Expulsion d’immigrés (dossier Cimade)

mardi 19 octobre 2010.
 

Dans le ventre de la machine à expulser Par Marie Barbier

La Cimade publie aujourd’hui ses Chroniques de rétention, témoignage inédit de la réalité de l’enfermement des étrangers en France. Loin du discours officiel d’une France accueillante et généreuse, une trentaine d’intervenants racontent leur quotidien derrière les barbelés des centres de rétention. Outre les histoires ubuesques qu’ils rencontrent, ils livrent aussi leurs doutes, leurs angoisses, leurs colères. Des chroniques à la fois instructives, drôles, émouvantes et révoltantes qui dépeignent la réalité sordide des antichambres de l’expulsion. Alors que le projet de loi en discussion à l’Assemblée promet d’allonger la durée de rétention de 32 à 45 jours, ces témoignages démontrent l’inhumanité mais aussi l’absurdité de l’industrialisation de l’enfermement des étrangers. Morceaux choisis d’un livre d’utilité publique.

1) Ève Chrétien « Rendre transparents les murs de la rétention »

Intervenante au centre de Palaiseau pendant deux ans, Ève Chrétien nous explique l’objectif de ce livre  : « parler autrement de ceux que l’État enferme ».

D’où vous est venue l’idée
de ces chroniques et 
comment avez-vous travaillé à presque trente auteurs  ?

Ève Chrétien. La solidarité active est notre mission  : le témoignage en fait partie. La Cimade faisait déjà des rapports, beaucoup d’interventions publiques sur la question. Mais il est très difficile de « dire » la rétention, d’autant que le ministère de l’Immigration fait tout pour cacher la réalité de ces centres. L’idée est venue de nous tous, des échanges que nous avions au quotidien à travers toute la France et travailler à plusieurs n’a pas été une contrainte, mais une force. La diversité de nos voix, de nos perceptions, rend les chroniques plus intéressantes pour le lecteur. Nous avons simplement rassemblé nos mots, et pris sur nous de parler autrement des hommes, des femmes et des enfants qui sont enfermés par l’État. 
De leurs visages.

Vous témoignez beaucoup de
 la difficulté de travailler dans un centre de rétention (cauchemars, sentiment d’incapacité…), 
est-ce aussi un livre expiatoire pour les intervenants  ?

Ève Chrétien. Non, la parole que nous proposons est d’abord du témoignage. Dire que, dans certains centres, les étrangers sont réveillés toutes les demi-heures pour être comptés, ou que parce qu’elles n’ont pas droit au papier et aux stylos, certaines personnes en sont réduites à graver le numéro de leur avocat à l’ongle sur un savon, n’est pas fait pour nous libérer d’un poids, mais bien pour dénoncer ces pratiques inhumaines. L’État agit dans ces lieux au nom de la société civile française, qui lui a donné mandat. En tant que témoins, nous nous devons d’informer les gens. De rendre les murs transparents pour que la société constate d’elle-même ce qu’il en est et qu’elle puisse se positionner.

Depuis janvier, la réforme Hortefeux-Besson a divisé l’aide juridique aux étrangers retenus. Qu’est-ce que ça a changé pour vous  ? Ce livre est-il aussi là 
pour dire que la Cimade 
ne se taira pas  ?

Ève Chrétien. Il est certain que faire des droits de l’homme un marché est une chose très grave en termes de sens. Mais la nouvelle loi que M. Besson propose continue dans cette voie  : les atteintes aux droits fondamentaux sont multiples, des populations sont clairement montrées du doigt, les possibilités pour les étrangers de se défendre des attaques administratives se réduisent encore. Si l’on y ajoute la création d’un nouveau camp, dans le village du Mesnil-Amelot, il est évident pour nous que la nécessité 
de donner l’alerte contre cette politique est une urgence. Car elle détruit les valeurs humaines les plus élémentaires  : 
la solidarité, le respect des droits, le respect de la dignité de toute personne.

D’aucuns vous reprochent de participer au système d’enfermement en étant 
à l’intérieur. Ce livre a-t-il aussi été écrit pour montrer que 
votre capacité d’indignation restait intacte  ?

