La vie n’est pas à vendre ! Vive la régie publique de l’eau (Entretien avec Danielle Mitterrand et Gabriel Amard dans Le Sarkophage Extrait)

mardi 7 décembre 2010.
 

Voici un entretien croisé à propos des enjeux de la gestion de l’eau qui est publié dans le numéro du Sarkophage de ce mois-ci. Danielle Mitterrand m’a fait l’immense honneur de bien vouloir partager ses réponses avec moi, afin de continuer à faire avancer que l’eau, élément du vivant indispensable pour rester en vie, ne doit pas être une marchandise. Dans un contexte mondial de raréfaction de la ressource, dans un contexte national où la gestion de l’eau est encore très largement dans les mains du secteur privé, voici à la fois notre analyse de la situation et des éléments de réponse pour qu’il en soit autrement.

Même si je vous invite à vous procurer ce magazine chez tous les bons marchands de journaux, je vous livre ici l’intégral de cet entretien. Bonne lecture !

Les lecteurs du Sarkophage connaissent bien la question de l’eau (ses enjeux, ses dilemmes) grâce à la publication de plusieurs articles. On peut en rappeler quelques données : Un tiers de l’humanité dispose de 8 % de l’eau douce disponible. 500 millions à un milliard d’humains vont se retrouver d’ici 50 ans en état de pénurie. 2,5 milliards seront en situation critique. Cette pénurie est la conséquence de nos façons de produire et de nos modes de vie : agriculture productiviste, choix industriels, mauvais entretien des réseaux, gaspillage collectif ou individuel. Que vous inspire ce constat ?

Danielle Mitterrand : Si je reprends les articles qui ont été développés dans le Sarkophage, il n’est plus à démontrer que la situation de l’eau dans le monde est très préoccupante, y compris dans les pays développés comme la France. Ce n’est pas un problème de pénurie puisque la biosphère, est constituée de 90 % d’eau, mais un problème lié à l’usage que l’homme en fait. Vous avez démontré dans d’autres articles que notre mode de vie est préjudiciable à tout ce dont le vivant a besoin pour se développer. Je suis d’accord avec vous et je ne rappellerai pas les chiffres que vous avez cités. Unanimement aujourd’hui, il est reconnu que si nous ne changeons pas la façon de penser l’eau dans le monde, l’humanité sera en danger de disparition.

Gabriel Amard : La réponse qui saute aux yeux, la plus évidente, c’est qu’il faut changer nos façons de produire et de consommer. Encore faut-il se poser la question "Comment ?". C’est tout le sens de mon engagement politique depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, la logique qui prévaut est celle du profit. Il faut se tourner vers d’autres objectifs. La production doit être tournée vers la satisfaction des besoins, vers le bien-être, et tenir compte des enjeux écologiques. Ce n’est plus de l’idéologie : cela devient une urgence, une nécessité absolue. Et pour le bien-être de tous, c’est l’intérêt général qui commande. C’est donc lui, par l’implication populaire dans les choix de société, qui doit primer sur tout.

Le Sarkophage : Quelle sera la situation dans 50 ans ? Quel partage mondial de l’eau ? Comment partager ? Faut-il faire payer le Nord pour abreuver le Sud ?

Danielle Mitterrand : Tout dépendra de la détermination politique de ceux qui possèdent l’eau potable. Sont-ils prêts à la partager avec ceux qui n’en ont pas. Ce n’est pas forcément un problème d’acheminement de l’eau, mais surtout de quantité et de qualité. Aujourd’hui le cycle de l’eau potable nécessite un traitement de tous les effluents, notamment agricoles, mais aussi lors de son prélèvement. Il est encore des lieux où l’eau sort de terre buvable sans traitement particulier. Mais je crois malheureusement que ces sources de pureté seront de moins en moins nombreuses. Contrairement à la période antique, les populations humaines ne se trouvent plus nécessairement à proximité des points d’eau potable, l’urbanisation extensive et la démographie croissante nous éloignent des sources et, surtout, nous rendent dépendants du dispositif choisi pour assurer la distribution de l’eau. Quoiqu’il en soit chaque être humain, où qu’il vive a besoin d’un minimum de 15 litres d’eau potable par jour, et d’un minimum de 40 litres d’eau douce ; les premiers pour survivre, les seconds pour assurer la salubrité de sa vie sociale. Ce sera valable dans 50 ans comme aujourd’hui. C’est une donnée biologique incontournable. Ne nous faisons pas d’illusion, il n’y aura jamais de « fabriques d’eau » et le dessalement de l’eau de mer connaîtra vite ses limites écologiques. La seule façon de partager l’eau douce c’est d’en assurer une distribution équitable et en mutualisant le mieux possible les coûts pris en charge par la collectivité. Voila pourquoi je refuse (et bien d’autres avec moi !) d’admettre que l’eau puisse être traitée comme une marchandise. L’eau a droit à un statut à part, unique, celui de source de vie, comme les rayons du soleil et l’air que nous respirons. L’accès à l’eau pour tous est un problème qui ne peut être résolu que par la puissance publique, à tous les niveaux, mondial, régional, national, et municipal.

