Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo en tête du premier tour des présidentielles

lundi 8 novembre 2010.
 

La Commission électorale indépendante (CEl) a rendu publics les résultats du premier tour de l’élection présidentielle du 31 octobre 2010.

Le taux de participation atteint plus de 80%.

Le président sortant Laurent Gbagbo obtient un score supérieur à ce que prévoyaient les médias : 38,3%. Alassane Ouattara, présenté comme un ami de Nicolas Sarkozy obtient 32,08% et Henri Konan Bédié (ami de jacques Chirac) 25,24%.

Voici l’analyse du scrutin de la part du porte parole de Laurent Gbagbo..

" Nos compatriotes marquent de façon claire leur pleine adhésion au bilan et au projet du Président Laurent Gbagbo, et leur volonté de poursuivre avec lui l’exaltante mission de Refondation de notre pays. Le candidat Laurent Gbagbo ratisse large d’Est en Ouest, en passant par le Sud, au-delà des ethnies. Il est maître de la capitale économique du pays (45,04%), maintient son leadership sur l’Ouest du pays et supplante Henri Konan Bédié et le PDCI-RDA à l’Est.

Sa stature est nationale et transethnique, ce qui n’est pas le cas de ses deux principaux adversaires, tous deux enfermés l’un au Nord, l’autre dans le Grand Centre.

Au Nord, Alassane Ouattara réalise des scores étonnants qui ne peuvent que susciter des interrogations sur la sincérité du scrutin dans une zone où l’Etat n’exerce pas encore la plénitude de ses prérogatives et lorsqu’on sait par ailleurs, que la population électorale dans cette région s’est accrue de façon extraordinaire à l’occasion de cette élection. Alassane Ouattara et le RDR (32,08%) réussissent à devancer Henri Konan Bédié et le PDCI-RDA (25,24%).

1) Laurent Gbagbo "On peut résister aux institutions financières internationales"

Le président sortant, qui affronte au second tour l’ex-premier ministre Alassane Ouattara, confirme à l’Humanité son engagement pour sortir le pays de 
la crise politique. Il mise sur l’accès à la santé et sur la généralisation gratuite de l’éducation. Abidjan (Côte d’Ivoire), envoyée spéciale.

Ce scrutin en Côte d’Ivoire 
peut-il avoir valeur d’exemple sur le continent africain ?

Laurent Gbagbo. La Côte d’Ivoire est la deuxième économie d’Afrique de l’Ouest, après le Nigeria. Il était temps de mettre en adéquation le fonctionnement de la démocratie politique avec ses performances économiques. C’est ce que nous sommes en train de faire. Pour comprendre les épreuves traversées par ce pays, il faut remonter à la grande crise qui a frappé les matières premières dès le début des années quatre-vingt. Là se trouve l’origine de toutes ces perturbations. En 1990, la digue du parti unique s’est rompue. En 1994, la dévaluation du franc CFA a durement frappé notre économie. Vinrent ensuite le coup d’État de 1999, puis le putsch avorté de 2002 qui s’est mué en rébellion. Aujourd’hui, nous sommes en train de sortir de ce cycle de crises. Le problème, ce n’est pas Gbagbo au pouvoir ! En réalité, nous avons assisté, pendant toute cette période, à l’écroulement, sous les effets de la crise économique, du modèle néocolonial qui prévalait sous le règne de Félix Houphouët-Boigny. C’est pourquoi nous parlons de « refondation ».

Si vous étiez réélu, quels 
seraient vos gestes pour tourner 
définitivement la page de la crise militaire et pour réunifier le pays ?

Laurent Gbagbo. La priorité absolue, c’est l’emploi des jeunes. Environ 4 millions de jeunes Ivoiriens sont au chômage ou vivotent grâce au secteur informel. Sans emploi véritable, ces jeunes peuvent devenir les proies de n’importe quel démagogue prêt à leur mettre des kalachnikovs et quelques billets entre les mains pour faire naître une rébellion. C’est ce qui s’est passé non seulement dans notre pays, mais aussi au Liberia, en Sierra Leone, au sud de la Guinée.

Selon vous, la crise ivoirienne n’a donc rien à voir avec des problèmes identitaires ?

Laurent Gbagbo. Je ne dis pas cela, mais je n’ai jamais cru que la question identitaire était au centre de cette crise et je ne le crois toujours pas. Une fois la crise engagée, il faut bien trouver des prétextes pour la justifier. 
Il existe, effectivement, un problème identitaire. Mais je ne le crois pas assez aigu pour entraîner une guerre. Le chômage des jeunes, dans toute la région, est par contre un facteur fondamental de déstabilisation. En outre, cette rébellion s’est traduite par le pillage de ressources comme le diamant, l’or, le bois, le cacao. Il faut mettre un terme à cela, permettre un retour à la normale.

Vous serez opposé, au second tour, 
à un ancien cadre du Fonds monétaire international. Est-il aujourd’hui possible de résister aux diktats des institutions financières internationales ?

Laurent Gbagbo. Dans les années 1990, les institutions financières internationales ont imposé leurs candidats à la tête de nombreux gouvernements africains. Tous ont échoué. Je crois que l’on peut résister à ces diktats, nous en sommes l’exemple. Dans le cadre de la réduction de la dette – nous avons hérité de 6 000 milliards de francs CFA de dette –, nous avons accepté d’appliquer certaines mesures de bon sens conseillées par le FMI et la Banque mondiale, et d’ailleurs inscrites à notre programme politique. En revanche, nous avons opposé un veto à celles qui nous semblaient inadéquates. Certains dirigeants africains se montrent incapables de dire « non » à ces institutions lorsque c’est nécessaire. C’est ce que je leur reproche.

