’on ne peut pas leur faire confiance, et donc qu’il n’est pas nécessaire de voter pour eux. La question de l’éthique est donc prépondérante. Elle passe par des comportements moraux : on ne mélange pas la finance et le bien public. Cela passe aussi par une mise en cohérence d’un projet, et de mesures qui sont réalisées. Cela paraît banal mais je crois que ça ne l’est pas. On rencontre beaucoup de gens dans les études qu’on peut faire qui en réalité ne savent pas ce que font les dirigeants politiques. D’où un discours extrêmement répandu qui consiste à dire que les dirigeants ne font rien. Aujourd’hui là encore 60 % des français qui estiment que les hommes politiques ne se préoccupent pas des problèmes des français.

G2G : D’où vient le sentiment d’indifférence vis à vis de l’action politique ?

François Miquet-Marty : Il vient je pense en partie de l’ignorance du travail mené. Des gens votent aux élections municipales sans savoir ce que fait leur maire. Il y a un premier élément très simple qui est une attente de compte-rendu. Au fond on attend dans la perspective démocratique que les élus rendent compte de façon systématique de leur travail. Ensuite il y a des attentes sectorielles ; environnement, pouvoir d’achat… Et puis on note des attentes plus profondes encore, qui portent sur la capacité de la gauche au cours des années qui viennent à refaire société. C’est à dire à faire dialoguer les gens entre eux, à briser les solitudes de citoyens qui estiment qu’ils le sont en droit, mais pas en réalité. Un projet donc qui réunissent les citoyens par des assemblées, des participations, et qui en même temps fasse société.

G2G : Justement, cette gauche, où en est-elle de sa recomposition ?

François Miquet-Marty : Le fractionnement de la gauche est réel car il repose sur des valeurs différentes. On distingue cinq familles. Une gauche antilibérale, une gauche interventionniste, une gauche sociale-libérale, une gauche écologiste, et une gauche attachée à l’ordre. Ces sensibilités ne sont pas des sensibilités de partis politiques, ce sont des sensibilités qui distinguent les sympathisants de gauche eux-mêmes. Cette distinction ne se fait pas sur des étiquettes, on ne demande pas aux gens de quel parti ou de quel leader ils se sentent proches. Cela se fait en fonction des valeurs qui leur paraissent prioritaires. Ensuite ce qui est frappant, c’est ce phénomène inédit qui voit converger les différentes sensibilités de la gauche. Autrement dit, les différences entre les sympathisants de gauche s’atténuent. C’est une conséquence de la crise. Aujourd’hui nous avons des priorités fortes, qui sont proclamées par la totalité des sympathisants de gauche : la régulation, l’environnement, la question de l’éthique qui revient de façon récurente… des éléments qui apparaissent donc beaucoup plus fédérateurs que ne pouvaient l’être des principes généraux tels que la justice sociale, l’égalité ou la réduction des inégalités telle qu’elle pouvait être professée dans les années 1980. Donc aujourd’hui on a cinq familles de la gauche qui convergent à la faveur de la crise. On a au fond des sympathisants de gauche qui dans l’ensemble reconnaissent que la crise de ces dernières années a révélé un monde dont on ne veut pas, ce qui génère effectivement l’aspiration à une société meilleure.


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