Gabriel Amard : L’eau est une ressource naturelle indispensable à la vie. Son état naturel et potable a tendance à se raréfier. Impossible de dire ce qu’elle sera dans 50 ans. Sa raréfaction est d’origine humaine, l’humanité possède donc la réponse à toutes les questions. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens en privilégiant désormais notre écosystème, plutôt que la recherche du profit qui conduit à l’exemple que vous donnez : il faut instamment arrêter de gâcher l’eau pour des activités superflues réservées à quelques uns au détriment de la vie du plus grand nombre. On marche sur la tête ! La question de sa juste répartition se pose. L’eau étant du domaine du vivant, nous ne pouvons "privatiser" l’eau. L’eau n’appartient à personne, elle appartient à tous. Pourtant, de frontières en barrages, des Etats tentent de s’approprier l’eau ou d’en faire une arme. Ce qui est valable au niveau mondial doit être appliqué partout où on le peut. C’est pourquoi nous allons mettre en place une autre façon de gérer l’eau à la Communauté d’Agglomération Les Lacs de l’Essonne. Gratuité des litres indispensables pour rester en vie, protection de la ressource, privilégier l’usage familial plutôt que le gaspillage pour du superflu par une progressivité du tarif d’accès, et bien d’autres mesures encore seront mises en place pour se mettre en adéquation avec les nécessités dont on vient de parler.

Le Sarkophage : Pourquoi l’eau est elle interdite à certaines populations ?

Danielle Mitterrand : Tout simplement parce que le système économique qui domine le monde et gère la moindre de nos activités dans l’espoir d’en tirer un profit, souhaite que toute satisfaction d’un besoin génère un profit, même si ce besoin est vital. Si la satisfaction de ce besoin ne s’accompagne par d’un profit, autrement dit si une population ne peut pas payer, alors il n’y aura pas d’eau… Or, je le répète, l’accès à l’eau est un droit et non la satisfaction d’un besoin « marchand ». La recherche du profit conduit au droit de tuer celui qui ne peut acheter l’eau dont il a besoin pour vivre. De plus, certains Etats ont compris que la maîtrise de la ressource en eau permettait d’exercer une menace, donc une influence sur les pays alentour. C’est le cas de la Chine au Tibet où se trouvent les sources des grands fleuves qui irriguent l’extrême orient continental. Maîtriser le plateau du Tibet c’est exercer à distance une pression économique sur une population qui représente le 1/3 de l’humanité. Il en va de même au moyen Orient où le Tigre, l’Euphrate et le Jourdain sont des enjeux considérables. Tout est possible à partir de cette politique de domination qui n’hésite pas à menacer une population de la priver d’un bien commun essentiel à sa vie. Cette situation ressemble fort à une prise d’otages et nous ne pouvons l’accepter. C’est pourquoi France Libertés a rejoint, au sein des Forums Sociaux mondiaux, ceux qui ont les mêmes inquiétudes, qui travaillent, qui ne baissent pas les bras et qui sont convaincus qu’une autre politique est possible. Leur nombre augmente sans cesse mais il reste encore beaucoup à faire pour réfuter ce système mortifère et proposer une alternative.

Le Sarkophage : qu’est-ce que veut dire concrètement la marchandisation de l’eau ?

