Un vrai statut pour les saisonniers (entretien avec Stéphane Haar, président de la JOC)

jeudi 23 décembre 2010.
 

Depuis 50 ans, la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) intervient auprès des jeunes travailleurs saisonniers confrontés aux réalités du monde du travail. Entretien avec son président, Stéphane Haar.

Comment la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) intervient-elle auprès des jeunes saisonniers ?

Stéphane Haar : Nous avons commencé, voilà 50 ans, à agir sur le travail saisonnier parce que beaucoup d’échos remontaient, disant que des choses indignes se passaient. Ce n’est pas anodin, car pour beaucoup de jeunes il s’agit de la première expérience dans le monde du travail. Aussi nous avons développé nos accueils permanents saisonniers. Ce sont des sortes de permanences, tenues dans les principaux lieux touristiques où se concentrent les saisonniers durant l’été, pour les informer sur leurs droits et les aider à se défendre si besoin est, en partenariat avec les syndicats. Tout cela est coordonné par notre fédération nationale, mais organisé par les jeunes qui vivent sur place : l’accueil saisonnier de La Baule est organisé par des jeunes de Loire-Atlantique, celui de la côte normande par des jeunes de Normandie... Cela permet de coller à la réalité : souvent, les bénévoles qui tiennent nos permanences ont été saisonniers eux-mêmes. Et nous allons aussi sur les lieux de travail, directement à la rencontre des jeunes saisonniers.

Quels sont les principaux problèmes que rencontrent les jeunes saisonniers ?

Les conditions de travail : horaires très larges et extensibles, jours de repos inexistants, heures supplémentaires non payées... D’après les enquêtes que nous faisons, 14 % des jeunes saisonniers disent travailler sept jours sur sept, et la même proportion n’a pas de contrat de travail. Le travail saisonnier les prive aussi de l’accès aux vacances, aux loisirs : ils se consacrent entièrement à leur travail et, contrairement à certains clichés, n’ont pas le temps de profiter des lieux où ils se trouvent. Enfin, trois jeunes sur cinq disent travailler l’été avec pour première motivation la rémunération. Pour cela, ils sont souvent prêts à accepter des conditions de travail indignes... et s’en mordent vite les doigts, face aux promesses non tenues. Les employeurs savent que ces jeunes ne connaissent pas leurs droits, qu’ils sont peu touchés par les syndicats, qu’ils ne sont pas prêts à aller aux prud’hommes pour 200 ou 300 euros...

Et sur les plans de la protection sociale,du logement... ?

Le logement en zone touristique coûte très cher : on s’entasse à 5, 6 ou 7 dans un studio, on « habite » au camping... Certains saisonniers sont logés par leur employeur à un tarif exorbitant, mais ils n’ont pas le choix s’ils veulent être embauchés. Il y a aussi des saisonniers qui sont très contents de ce qu’ils vivent. Mais ce que nous déplorons, c’est que beaucoup ne connaissent pas leurs droits. Donner aux jeunes des bases de droit du travail, dès le collège, le lycée, le centre de formation d’apprentis... est essentiel. C’est une de nos revendications principales, avec le renforcement des moyens de l’inspection du travail, et la multiplication des « maisons des saisonniers » qui permettent de rompre l’isolement. Des jeunes qui ressortent dégoûtés de cette expérience peineront, ensuite, à aborder le monde du travail avec la volonté de s’y investir.

Le secteur agricole pose-t-il des problèmes spécifiques ?

La principale spécificité, ce sont des conditions de travail parfois très dures physiquement. Cumulé à des horaires parfois très lourds, à la pression d’une rémunération au rendement - qui induit en plus une concurrence entre les personnes - cela peut entraîner des problèmes de santé importants, des jeunes qui reviennent vraiment « cassés » de leur saison, avec des problèmes de dos par exemple. Les conditions de santé physique et psychologique sont plus dégradées en agriculture que dans les autres secteurs du travail saisonnier.

Cette difficulté n’est-elle pas inhérente aux métiers agricoles ?

Alors dans ce cas, certains enfants chinois pourraient reprocher aux enfants français de ne pas travailler 20 heures par jour, comme eux doivent le faire ! Mais ce n’est pas parce que les enfants français sont moins courageux que les autres : c’est parce qu’ici, on respecte encore les droits de la personne humaine. Quand on fait travailler des jeunes à ramasser des fruits douze heures de suite sous le soleil en les payant au panier, je veux bien qu’on me dise que s’ils flanchent c’est qu’ils ne sont pas solides, mais est-ce respectueux de leur personne de les faire travailler dans ces conditions ? On pourrait aussi demander pourquoi les travailleurs français ont besoin d’un Smic pour travailler quand d’autres se contentent de 300 euros par mois ! Oui, il y a des situations spécifiques en agriculture, oui, les exploitations ont des contraintes ; mais il y a un juste équilibre à trouver. Nous ne cherchons pas à donner une mauvaise image du travail l’été : souvent, c’est une expérience positive pour les jeunes, cela leur donne des moyens financiers et ça peut être un lieu de vie collective. Mais s’il n’est pas question de généraliser, il faut mettre fin aux abus, qui sont nombreux et graves.

Vous avez signé l’appel pour un Forum social des saisonniers : qu’en attendez-vous ?

Que cela permette, pour la première fois, à de nombreux jeunes saisonniers de se rencontrer, pour devenir eux-mêmes des acteurs, défendre leurs droits, faire avancer les choses. Que cela permette de porter des propositions concrètes, de peser dans le débat public pour dire que le travail saisonnier ne doit pas être une exception au droit du travail. Il faut un statut qui permette des conditions de travail et de vie dignes, et un contrôle pour faire respecter ces droits. Il s’agit de faire naître une conscience collective des saisonniers, qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls dans leur cas et qu’ensemble, ils peuvent faire quelque chose.

Propos recueillis par Olivier Chartrain pour le Web de la Terre


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