Ève Chrétien. Nous ne parlons pas pour montrer que nous sommes indignés, mais parce que nous sommes indignés. Notre regard à tous doit changer  : l’autre n’est pas une menace, au contraire, il lutte avec nous contre les difficultés de la société. Il nous apporte d’être plus humains car c’est aussi dans son regard que nous existons. Les gens qui sont enfermés dans les centres de rétention ne sont pas des migrants. C’est l’homme qui est un migrant depuis la nuit des temps. Et notre façon de l’accueillir révèle qui nous sommes. Sommes-nous prêts à accepter qu’en notre nom, l’État enferme 35 000 personnes chaque année  ? Sommes-nous prêts à croire qu’il fait bon vivre à Kaboul ou à Colombo  ?

Entretien réalisé par M. B.

2) « Ils disent et nous transmettons »

Ils disent… « Mes parents sont français. Mes frères et ma soeur sont français. Ma petite amie est française. »

Ils disent… « Mes parents sont morts. Mes frères et ma soeur sont morts. Mon mari est mort. »

Ils disent…

« Dans l’avion, j’ai mordu l’oreille d’un policier, alors ils m’ont sorti et ils m’ont vite fait faire le test pour le Sida pour savoir s’il y avait un danger pour le policier. Ils m’ont emmené dans la fourgonnette à l’aéroport, j’ai pris un avion pour Montpellier. Ensuite, en voiture jusqu’à Sète, et puis trente heures de bateau jusqu’à Tanger. J’ai eu peur… c’était long, je ne savais pas où ils m’emmenaient.

On nous fait manger de la nourriture périmée ici. Ils ont débarqué à la maison, à 6 heures du matin…

Et moi, quand j’étais dans le centre de Vincennes qui brûlait, j’ai fait une crise d’asthme parce que je suis très asthmatique, et l’infirmière du centre a voulu m’aider. Un policier s’est mis à m’insulter : « Fils de pute, fils de pute ! », en disant à l’infirmière : « Je le connais celui-là, il fait du cinéma. » Trouvez cette infirmière et demandez lui si je mens, elle a carrément dû s’interposer à un moment, tellement elle hallucinait devant ces insultes envers moi. »

(…) Ils disent…

« Alors ils ont mis leurs gants et ils se sont mis à trois sur moi. Ils m’ont étranglé. Je pouvais plus respirer. J’ai cru que j’allais mourir. Aidez-moi. Si j’étais tout seul, je dis pas… mais j’ai des enfants. Pour moi, je m’en fous, vous savez. La préfecture m’a tendu un piège, j’ai été arrêté au guichet, j’étais avec une dame de l’association. »

Ils disent et nous transmettons.

Eve Chrétien

3) « On t’amène au poste pour t’arranger ta gueule, blaki »

Concernant les policiers des Yvelines et de la préfecture, M. Abdoul Maraka ne dira pas le contraire. Il se rappelle, amer et encore terrifié : « Quand j’ai aperçu la voiture des flics, j’ai fait semblant de ne pas les voir en continuant mon chemin. Ils ont fait le tour du rond-point, revenant sur leurs pas pour me rejoindre et me demander si j’avais des papiers. J’ai répondu que je les avais oubliés au boulot où j’allais. Alors, ils m’ont arrêté, et le plus petit d’entre eux , qui doit être plus jeune que le dernier de mes quatre enfants au pays, m’a dit : « On t’amène au poste pour t’arranger ta gueule de gros menteur, pauvre blaki. Tu vas voir si tu as des papiers ou des couilles. » Dans la voiture, j’étais menotté dans le dos, et ma ceinture de sécurité non attachée. Quand j’ai signalé que la portière était mal fermée, une policière m’a répondu : « Tu la boucles ; c’est pas toi qui fais la loi ici, connard ! » A un rond-point, entre Saint- Quentin et Plaisir, le chauffeur a accéléré et je suis tombé de la voiture. Les trois policiers ont dit que j’avais tenté de sauter de la voiture, que ça m’apprendra ! Ils m’ont conduit au centre de rétention, mais le chef du centre a refusé de me recevoir dans cet état, en leur disant de me transporter d’abord à l’hôpital. Et voilà, je suis là, encore vivant. Dieu merci ! » Après un transit de près de cinq heures au centre hospitalier André-Mignot de Versailles, M. Maraka a été ramené au cra avec un certifi cat médical (huit jours d’itt, des fractures et commotions), une minerve, des bandages aux deux coudes, un plâtre à la main droite fracturée. Il y restera dix-sept jours malgré les diverses saisines des juges. Par peur, M. Maraka a catégoriquement refusé de porter plainte ou, simplement, de se plaindre de son sort. »