Gabriel Amard : La marchandisation de l’eau, c’est tout simplement faire du profit avec cette ressource gratuite dans la nature. Que l’accès au service de l’eau soit payant parce qu’il a un coût, soit. Encore qu’il pourrait être moins cher si nous ne nous évertuions pas à polluer l’eau par nos modes de vie. Mais lorsqu’un groupe privé gère ce service, il dégage des profits dessus. C’est même sa raison d’être. Les grandes compagnies de l’eau françaises ont été créées par des banquiers d’Empire, pas par des ingénieurs ou techniciens de l’eau. Le but affiché est donc de faire de l’argent avec l’eau. Beaucoup d’argent même : on peut rappeler le triste exemple de Vivendi (ex-Compagnie Générale des Eaux et future-Veolia). Avec les profits dégagés sur l’eau, le groupe s’est acheté des studios de cinéma, des chaînes de télévision, des compagnies de téléphonie portable… Bien loin du métier initial. Lorsque la logique est celle du profit, ce ne peut être celle de la protection de la ressource et de son égale répartition selon les besoins. Depuis des années, le prix du service d’accès à l’eau est principalement régressif selon la consommation d’eau ! Plus on consomme d’eau, moins le mètre cube est cher. Absurde écologiquement parlant mais compréhensible économiquement. On voit là l’incompatibilité des deux approches. Je n’ai pas de solutions toutes faites sur ce point car il est finalement à l’image de la marche du monde : incompatible entre la sauvegarde de notre écosystème et la juste répartition des biens produits et la recherche du profit qui sous-tend toute production privée. Sur le territoire que j’administre, j’ai donc décidé que les majors de l’eau ne devaient plus gérer ce service en créant une régie publique de l’eau. Peut-être est-ce la solution au niveau mondial ?

Danielle Mitterrand : L’exemple le plus percutant est celui d’une multinationale de l’eau titulaire d’une concession à Soweto. Cette société a demandé que soient fermées les fontaines existantes et gratuites au prétexte que celles-ci constituaient une concurrence déloyale. En lieu et place cette société a ouvert et installé des postes d’eau accessibles seulement grâce à des cartes pré payées. Quand la carte est épuisée, toute une famille est privée d’eau…La marchandisation dans un système de privation que nous connaissons, signifie que lorsque nous mettons sur une table deux verres plein d’eau, l’un géré par une multinationale et l’autre par le service public, 1/3 du verre de la multinationale sert à rétribuer des actionnaires, alors que le service publique consacre les trois tiers au service de l’eau, sans profit.

La suite de cet entretien peut être lue en cliquant sur l’adresse URL du blog de Gabriel Amard, portée en source de cet article et reproduite ci-dessous :

http://www.gabrielamard.fr/cestposs...

Les autres questions posées sont les suivantes :

Le Sarkophage : Que vous inspire la situation de Gaza avec des frontières tracées en fonction des ressources en eau ?

Le Sarkophage : Que vous inspire la fuite en avant de Marrakech dans la construction de golfs pour riches touristes ?

Le Sarkophage : Pourquoi paye-t-on l’eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine privée ? Ne doit-on pas apprendre à différencier politiquement donc juridiquement et financièrement les divers types d’usages de l’eau ? Ne faut-il pas accorder la priorité à l’eau correspondant à ce qui est vital ?

Le Sarkophage : Faut-il fonder une agence mondiale de l’eau ? Quels moyens lui donner ?

Le Sarkophage : Quel bilan la Fondation France-Libertés peut-elle faire au niveau mondial ?

Le Sarkophage : que peut-on dire aujourd’hui de la qualité de l’eau dans le monde et en France. On sait sa responsabilité dans la mortalité notamment infantile au niveau mondial. On parle ainsi de la responsabilité de la présence de l’aluminium dans l’explosion de la maladie d’alzheimer. Comment pourrait-on agir ? Quels instruments politiques et juridiques ?

Le Sarkophage : Dans l’immédiat, que peut-on faire mondialement mais aussi localement pour éviter cette confiscation de l’eau par un tout petit membre de privilégiés qui en ont font une source de profit ?

Le Sarkophage : La création de régies publiques locales est-elle la bonne solution ? Sortir de la gestion privée est-ce finalement si difficile ? Comment peut-on créer une régie publique municipale ou d’agglomération ? Quels obstacles politiques ou techniques au transfert de la compétence des villes à une communauté d’agglomération ?

Le Sarkophage : pensez-vous que la loi de 2006 aille dans le bon sens ?

Le Sarkophage : comment faire pour que ce bien commun soit géré au profit du plus grand nombre ? Comment faire pour que les régies publiques relèvent d’une vraie démocratie ? Comment rendre la parole aux usagers ? Faut-il des votations ? Des référendums ? Pourquoi ne pas désigner par tirage au sort parmi la population une partie des représentants ? Comment faire pour que les régies publiques prennent appui sur la compétence de leurs personnels ?

Le Sarkophage : ces propositions et ces combats pour l’eau ne vaudraient-elles pas aussi pour les autres biens communs ? (gestion des déchets, énergie, transports en commun, etc)

Le Sarkophage : Quel bilan tirez-vous des expériences locales de remunicipalisation de l’eau ?


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