Le cirque Romanès est la proie de tracasseries administratives qui menacent son activité

samedi 9 octobre 2010.
 

Il y a une vingtaine d’années, sur un terrain encore vague niché derrière la place de Clichy, un campement, tout ce qu’il y a de plus gitan, avec roulottes, chapiteau, une chèvre, quelques poules. Et la famille Romanès. Alexandre, fils Bouglione. Délia la Tigresse, chanteuse. Ensemble, ils ont eu cinq enfants. Des filles. « Ma famille fait du cirque avec un chapiteau depuis la Première Guerre mondiale. Avant, mon arrière-grand-père donnait un spectacle en plein air sur la place du village. Il allait de village en village avec ses trois femmes, ses enfants et un ours. L’embêtant, disait-il, c’est l’ours. » Il n’y a pas d’ours sous le chapiteau Romanès mais des « vautours » qui rôdent autour, guettant la moindre occasion pour lui tomber dessus. Après le 18e arrondissement, le cirque s’est installé un temps dans le 11e puis, ces derniers temps, dans le 17e, derrière la porte Champerret. Entre les Maréchaux et le périph. Près d’une église en brique rouge dont le clocher tel un minaret fend le ciel de Paris.

Quinze caravanes, une trentaine d’artistes, toute la famille est là. Toujours du mouvement, un va-et-vient incessant. On entend des coups de marteaux, certains répètent sous la toile, une grand-mère prépare une soupe dont la simple odeur vous met l’eau à la bouche. Délia passe d’une caravane à l’autre selon qu’elle se connecte à Internet, répond au téléphone, va voir ses filles, ses petits-enfants. Chanteuse, elle s’est révélée une sacrée organisatrice, surfant sur le Net pour activer les réseaux de solidarité. Car les « vautours » rôdent.

Les permis de travail des musiciens retirés

Cet été, sitôt rentrée de Chine où le cirque avait été très officiellement invité à jouer dans le pavillon français pour l’Exposition universelle de Shanghai, la famille Romanès préfère rester à Paris pour répéter son nouveau spectacle. L’été de tous les dangers pour les Gitans, pour les Roumains puisque, en haut lieu, il a été décidé de mettre en branle la machine à expulser. Ne pouvant expulser les Romanès, de nationalité française, quelque part, dans un bureau du ministère du Travail, « on » a décidé de retirer les permis de travail des musiciens – accordés dans un premier temps. Comme si cela ne suffisait pas, l’administration réclame 19 000euros pour « travail dissimulé ». Et puis, il y a les enfants. En France, les lois qui encadrent le travail des enfants sont très strictes. Heureusement. Au cinéma, au théâtre, pour des spots publicitaires. Pour le cirque, « c’est encore plus restrictif, interdit avant l’âge de douze ans, toléré de douze à seize ans si les parents sont dans le cirque », dit Alexandre Romanès.

Alexandre soupire mais ne se résigne pas

Les filles d’Alexandre et de Délia ont entre dix et dix-huit ans. Elles sont des enfants de la balle. Comme Charlie Chaplin. Et ceux-là mêmes qui expulsent à tour de bras, laissent les CRS bousculer et traîner sur le sol des mères avec leurs enfants, enferment des familles avec des petits, se sont mis soudain à dénoncer, la main sur le cœur, la maltraitance des enfants roumains. La ficelle était grosse. L’amalgame facile. Sans les musiciens, sans la troupe au complet, plus de spectacle.

Alexandre Romanès soupire mais ne se résigne pas. « Je travaillerai quand même. Ce n’est pas moi qui suis dans l’illégalité mais eux, tous ceux qui font des lois injustes. Quand la loi n’est pas respectable, on n’est pas tenu de la respecter. On m’a dit que Gandhi avait prononcé cette phrase. Moi, j’ai le soutien de Gandhi. Le problème de Sarkozy, c’est qu’il n’a pas d’amis. C’est dangereux. Un ami peut se permettre de vous prévenir, de vous alerter quand vous mordez le trait. Lui, il n’a que des collaborateurs. » Après un temps de réflexion  : « On ne peut pas diriger un pays en s’adressant à la foule. Depuis cet été, certains nous jettent des pierres. Une pharmacienne a refusé de servir Délia. Un taxi s’est arrêté quand il a réalisé qui nous étions en nous disant  : “Je ne prends pas de Tsiganes.” Le monde est fou. »

Lundi soir, il y a une soirée de soutien et de solidarité sous le chapiteau Romanès. « On va présenter notre nouveau spectacle, Les Tsiganes tombent du ciel, faire un peu de commerce, les gens donneront ce qu’ils voudront. » Yehudi Menuhin, un ami d’Alexandre, lui avait dit  : « Un jour, dans ce monde moderne, plus personne ne saura allumer un feu. Heureusement qu’il y aura les Tsiganes. »

Marie-José Sirach

À 19 h 30, renseignements 
au 01 40 09 24 20 
ou www.cirqueromanes.com.

