Le Front de Gauche, son projet, son programme

lundi 27 décembre 2010.
 

Notre tâche essentielle est de réussir le rassemblement de ce que, faute de mieux, j’ai appelé, avec d’autres, « l’autre gauche ». Je sais que nombreux sont ceux qui partagent cet objectif. Maints parmi eux partagent notre visée historique qui est de construire une force politique nouvelle à partir de là. Nous n’avons pas l’intention de faire « le congrès de Tours à l’envers » comme on le disait un temps. Au contraire ! Notre intention est de refaire le Congrès de Tours. C’est-à-dire de fonder une force politique de gauche nouvelle, ancrée dans la tradition révolutionnaire de notre pays et liée aux révolutions populaires du monde. Tâche qui ne s’accomplit qu’en rompant avec les « compromis pourris » comme le disait Oscar Lafontaine au meeting de lancement du Parti de gauche. Mais cette construction n’est pas un préalable au rassemblement. Il peut parfaitement se faire avec une diversité de composantes autonomes et indépendantes.

Le Front de gauche incarne ce choix intermédiaire. Il est le seul et unique point d’appui unitaire de cette sorte. L’effort pour continuer le rassemblement ne doit pas s’interrompre. Evidemment en direction du NPA. Nous nous portons garant de la continuité de cette main tendue. Sans ignorer toutes les difficultés que cette offre soulève, notamment au niveau local. Sans nier les blocages qu’elle engendre et qui s’aggravent à mesure que s’ajoutent les refus. Vaille que vaille, la démonstration est faite que nous sommes sincères et constants. Mais ce n’est pas tout. Le rapprochement avec la FASE avance. Certes petit à petit, moins vite que prévu, mais tout aussi fermement qu’espéré. Ça avance. Rien ne doit nous détourner de ce but. Ni les crispations ni les lenteurs ni les impatiences. J’ai la certitude que nous allons y arriver.

J’ai entendu parler de nouveau de la question de l’adhésion au Front de gauche. Comme on le sait l’idée a été proposée pour les personnes. Il s’agissait alors d’adhésion individuelle. Autrement dit permettre à chacun d’adhérer, et de bénéficier de divers droits de participation et de décision sans être membre d’un des partis membres du Front. C’est Marie Georges Buffet elle-même qui avait annoncé notre proposition commune sur ce point, à la sortie de notre rencontre au sommet en mai dernier. Cette idée fut repoussée par les instances communistes. C’est donc partie remise. Nous en sommes toujours autant partisans. La question reviendra sans doute d’une façon ou d’une autre, un jour ou l’autre. Mais nous ne voulons pas en faire un préalable. A quoi bon ? Pour tout bloquer ?

Par contre, s’agissant des organisations, il n’y a pas « d’adhésion au Front de Gauche » au sens propre. Si j’ai employé l’expression, c’est à tort. Il n’y a pas de statuts déposés. Peut-être faudra-t-il y penser. Mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Peut-être qu’une charte ferait un bon début à condition d’être courte et claire, simple et souple. A ce jour on intègre le Front de Gauche en participant à ses combats communs. Ceux-ci se déterminent chemin faisant. L’existence même du Front de Gauche a déjà été mise en question à plusieurs reprises de même que son contenu. Ainsi quand les communistes ont voté dans chaque région pour fixer leur stratégie pour les élections régionales. Le Front de Gauche est d’abord une formule d’action politique unitaire indépendante et autonome. Les deux mots comptent. Ils ont été validés par maintes déclarations communes. Je pense que tout ceci a fait la preuve de son efficacité. Ce qui lui manque finira par venir. D’où ? De l’action.