Kechéri Doumbia

4) « Un petit bonhomme emplit le couloir blafard de ses cris »

« Ils étaient six, Elder, Hasa et leurs quatre adorables enfants, dont Arblin, 16 mois. Un petit bonhomme qui commençait tout juste à marcher. Un petit bonhomme qui emplissait ce couloir, aux couleurs blafardes, de ses cris, qui se lançait dans ce couloir sans fin sur ses deux petites jambes en manque d’assurance.

Une gamine de 10 ans qui me parle de maquillage. Sa soeur de 7 ans qui me demande si, être dans cette prison, ça veut dire qu’on ne peut plus aller à l’école.

Ils sont arrivés un jeudi en fin d’après-midi. On savait qu’ils arrivaient. Le resf (Réseau éducation sans frontières, NDLR) de Pau m’avait appelée. L’avocate de la famille aussi, et nous nous étions déjà réparti le travail pour être les plus efficaces possible. Une longue soirée s’annonçait, il fallait que tout soit « plié » avant le week-end. On ne sait jamais ce qui peut se passer durant le week-end dans un centre de rétention.

Le médecin revient au centre car la maman est à bout, suivie pour une grave dépression. J’essaye tant bien que mal de m’occuper des trois filles. Les sortir de l’infirmerie pour qu’elles n’assistent pas à toute cette horreur ; leur mère allongée, le regard complètement hagard. Leur père qui change la couche de leur petit frère, souillée depuis bien longtemps car elle n’est pas faite pour affronter douze heures de garde à vue. Un policier, les yeux baissés, porte le sac de couches. Que ressent-il à cet instant précis ? »

Sarah Danflous

5) « Elle s’en souviendra, de son anniversaire »

« Le 2 décembre, c’est son anniversaire. Pour sûr, Malik saura la faire sourire et l’emmènera dans un restaurant indien ou faire une balade en amoureux le long de l’eau. C’est ce qu’ils avaient prévu sans doute, mais ils devront remettre cela à plus tard dans la journée, car le 2, à 9 heures, ils sont convoqués à la gendarmerie pour subir un interrogatoire sur leur vie commune dans le cadre de l’enquête. La convocation dit : « Veuillez vous présenter tous les deux. » Et c’est souligné deux fois. Ce doit être important alors. Il est ajouté à la main « pour enquête sur la véracité du projet de mariage ». Ils ne sont pas inquiets… la véracité est là, elle transpire par leurs mains qui se tiennent quand ils poussent la porte de la gendarmerie. Ils entrent. Les policiers interpellent Malik devant son aimée, il se fait menotter et emmener… Les policiers laissant là cette femme qui comprend à peine ce qui se passe. On l’a convoquée, et on lui menotte son homme. A croire qu’on lui a demandé de venir pour assister à ça. Ou bien… ou bien on lui a demandé de venir pour que le piège soit plus crédible, car en réalité, ce n’est pas elle qu’on voulait, mais lui. C’est lui qu’on voulait appâter, puis attraper. Malik s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la date autorisée par son visa. On lui notifi e un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et on l’emmène menotté, dans un fourgon, au centre de rétention administrative de Palaiseau. C’est à pleurer. Et il en pleure. Elle aussi en pleure. Elle s’en souviendra, de son anniversaire 2008. Pour toujours, c’est inscrit dans son histoire, dans leur histoire. Pour son anniversaire, l’Administration de son propre pays lui aura bien signifié qu’aimer un étranger signifie contrainte, obstacle, souffrance, humiliation. »

Eve Chrétien


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