Le populisme et le peuple

lundi 6 décembre 2010.
 

Il va de soi que la plaisante polémique que j’ai provoquée, en utilisant une interview de l’Express à propos du « populisme », appelait cette explication. On me concèdera que rien n’est plus difficile que de lancer un débat « théorique » dans notre pays. Pourtant les gens qui proposent des débats intéressants sont légion. Ils ont peu d’écoute, et moins encore de rebonds dans la sphère médiatique. Et donc, la sphère politique qui l’accompagne n’en a même pas conscience. Nous sommes quelques poignées à nous tenir au courant, à lire et à échanger sur la base de leurs travaux. Il y a cependant un moyen facile d’allumer la lumière quand on est sur la scène politique. C’est de donner quelque chose de saignant à la meute qui gémit d’excitation à l’idée qu’elle va pouvoir vous dévorer. Jetez un os et aussitôt la clameur des chiens qui se battent pour le déchirer remplit le silence d’avant. Ainsi du populisme si l’on veut faire parler du peuple. Le mot « populiste » lui-même n’a aucun intérêt. C’est son usage qui compte. Que lui fait-on désigner ?

Qu’est ce que le populisme ? On ne sait pas. Les définitions varient à l’infini. Cela montre bien que le mot fonctionne seulement dans une mission péjorative. Il doit flétrir ceux qu’il désigne. On affronte ce mépris facilement dans la polémique : il suffit de demander ce que le mot veut dire. Confusion assurée pour l’imprécateur. Pour ma part j’ai construit ma compréhension du sujet en lisant, il y a déjà quelques temps, Alexandre Dorna, son livre sur le thème et ses publications dans « Le Monde Diplomatique », à l’époque où le label refit surface pour décrire Poutine puis Chavez et ainsi de suite. Dorna parvient dans le meilleur des cas à une phénoménologie du populisme plutôt qu’à une définition par les contenus programmatiques. En réalité, à cette heure, l’accusation de populisme ne fait que révéler la peur ou la haine du peuple de celui qui profère la dénonciation. J’ai assumé, par bravade, le terme, après qu’Elise Karlin et Christophe Barbier m’aient suggéré dans une question pour une longue interview dans l’Express que je voulais « rendre ses lettres de noblesses au populisme de gauche » (sic).

Cela m’a paru être une formidable opportunité. Et ce fut le cas, même si j’ai du attendre près de quinze jours pour que le feu prenne. N’importe quelle personne sensée se serait arrêtée un instant pour mesurer que ce mot n’a aucune définition communément admise. Personne d’ailleurs ne s’est jamais donné le mal de le définir une seule fois en croyant m’en accabler. Qui a tenu compte du fait qu’il contient des contradictions disqualifiantes ? Le journal « Marianne » les a scrutées des dizaines de fois dans le détail ? Qui s’en est soucié ? Personne ! Mes amis et moi, si ! En convoquant « le peuple », autant que la « classe ouvrière et les employés » ou « les ingénieurs, les professeurs et les architectes » autres figures de référence de mes discours, mon intention est de parvenir à une nouvelle formulation de la latéralisation du champ politique.

Le but premier, la méthode de notre combat, est de rétablir la logique de discorde. De la contradiction. Le tableau actuel ne le permet pas ou bien seulement très mal. Pourtant nous avons besoin du débat clivant pour réveiller l’esprit civique et le confronter à des choix tranchés. Certes, les mots de « droite » et de « gauche » gardent toute leur pertinence. Mais les titulaires officiels de ces deux marqueurs ont volontairement brouillé les cartes et fait tomber les barrières. Pour ne vexer personne je vais chercher un exemple lointain. Je me souviens de cet ami, président du Sénat bolivien. Je lui confiais mon malaise : pourquoi n’utilisait-il jamais le mot « gauche ». Il me répondit : « mais je suis de gauche, évidemment ! Je sais très bien quelle est la différence ! J’ai payé cher pour ça dans le passé ! Mais ici la droite et la gauche ont été aussi cruelles et corrompues l’une que l’autre et les gens ne font plus la différence entre eux. Donc je dis que je suis d’en bas. » Cette confusion n’est pas partout, cela va de soi. Mais il est vain de se la cacher. Pour un nombre considérable de gens, il n’y a pas deux gauches, l’une idéale et rêvée qui serait magnifique et l’autre, décevante, réelle et actuelle. Pour beaucoup de gens, la gauche c’est le PS et tout le reste c’est l’extrême gauche. Et pour les mêmes une telle gauche c’est un problème car elle n’est pas crédible. Elle est même ressentie au pire comme hostile, au mieux comme un pis aller. « Ce sont tous les mêmes » dit-on de tous côtés. « Ils ne feraient pas mieux », dit-on des socialistes, en les comparant à la droite. Le vocabulaire courant reprend ce refrain qui souligne l’équivalence entre droite et gauche. La presse s’acharne à leur répéter cette vision du monde entre pareil et presque même : « la seule politique possible » fournit les couplets et « Sarkozy ou Strauss-Kahn » le refrain.

Gauche Droite Appartenance sociale et conscience politique


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message