Ceci posé, il est urgent de dire ce que ne peut pas être notre rassemblement. Ce ne peut pas être le plus petit commun dénominateur. C’est-à-dire la collection des mots mis bout à bout qui permet à chacun d’y trouver son compte devant son congrès ou devant ses préoccupations identitaires. Ça c’est la petite gauche microscopique qui polémique sans fin sur les mots et se fractionne au fil des pages du dictionnaire. Le problème posé n’est pas d’être d’accord mais d’être utile. C’est donc le plus grand dénominateur commun notre but. Je veux dire la formule politique qui atteint le plus grand nombre parce qu’elle correspond à son intérêt en même temps qu’à l’intérêt général. Ce ne sont pas les mots qu’il faut considérer en premier mais les problèmes qui se posent. Et le but n’est pas de soulever des problèmes mais de proposer des solutions.

S’il en est ainsi c’est parce que, de son côté, le peuple ne fait pas de politique par calcul mais par nécessité. Il se met en mouvement pour mettre en œuvre des solutions plutôt que pour poser des problèmes. La gauche utile c’est donc celle qui se montre à la hauteur de la nécessité. C’est une gauche d’audace et d’action. Et non une gauche d’ergotages et soupesages, divisée sans fin entre purs et traitres, coupables à démasquer et inquisiteurs auto proclamés. En résumé il s’agit d’abord de répondre au danger de mort que le capitalisme financiarisé et le productivisme font peser sur la civilisation humaine. Au cas précis de notre pays, ajoutons qu’il s’agit de maintenir ouverte la porte poussée par la révolution de 1789. Dans notre situation l’enjeu dépasse nos frontières. Ouvrir une issue en France c’est ouvrir un chemin pour le monde. Telle est ma conviction. Je la tire du constat de la puissance économique de notre pays, du niveau de qualification de son peuple travailleur, du dynamisme de sa démographie. Et aussi de sa place géographique et géopolitique en Europe. Bref de son « rang » n’en déplaise aux déclinistes confits dans leurs malsaines jouissances de la déchéance. Mais la vocation particulière de notre pays vient aussi de l’énergie politique républicaine de son peuple et de l’histoire ardente qui travaille son instinct civique. Raison pour laquelle les Anglo-saxons et leurs clients nous haïssent de longue main et combattent de toutes les façons possibles tout ce qui nous distingue politiquement d’eux et notamment l’égalitarisme identitaire d’une majorité de français.

Il faut pour cela mettre en cohérence un programme, une stratégie et les candidatures aux élections. La trame en cinq points que j’ai présenté en synthèse du premier débat de lancement du programme partagé à la Fête de l’Humanité a voulu monter que le Front de Gauche sait comment aborder cette tâche globale. Je l’ai tirée des longs temps d’écoute, de tribune en tribune, de ce que disaient les responsables de toutes les composantes de l’autre gauche, associative, syndicale et politique, chaque fois qu’ils parlaient de l’intérêt général. J’ai repris tout cela dans le texte, somme toute assez bref, de mon livre « Qu’ils s’en aillent tous ».

Le maitre mot de ce croquis de programme est le rétablissement en tous domaines de la souveraineté populaire. Dans le pays comme en Europe. Ainsi avec la refondation républicaine de la société et des institutions. J’ai noté que ce terme était dorénavant celui qu’utilisent les trois composantes du Front de gauche et je n’en suis pas surpris. La fête de l’Humanité ne s’était elle pas achevée sur le slogan Liberté Egalité Fraternité ? N’est-ce pas l’esprit même de la proposition de résolution dont la première signataire est Marie-George Buffet devant l’assemblée en novembre dernier ? Cet objectif appelle à une implication populaire de très haut niveau. Nous appelons à en finir avec la Cinquième République, bricolée et refondue vingt fois depuis sa fondation et une fois par an en moyenne au cours des dix dernières années. D’ailleurs nous proposons ensemble l’élection d’une Assemblée Constituante. C’est un acte fondateur du nouveau contrat politique qui unira dès lors le peuple tout entier. Le nouveau partage des richesses vise à définanciariser l’économie du pays en commençant par une redistribution massive des richesses actuelles et de celles à venir. L’instauration du salaire maximum qui lie le plus petit salaire au plus important dans l’entreprise en interdisant tout écart supérieur de un à vingt est une illustration de nos nouveaux critères de vertu. Pour nous, le progrès social est la condition du progrès économique. Ensuite la planification écologique trace un large horizon commun de mobilisation du pays. Elle convoque toutes ses ressources intellectuelles, techniques et démocratiques. Cela implique tous ses métiers. La planification écologique affirme qu’on peut maitriser la sauvegarde de l’écosystème humain dans une logique émancipatrice plutôt que dans les mensonges du soi disant capitalisme vert. Puis j’ai déjà dit que la sortie du traité de Lisbonne est l’exigence sans laquelle aucun programme de gauche n’est applicable. Enfin, construire une autre paix que l’actuelle guerre larvée permanente sous direction des USA est une urgence. Elle nous enjoint notamment de sortir de l’OTAN. Et de quitter l’Afghanistan, évidemment. Au total c’est cela l’objet de la révolution citoyenne qui est à l’ordre du jour.

