Hortefeux, Le Pen et la cuisine française au patrimoine mondial de l’Unesco.

dimanche 26 décembre 2010.
Source : Alternatives
 

Il y aurait beaucoup de sujets à aborder, compte tenu d’une actualité qui tarde à revêtir les habits du Père Noël.

Deux personnages, en France, la dominent. D’abord Brice Hortefeux, notre ministre de l’Intérieur. Hortefeux ? Vous savez l’homme qui, tout en touillant compulsivement la bouillie sécuritaire, préside à une inquiétante remontée de toutes les formes de délinquance ; qui, plutôt que de se servir d’un chasse-mouches, utilise systématiquement des marteaux-pilons ; qui ne cessa d’affirmer que son action permettait de faire spectaculairement reculer les suffrages lepénistes - comme on le constate, en effet ; qui, confronté à une France paralysée par 10 centimètres de neige, claironna que grâce à lui on avait évité toute pagaille, alors même que des dizaines, voire des centaines de milliers de Franciliens étaient transformés en « naufragés de la route » ; qui n’hésite pas à prendre le parti de policiers ripoux qui ont organisé une fausse agression pour faire condamner un innocent à la place de l’un de leurs collègues qui avait provoqué un accident, et à stigmatiser ensuite les juges qui les avaient légitimement condamnés ; qui, enfin, entre deux saillies limite xénophobes, traite les intellectuels humanistes en général de privilégiés richissimes qui passent leur journée à glander au Café de Flore ; un type bosseur au demeurant, pas méchant au fond de lui-même, fidèle, mais très bête et qui - depuis Pasqua, Chevènement et Sarkozy - est le seul premier flic de France qui soit parvenu à devenir vraiment impopulaire.

Le second personnage qui domine notre grise actualité (mais la vôtre n’est pas folichonne non plus), c’est Marine Le Pen promue artificiellement star d’un film d’horreur, dont la gauche bien-pensante, toujours aussi stupide, ne cesse de faire le jeu, qui risque d’obtenir un score canon à l’élection présidentielle de 2012, mais dont le succès est un peu la conséquence des graves échecs du premier personnage évoqué.

Ainsi, en cette fin d’année, presque tout est dit. Hélas !

Reste notre conte de Noël à nous. Qui mérite que tous les Te Deum et tous les alléluias l’accompagnent : le repas gastronomique des Français vient d’être accueilli au patrimoine mondial de l’Unesco.

Est-ce juste ? Oui... !

Non pas que notre cuisine soit, a priori, la meilleure du monde. On peut préférer la goulasch au boeuf mironton et même, si on est maso, la carpe farcie au lapin à la moutarde. Mais elle est effectivement unique. Aucune autre ne lui est comparable en termes de diversité, de pluralité et de spécificité. Il est étrange que notre pays entretienne un rapport aussi ambigu avec la démocratie politique, alors que sa cuisine est la plus démocratique, la moins centralisatrice, la moins jacobine, la moins bonapartiste qui soit.

On retrouve des constantes dans les cuisines espagnoles et italiennes, l’une que l’huile d’olive ensoleille, l’autre que les pâtes fraîches ensorcellent ; la japonaise s’organise autour de deux baguettes et de trois pôles ; la chinoise aristocratise le canard et communautarise le porc (tout se mange, mais après « cinisation » ) ; la russe préfigure le marxisme-léninisme en cela qu’elle tient à quelques fondamentaux.

En revanche, quel rapport entre ce vicomte à jabot et à talons rouges qu’est le tournedos Rossini ou ce duc à perruque à qui on donne le nom de pot-au-feu Lucullus, cette marquise que veut être la poularde à la crème et que concurrence cette grande bourgeoise de blanquette de veau à l’ancienne, ce solide paysan conservateur qui prend la forme du cassoulet au confit d’oie, ce républicain progressiste qui se convertit en ragoût de mouton ou en boeuf à la ficelle, ce « radical » qui s’est investi dans le vol-au-vent financier, ce socialiste d’Aligot qui fait pièce au caviar de gauche, ce marginal de gras-double, cette quasi délinquante de tête de veau sauce ravigote ?

Entre un petit salé aux lentilles et un lièvre à la royale, entre une tripe à la mode de Caen et un canard au sang, n’y a-t-il pas autant de différence qu’entre Olivier Besancenot et Marine Le Pen, qu’entre Brice Hortefeux et Jean-Luc Mélenchon ?

Cette diversité culinaire, elle est, au fond, à l’image et de notre intériorité et de notre extériorité : nous sommes multiples dans l’âme comme nous le sommes dans notre terroir.

Dégustez une bouillabaisse, une choucroute ou une potée, fermez les yeux et, normalement, vous pouvez reconstituer mentalement l’emplacement, le sol, le relief, le climat, l’architecture (la nature du sol ayant évidemment un rapport avec la dominante du calcaire, du granit, de la tuile ou de l’ardoise dans la construction des bâtiments), les couleurs, la religion, les caractères, l’histoire de la région dont le plat est l’expression.

Qui peut imaginer la choucroute au bord de la mer ou l’aïoli frontalier de l’Allemagne ?

En gastronomie française, une spécialité c’est un peu aussi un office de tourisme.

Et un coq au Chambertin, qui peut douter que c’est la France ?

Le problème, c’est qu’on n’en sert plus de coq au Chambertin.


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