Pourquoi le gouvernement ferme-t-il des conseils de prud’hommes ?

samedi 8 janvier 2011.
 

La journaliste du Berry républicain, Véronique Pétreau, rapporte dans son article sur l’inauguration, courant décembre, des locaux provisoires de la Maison de la justice et du droit de Vierzon, que le maire communiste, Nicolas Sansu, a fait la remarque suivante  : « Je regrette de voir plus de monde aujourd’hui que lors de la fermeture du tribunal… » Le tribunal en question était situé dans un bâtiment abritant deux juridictions  : le tribunal d’instance et le conseil de prud’hommes. L’une et l’autre ont été fermées à environ un an d’intervalle. Il va sans dire que, dans l’espace public local, cette double fermeture s’apparente à un refoulé de la langue officielle et qu’en cela, la remarque de Nicolas Sansu devant les représentants de l’État (préfet, sous-préfet, procureur, etc.) sonne comme un écho à l’«  nsurrection pacifique » à laquelle Stéphane Hessel appelle de ses vœux dans son livre Indignez-vous  ! (Indigène Éditions, 2010).

J’aimerais profiter de cette déclaration de l’élu vierzonnais pour revenir plus spécifiquement sur la fermeture du conseil de prud’hommes de Vierzon, en ce que cette fermeture cristallise, selon moi, à l’échelle d’un cas particulier, une rupture avec la logique (en cours dans notre pays depuis plus de deux siècles) d’institutionnalisation des grands principes philosophiques hérités de la Révolution française. Les éléments développés dans ce texte ont été exposés lors d’un débat intitulé « Prud’homie, archaïsme ou justice d’avenir  ? », organisé le 15 octobre dernier par l’institut d’histoire sociale CGT de la région Centre, dans le cadre des 13es Rendez-vous de l’histoire de Blois.

Le décret entérinant la fermeture des 62 conseils de prud’hommes, dont celui de Vierzon, est paru au Journal officiel le 1er juin 2008. Cette fermeture s’inscrit dans le cadre de la redéfinition de la carte judiciaire voulue par le président Nicolas Sarkozy et mise en place par Rachida Dati, alors ministre de la Justice. Dans un discours prononcé le 10 novembre 2007 au palais de justice de Toulouse, l’ancienne garde des Sceaux notait vouloir rechercher « le meilleur équilibre entre les impératifs de modernisation de l’institution judiciaire, de renforcement de la qualité de la justice au service de nos concitoyens, et l’indispensable prise en compte des équilibres territoriaux ». Dans un entretien accordé à l’Humanité (réalisé par Lucy Bateman et paru le 1er décembre 2008), la sociologue du droit Évelyne Serverin déclarait ceci  : « La carte prud’homale actuelle trouve son origine dans la réforme de 1979, qui généralise les conseils des prud’hommes et pose les principes de leur implantation. Ce texte prévoit au moins un conseil par ressort de tribunal de grande instance, ce qui correspond à un minimum de 181 conseils. Ensuite, si des raisons d’ordre géographique, économique ou social le justifient, des conseils supplémentaires peuvent être créés. Sur cette base, et en réexaminant la situation tous les cinq ans à l’occasion de la préparation des élections prud’homales, on était arrivé au chiffre actuel de 270 conseils en France métropolitaine et DOM, supérieur au minimum théorique de 181. On n’avait jamais trouvé de motif de réforme plus profonde, hormis des ajustements sur le nombre de conseillers.

Au cours des vingt dernières années, le nombre d’affaires traitées au fond par les conseils de prud’hommes a peu évolué  : 145 522 en 1988, 151 587 en 2007. Nous sommes actuellement dans une période de diminution du nombre d’affaires, mais qui ne modifie pas sensiblement l’activité des conseils. Quels changements a donc pu subir depuis cinq ans la situation des affaires prud’homales – les caractéristiques géographiques, d’emploi –, pour justifier un bouleversement tel que celui qui a été mis en œuvre cette année  ? » Aucun. La réponse est idéologique. Elle tient au fait que la majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy entend pousser plus loin la doctrine néolibérale, celle-là même qui domine généralement en France au niveau gouvernemental, et au nom de laquelle une politique est engagée en vue d’assouplir le droit du travail – le but de cet assouplissement étant d’éviter aux employeurs de souscrire à leurs obligations juridiques et de permettre aux actionnaires d’augmenter leurs profits. La suppression en 2008 de plus de soixante conseils de prud’hommes obéit à la logique prônée par les tenants du libéralisme économique (néolibéraux) contre celle du libéralisme politique issu des Lumières. Elle marque une rupture avec la formalisation depuis plus de deux siècles (la loi de 1979 en est un exemple) des grands principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La Déclaration de 1789 pose en effet comme principe fondamental l’égalité entre les individus  : «  Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur 
l’utilité commune » (article 1er). De ce principe général d’égalité, elle tire celui de l’égalité des citoyens devant la loi et devant la justice  : « La loi doit être 
la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » (article 6). Si la réforme de la carte prud’homale de 1979 est celle du renforcement institutionnel (la proximité géographique d’un service public 
de la justice), la « contre-réforme » voulue en 2008 par Nicolas Sarkozy ordonne au contraire l’éloignement territorial et concourt à une remise en cause du principe d’égalité d’accès à la justice.

Par Laurent Aucher, Doctorant en sociologie Aau CSPRP de l’université Denis-Diderot - PARIS-VII.


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