La stratégie de ce programme c’est de rassembler le peuple aussi largement que possible. C’est à lui de formuler les objectifs et les accomplir. Je parle de « peuple » à dessein. J’ai fait la démonstration du contenu de ce concept dans une précédente note. J’y montrai comment une nouvelle latéralisation du champ politique est a l’ordre du jour dès lors que le précariat dissout les statuts à l’intérieur de toute la classe salariée. J’ai noté avec un immense plaisir la mise en exergue du concept de « précariat » à la une de « l’Humanité Dimanche ». C’est un mot « obus » que celui-là pour formuler nos nouveaux objectifs politiques et notre programme.

Ce programme là donne son contenu à notre entente. Elle s’appuie sur une alliance de partis clairement et durablement unis sur cet objectif. Notre union doit constituer un pôle de stabilité et de continuité. C’est un bien précieux au moment où le PS et le NPA vont entrer en turbulences, chacun à leur façon, à mesure qu’ils dénoueront les ambigüités actuelles de leur stratégie et de leur programme. C’est tout cela le Front de gauche à ce moment. C’est de cette façon que nous allons relever tous les défis de la période et notamment notre compétition à la fois avec le PS et avec le Front national. C’est parce que nous sommes entrés dans une crise de la démocratie elle-même que nous devons franchir un pas qualitatif important. Nous avons besoin que partout se déploient des comités d’action populaire, ouvert à tous. L’idée vise plus loin que de former de simples comités électoraux. Evidemment, à cette étape, c’est de cela dont ils s’agit. Mais tout le monde sait bien comment les choses se passent dans la vie ordinaire. La porosité à la société est totale dès qu’on réunit nos amis pour agir et non pour bavarder. De tels comités sont donc appelés à prendre en charge un large éventail de tâches. C’est cela qui constitue, tout ensemble, la conquête du pouvoir par les urnes. Et c’est cela, en même temps, qui prépare la conduite à venir de la révolution citoyenne. La révolution citoyenne en effet n’est pas seulement un slogan, un mot d’ordre. C’est la révolution. C’est-à-dire un ensemble de tâches précises inscrites au programme et qui sont impossibles à accomplir sans une profonde implication populaire.

Sur cette base voici ce que j’ai écrit pour le journal « l’Humanité Dimanche ». « Personne ne doit être repoussé du Front de gauche. Au contraire la main doit rester ouverte toujours envers ceux qui sont disponibles pour la révolution citoyenne, sans sectarisme ni esprit de règlement de compte des vieilles querelles. Le front de gauche est un front unitaire. A toutes les élections il présente des candidatures communes qui incarnent cette union. Elles prouvent l’addition des forces. Elles montrent leur articulation au processus populaire. Elle se préserve des tentations asphyxiantes de l’hégémonie des uns sur les autres, mais aussi des marchandages politiciens. Telle est la gauche que nous sommes : une nouvelle cohérence, stable, entre programme, stratégie et candidature. Mais tout commence par la confiance en soi et dans l’énergie populaire. Osons ! » Ça sera mon mot de fin pour ce sujet aujourd’hui. Je parie que ça fait de quoi discuter, non ?

Jean-Luc Mélenchon Décembre 2010


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message