Entreprise Camaïeu (Roubaix) : 23 millions d’euros pour le patron, 1050 euros nets pour le salarié titulaire (29/1/2011)

mercredi 15 juin 2011.
 

Je suis allé à la rencontre des syndicalistes CGT en lutte de l’entreprise Camaïeu. En tous cas ceux qui pouvaient se libérer à ce moment-là. En fait c’était bien les principaux animateurs de la lutte. Le hasard a fait que deux élus socialistes se sont joints à nous pendant la rencontre. Ils avaient décidé de profiter de l’occasion pour remettre le chèque de soutien de leur section aux grévistes. Un geste apprécié et tellement rare ! Télé et radios qui se trouvaient là n’en ont pas perdu une miette et c’est très bien ainsi car cela devrait donner des idées à d’autres. Bon. C’est secondaire. Les gens avaient des valises sous les yeux. Deux camarades sont arrivés en retard le temps d’avoir pris leur douche. L’un paraissait épuisé. Mais si maitre de lui ! J’ai été accueilli par un militant aux traits tirés et qui vibrait encore de la journée de négociation. Dans la salle c’est une militante qui prend le relais. Elle sourit, elle blague. Elle aussi est épuisée. Quand elle s’est levée ensuite j’ai pris conscience de ses deux béquilles. Je l’interroge, un peu taquin parce que je sais que les gens n’aiment pas se montrer diminués et qu’une petite blague vide la gène. « Alors qu’est ce qui s’est passé ? », lançai-je ? Et elle avec le sourire : « trois accidents du travail ! Mes pieds c’est plus ça ! ». Et comme c’est moi qui accuse le coup, elle me lance avec un sourire : « c’est rien, il y a pire, on ne va pas se plaindre quand on voit ce qui se passe pour d’autres ».

Ici, les gens sont payés en moyenne 1050 euros par mois. La moitié des postes de travail est tenue par des intérimaires ou des contrats à durée déterminée. Leur boite est une multinationale qui compte près de 1000 magasins dans le monde dont le chiffre d’affaire est estimé à 1 milliard d’euros. Le bénéfice cette année a été de 100 millions. L’entreprise appartient au deux tiers au fonds d’investissement britannique Cinven. De plus, voila deux ans que les salariés ne touchent aucune prime d’intéressement, car les bénéfices récoltés à l’étranger ne remontent pas sur l’entreprise mère qui organise la répartition des marchandises livrées en Europe et en Asie qui se fait là à Roubaix. Donc c’est 1050 euros secs. C’est peu, très peu, même à Roubaix. Je raconte tout ça pour situer l’ambiance de la lutte. Le patron est parti en retraite et le nouveau est arrivé depuis huit mois. Celui qui est parti a levé ses stocks options. 23 millions ! Ok ? 2000 ans de paie mensuelle des employés. Ceux-ci se sont donc permis de réclamer 150 euros par mois. Et aussi la conversion de 200 postes d’intérimaires en CDI. Bref : le communisme dans sa version la plus dure, non ? Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est qu’il y a eu des gens des bureaux qui se sont joints à l’occasion aux gens de l’atelier. Et les grévistes ont bloqué les sorties de camions. Dès lors, a commencé une logique de répression qui serre le cœur quand on voit qui est aux prises.

D’un côté des gens du rang, luttant pour leur survie économique, des femmes seules élevant plusieurs enfants, de l’autre des pontes qui viennent d’arroser l’un des leurs d’une pluie d’or. Une intersyndicale CGT-CFDT-FO s’est constituée pour la lutte et elle a tenu bon jusqu’au bout. La direction, elle, a joué la peur en menaçant de sanctions lourdes les « meneurs de la grève » (dixit la presse) qui entravent la sortie des camions. Dès lors la lutte s’est concentrée sur le refus des sanctions. Les grévistes, souvent nouveaux dans l’action refusaient que leurs camarades soient punis. Ils ont pris sur eux de relancer le combat alors même que la presse donnait la mobilisation comme moribonde. Quand je suis arrivé à l’union locale CGT, un protocole de fin de conflit venait d’être signé. « Ce n’est pas un accord" insiste le délégué de l’entreprise. On comprend sa froideur. Bilan : cinq postes transformés en CDI et la négociation annuelle obligatoire avancée de quinze jours pour toutes les questions de salaire. Mais je suppose que beaucoup savent où est l’épineux dans ce type de contexte. C’est le paiement des jours de grève. Il n’y en aura pas. Notre bon maître a dosé avec une balance sadique les punitions : ceux qui ont fait grève trois jours seulement pourront les compenser en rendant des RTT. Ceux qui ont entre trois et six jours de grève n’auront pas cet « avantage » pour les trois derniers jours. Leurs jours de grève seront retenus cependant, par faveur bienveillante spéciale, sur plusieurs mois. Le knout est tenu de main ferme, on le voit. Mais est-ce que cela durera toujours ? Ces gens simples, ces travailleurs étaient fatigués et plutôt à bout de nerfs. Mais nullement démoralisés.


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