Vous vous êtes longtemps réclamé du socialisme. Quel est, aujourd’hui, votre parti pris idéologique ?

Laurent Gbagbo. Je suis toujours socialiste, je n’ai pas changé ! En Afrique, plus qu’ailleurs, il faut des politiques de gauche, des politiques généreuses. Cela implique avant tout de s’engager dans une profonde démocratisation, qui ne peut se réduire à la tenue d’élections tous les cinq ans. Cela, nous le ferons. Mais la démocratisation, c’est aussi la transparence dans la gestion financière, le pari des compétences contre le règne des copains et des coquins, la décentralisation, etc. Avant tout, il faut instaurer la démocratie. Ensuite, il faudra garantir à tous l’accès à la santé. C’est le sens de l’assurance maladie universelle que je propose. Enfin, chaque enfant doit bénéficier d’une éducation de base, avec l’école gratuite et obligatoire. N’y a-t-il pas là les piliers d’une politique de gauche ?

La gauche française, plus précisément le Parti socialiste, 
n’a pas franchement fait preuve de solidarité à votre égard pendant la crise. En gardez-vous de la rancœur ?

Laurent Gbagbo. Non... Tout cela est du passé. Au temps de la lutte anticoloniale, déjà, l’attitude de la gauche française n’a pas été exempte d’ambiguïté. Ce lâchage ne m’a donc pas surpris. À certains moments de son histoire, la gauche française chausse les bottes du colonialisme. Elle devient plus française que progressiste. Nous y sommes habitués. C’est triste, mais ce n’est pas nouveau.

Paris espère une « normalisation » 
de sa relation avec la Côte d’Ivoire...

Laurent Gbagbo. Cette relation devra se fonder sur la reconnaissance de notre souveraineté. La France doit nous considérer comme un état souverain, qui a le droit au respect, au même titre que n’importe quel autre. Une fois que cela sera acquis, tout le reste deviendra secondaire.

Entretien réalisé 
par Rosa Moussaoui

http://humanite.fr/04_11_2010-laure...

2) La Côte d’Ivoire au seuil d’un scrutin très attendu

La sérénité de la campagne électorale ne dissipe pas toutes les inquiétudes sur les lendemains du scrutin présidentiel de dimanche. Les trois principaux candidats en lice devront répondre aux préoccupations sociétales de la population.

Reportage. La pluie battante ne les décourage pas. Sur les bords d’un boulevard de Cocody, des jeunes militants du Front populaire ivoirien, arborant des T-shirts à l’effigie de Laurent Gbagbo, haranguent les passagers des voitures qui circulent. Dans une ambiance bon enfant, ils dansent au son de la musique crachée par la sono. Le bourdonnement d’une vuvuzela couvre leurs slogans, donnant à leur rassemblement des allures d’attroupement de supporters de football.

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle ivoirienne, prévu dimanche, les accrochages entre militants sont restés marginaux, dans une campagne plutôt apaisée. Les Ivoiriens sont impatients de tourner la page d’une longue crise politico-militaire, avec ce scrutin maintes fois repoussé depuis cinq ans. À chaque carrefour de la capitale économique, Abidjan, de gigantesques panneaux vantent les mérites des candidats. Ils sont quatorze en lice, mais le match se joue entre les trois hommes qui dominent la scène politique ivoirienne depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993.

Une confrontation politique acérée

« La paix est gagnée. Maintenant, le développement », exhorte l’affiche du président sortant, Laurent Gbagbo (FPI). Celle de l’ex-chef d’État Henri Konan Bédié (PDCI) promet de mettre son « expérience au service de la jeunesse ». Quant au slogan de l’ancien premier ministre Alassane Dramane Ouattara (RDR), dit ADO, un technocrate passé par la direction du FMI, il claque comme une formule commerciale  : « ADO Solutions ». Symbole de la crise identitaire qui a déchiré le pays, ADO avait été écarté des élections de 2000 pour « nationalité douteuse », puis accusé d’avoir fomenté le putsch raté de 2002, qui a coupé le pays en deux. Sa candidature, comme la distribution, toujours en cours, des cartes d’identité et d’électeur, semble devoir mettre un terme au conflit de « l’ivoirité ». Au profit d’une confrontation politique acérée. « ADO est un homme de droite, artisan des privatisations des sociétés d’État vendues à ses amis. Comme Bédié, c’est un pur produit de la monarchie républicaine de l’ère Houphouët-Boigny », tranche un haut fonctionnaire au Plan et au Développement. Ses partisans, au contraire, exaltent son expertise économique. « Il est tenant d’un libéralisme à visage humain, qui tienne compte des conditions de vie difficiles des Ivoiriens », insiste Karamoko Yayoro, des jeunes du RDR.

Et c’est bien sur ce terrain des conditions de vie que pourrait se jouer le scrutin, dans ce pays jeune, à l’immense potentiel économique, laissé exsangue par les diktats des institutions de Bretton Woods et la guerre civile.

Attaqué sur son bilan économique et social, Laurent Gbagbo plaide pour un programme d’industrialisation, la gratuité de l’école ou encore l’instauration d’une assurance maladie universelle. « Il prône la justice sociale et la redistribution des richesses aujourd’hui détenues par une minorité. L’homme est au centre de sa politique », s’enflamme Alexandre, un militant du FPI. La sérénité de la campagne, pourtant, ne dissipe pas les incertitudes sur les lendemains du scrutin. « Les dirigeants politiques prônent la paix et la démocratie, mais à la base de la société, les frustrations sont telles que tout peut déraper d’un moment à l’autre », s’inquiète un indécis.

Abidjan, envoyée spéciale.

Rosa Moussaoui


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message