Thomas Hobbes, penseur du droit de l’individu

mercredi 12 janvier 2011.
 

Contemporain de Descartes, le philosophe anglais faisait de la volonté individuelle la racine de l’institution juridique, ce faisant, il jetait les bases de la théorie libérale moderne. Hobbes et le sujet de droit, de Julie Saada, CNRS éditions, 2010. 25euros.

Par son originalité profonde comme par l’odeur de scandale de ses conclusions politiques, la philosophie de Thomas Hobbes a suscité une abondante littérature. Mais peu de commentaires avaient jusqu’ici prêté une attention soutenue à l’aspect proprement juridique de cette réflexion. Comprendre Hobbes comme penseur du droit, voilà l’objet du travail de Julie Saada. Pour dégager l’apport de ce philosophe aux conceptions modernes du sujet de droit, de la distinction entre loi naturelle et loi positive, de l’origine de l’obligation dans la société civile, il fallait l’abstraire dans une certaine mesure du modèle anthropologique d’une part, des effets politiques d’autre part, auxquels il est habituellement adossé. L’entreprise n’était pas aisée.

Ainsi, l’auteure montre que Hobbes a procédé à partir d’une critique des théories classiques de la loi naturelle. Avec Grotius, il est le penseur qui a introduit de façon décisive les objections sceptiques, redécouvertes à la Renaissance, dans la théorie juridique, tirant même des conclusions plus radicales que son prédécesseur. Les arguments qu’il en retient lui permettent de rejeter aussi bien la révélation chrétienne que la sociabilité de l’homme alléguée par les stoïciens comme fondements du droit naturel. Mais redoublant la critique, Hobbes retourne contre elle-même l’objection sceptique qui, opposant l’intérêt au juste, nie la possibilité d’une règle juridique universelle. Il montre que la poursuite de l’intérêt, loin d’empêcher tout accord entre les hommes, est au contraire l’unique fondement possible d’une normativité reconnue par tout être rationnel.

Selon Julie Saada, notre philosophe ne s’en tient pas là, et sa pensée ne peut être réduite à un utilitarisme. La maximisation de l’intérêt individuel est bien, chez Hobbes, le motif des déductions opérées par la raison que sont les lois naturelles. Mais pour que le droit devienne civil et positif, c’est-à-dire pour qu’il prenne la forme d’une obligation juridique valable pour tous en société, il faut ajouter une condition essentielle  : le consentement du sujet de ce droit. C’est la volonté affirmée de ceux qui décident de se lier par la voie d’un pacte, instaurant la souveraineté politique et créant ainsi l’ordre juridique, qui, de déductions rationnelles qui conseillent, fait des lois qui commandent.

À travers un tel schéma, nous fait observer l’auteure, Hobbes fait émerger une figure inédite de la subjectivité, celle d’un individu caractérisé à la fois par la poursuite de son intérêt propre et par sa capacité à s’obliger lui-même, faisant par ce geste surgir un ordre social et politique, pour ainsi dire ex nihilo  ; un individu, qui n’est autre que le sujet de droit de notre modernité.

Stéphanie Roza, philosophe


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