La guerre des classes des riches contre les pauvres

vendredi 24 décembre 2010.
 

par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sociologues.

Soupçons de fraudes fiscales, écoutes pirates, possibles conflits d’intérêts, l’affaire Woerth-Bettencourt, qui éclate au mois de juin, révèle au grand jour les connivences entre le pouvoir politique et le monde de l’argent. Au même moment, le gouvernement Sarkozy présente une réforme des retraites très injuste, qui révèle une hétérogénéité incroyable entre les petites pensions des travailleurs et l’incroyable rente de Liliane Bettencourt.

La conjonction de ces deux événements met en cause la grande bourgeoisie. Notre livre, le Président des riches (1) sort en librairie à ce moment, le 9 septembre. Cela n’était pas calculé mais le public s’est tout de suite montré très intéressé et depuis, nous sommes invités dans de multiples débats. Nous en avons été les premiers surpris. À Auch, il y a peu, 80 personnes se sont déplacées lors d’une séance de dédicaces dans une librairie. À Douarnenez, en Bretagne, 400 participants à un débat organisé par le Front de gauche ont fait le déplacement, le soir à 20 heures, alors qu’il pleuvait.

Avec la crise, beaucoup de chiffres ont circulé, qu’il s’agisse de montants extravagants attribués pour des bonus ou encore des 5 milliards d’euros que le trader Jérôme Kerviel a perdus sans que cela mette la Société générale sur la paille. Cet argent fou qui circule et s’évapore a fait grandir l’idée qu’il y a deux poids, deux mesures, que la crise n’est pas pour tout le monde.

La perception de qui est riche ou non est en train de changer d’échelle. Le riche n’est plus notre voisin du dessus qui a une plus belle voiture. L’affaire Bettencourt a mis en évidence tout un réseau de systèmes et de relations qui ont beaucoup de pouvoirs et développent des pratiques à la limite de la légalité. 
Mme Bettencourt possède un compte en Suisse pour échapper au fisc. Elle a offert des sommes mirobolantes en cadeau au photographe François-Marie Banier. Elle a touché 280 millions d’euros en 2009 pour ses participations dans L’Oréal. C’est un chiffre qui fait réfléchir. Les gens se rendent compte que la fortune, c’est autre chose qu’un gros salaire.

Par ailleurs, la révélation des conversations entre Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, et son avocat a montré les interférences qui existent entre l’argent et la politique. Cette interpénétration des deux mondes a connu d’autres épisodes cette année. Il suffit de regarder les nominations à la tête des entreprises publiques de proches du président de la République ou encore l’implication présumée d’un ministre, Éric Woerth, dans l’affaire du financement de l’UMP quand il en était le trésorier. Le monde de la richesse est propulsé hors de son cocon. C’est très important.

Dans la «  guerre des classes  » que mènent les riches contre les pauvres, les possédants sont un peu plus sur la défensive. Mais le combat continue. Les mesures de restriction des dépenses publiques inscrites dans le budget de l’État ou le non-remplacement d’un départ sur deux en retraite dans la fonction publique vont rendre la vie plus difficile à pas mal de gens.

Aujourd’hui, les conversations sont plus argumentées qu’avant, mais il existe une grande perplexité par rapport à ce qui peut être changé. Dans les débats, la discussion vient presque toujours sur l’élection présidentielle de 2012. La possibilité d’une alternance, qui n’en sera pas vraiment une, fait douter. Pour beaucoup, la candidature de Dominique Strauss-Kahn représente un coup d’épée dans l’eau. Lui aussi est lié au monde de l’argent de par sa fonction 
à la tête du Fonds monétaire international. Le sentiment que cela ne changera rien est palpable. Nous nous confrontons à une grande difficulté pour penser le changement réel face à la mondialisation, à l’Europe, aux chemins à emprunter pour reprendre l’initiative sur le monde de la finance.

(1) Le Président des riches, 
enquête sur l’oligarchie dans 
la France de Nicolas Sarkozy. 
Éditions Zones (La Découverte), 
Paris, 2010, 14 euros.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot


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