Chàvez no se va ! Et nous ?

mercredi 6 décembre 2006.
 

Imaginez une gauche qui gagnerait toutes les élections les unes après les autres. Et chacune plus largement que la précédente. Si un tel phénomène existait, on peut penser que les chefs sociaux-démocrates du monde entier, dont il faut bien dire que peu ont échappé aux gamelles électorales au cours de ces dernières années, s’y rendraient par avions entiers. Pour comprendre les clés de ce succès. Voire s’en inspirer.

Cette gauche existe bien. Au Venezuela, comme d’ailleurs Lula au Brésil, Hugo Chavez vient de remporter l’élection présidentielle en améliorant à nouveau ses résultats précédents. 56% en 1998, 59,7% en 2000 et 61,35% cette fois ci ! Et il n’obtient pas cette progression en mettant de l’eau dans son vin. Chavez conforte au contraire son évolution vers la gauche en se donnant dorénavant comme objectif la construction d’un socialisme du 21e siècle. Mais sur place il n’y a point de sociaux-démocrates pour s’en inspirer. D’ailleurs, le candidat du parti social-démocrate du Venezuela, Acciòn Democratica (membre de l’Internationale socialiste), Manuel Rosales, a été désigné comme candidat commun de l’opposition, soutenu par la droite dès le premier tour.

Une recomposition politique considérable s’est opérée en quelques années au Venezuela comme dans le reste de l’Amérique Latine. Elle répond aux désastres provoqués par la mise en œuvre des politiques néolibérales sur tout le sous-continent. La gauche s’est toujours réinventée contre le néolibéralisme, ennemi commun, mais l’a fait à partir de situations très diverses. Au Venezuela, Chavez est à la tête d’une coalition de groupes faibles, disparates et peu structurés, et a tout misé sur la refondation démocratique du pays, avec la convocation d’une Assemblée Constituante, la priorité politique aux pauvres avec les actions dites « d’inclusion sociale », une mobilisation constante de la société contre l’impérialisme américain qui est ici à la fois un voisin proche et un acteur directement impliqué dans la politique nationale, organisateur de putsch à ses heures. Chavez rencontre un succès à la fois interne et externe puisque la révolution bolivarienne sert désormais de référence à la gauche dans plusieurs pays voisins, et vient de l’emporter en Equateur et au Nicaragua.

Ce résultat nous parle, car le Venezuela n’est pas une réalité exotique et lointaine. C’est une situation particulière bien sûr, paroxystique par de nombreux aspects, mais qui montre à tous ceux qui luttent pour l’émancipation humaine qu’une alternative au libéralisme est possible dans des conditions effroyablement plus difficiles que chez nous, pour peu que l’on libère l’énergie du peuple populaire. Et qui suggère aussi que le socialisme du XXIe siècle ne sortira pas du ventre désormais stérile de la sociale-démocratie.

En Europe, le désastre libéral ne s’est pas encore produit avec la même violence qu’en Amérique du Sud. En revanche, les mêmes logiques sont partout en mouvement. Les peuples européens cherchent à tâtons une autre voie et la gauche finit toujours par être délaissée quand elle est incapable d’incarner une alternative. C’est alors l’extrême droite qui progresse.

A sa façon, la réunion des représentants des collectifs unitaires pour un rassemblement antilibéral de la gauche et des candidatures communes les 9 et 10 décembre s’inscrit dans ce processus de recherche d’une construction politique qui réponde au décalage entre les aspirations du peuple et une représentation politique massivement acquise à l’accompagnement du système. C’en est même l’une des clefs car les collectifs sont à la fois les porteurs de la mémoire et du sens du « non » de gauche du 29 mai dernier et le creuset éventuel d’une recomposition politique à venir.

Ce matin je lis que même le journal Libération souhaite qu’ils s’entendent sur un candidat commun pour l’élection présidentielle. A sa façon bien sûr. L’éditorial de Laurent Joffrin (qui il y a un an mettait en orbite Ségolène Royal dans le Nouvel Observateur) pèse son poids d’ignorance et de mépris. « Dès lors la conclusion est simple : il est logique, sain, quelque désaccord qu’on ait avec ce courant, qu’il soit bien incarné dans l’élection qui vient. Accepte-t-on ou rejette-t-on le principe de l’économie de marché ? Peut-on changer la société sans gouverner ? Doit-on privilégier l’utopie ou la réforme ? » Les griots du système s’acharnent à présenter la gauche de transformation sociale comme une survivance archaïque, condamnée à exercer dans l’opposition son goût de l’utopie. Ils n’ont décidément rien compris au vent qui se lève. Eux-mêmes sont sans doute orphelins des modèles qu’ils ont célébrés dans leur jeunesse. Mais la gauche en réinvention est tournée vers l’avenir. Et si nous saluons la victoire au Venezuela c’est parce qu’elle nous donne le courage d’autres ambitions que celle que les puissants nous assignent.


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