2) Soirée de solidarité avec le cirque Romanès

La soirée de solidarité avec le cirque Romanès, lundi soir à Paris, a dépassé toutes 
les espérances. Au point de faire perdre son sang-froid au ministre de l’Identité nationale.

La petite Rose fend la foule qui s’entasse dans le plus grand désordre jusqu’à réduire la piste à un petit cercle magique. Du haut de ses dix ans, elle lève les bras et s’enroule autour de deux, puis trois, enfin quatre cerceaux pour un numéro de quelques minutes. Derrière son regard vert de braise, on la sent concentrée. Elle salue. Les applaudissements éclatent à tout rompre, faisant vibrer le chapiteau du Cirque Romanès, réchauffant les cœurs et les âmes.

Combien étaient-ils, lundi soir, à se presser dans un joyeux désordre à l’entrée du cirque  ? Impossible à dire. 1 500, 2 000, 3500, plus  ? Qu’importe les chiffres, la préfecture ne les a pas communiqués. Il y avait là des amis, des habitués, des artistes, des jeunes, des moins jeunes, beaucoup d’enfants qui n’ont pas hésité à veiller tard dans la nuit avec leurs parents, des mères-grand et des grands-pères. Il s’est passé quelque chose, l’autre soir qui tient à la fois du rêve, de la solidarité, de la poésie.

« Que nous reproche-t-on, au juste  ? s’interroge Alexandre Romanès. Le mot lendemain n’existe pas dans la langue des Gitans. Nous ne sommes en rien une menace, nous n’allons pas voler le travail des avocats, des informaticiens. On se fout de la mode. On veut juste pouvoir vivre de nos petits métiers. » Dans la fièvre de la soirée, la troupe a dû faire trois représentations les unes à la suite des autres. Les uns allaient, d’autres venaient tandis qu’Alexandre Romanès, maître de cérémonie, présentait les artistes, les numéros, distribuait la parole, appelait sa femme, Délia, à la rescousse. Sandrine Bonnaire, Clémentine Célarié, Jane Birkin, Jean-Claude Dreyfus, Yvan Le Bolloc’h, Josiane Balasko, André Glucksmann, Jacques Blanc, Christophe Girard, Pierre Laurent, Noël Mamère… Artistes et public, tous ont eu le sentiment de vivre quelque chose d’unique, d’assister à la réconciliation d’une humanité que d’aucuns voudraient compartimenter, diviser. Le Cirque Romanès est menacé. Et c’est grave. Le ministère du Travail accuse la troupe de « travail dissimulé » et « s’indigne » du travail des enfants, faisant mine d’ignorer l’école familiale du cirque. Dans la foulée, le ministère a retiré les permis de travail des musiciens, accordés dans un premier temps (lire notre édition du lundi 4 octobre). Les raisons invoquées par le ministère du Travail se révèlent des prétextes. Après le succès de la soirée de solidarité, les autorités ne nous auront pas fait attendre longtemps.

Dans un communiqué publié dans la nuit de lundi à mardi, c’est Éric Besson et non le ministre du Travail qui, à propos du Cirque Romanès (qu’il dénomme, on ne sait pourquoi « ex-Bouglione ») dénonce « une manipulation » et indique que « cette affaire n’a aucun lien avec la lutte contre l’immigration irrégulière en provenance de Roumanie et de Bulgarie ». Toujours dans la même missive, Éric Besson estime qu’il s’agit là d’une « infraction aux règles relatives à l’emploi d’enfants dans le spectacle et aux dispositions concernant le travail dissimulé ». L’aveu du ministre de l’Identité nationale témoigne d’une grande fébrilité et d’une immaturité politique incroyable. De fait, en se positionnant comme il le fait, il confirme ce que d’aucuns soupçonnaient  : le fond de l’affaire, c’est bien la politique ségrégationniste à l’encontre des gens du voyage, des Gitans, des Tsiganes.

Marie-José Sirach


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