Un cadre organisationnel pour le front de gauche (tribune)

vendredi 11 février 2011.
 

Dépasser le cadre électoraliste.

Un cadre pour le front de gauche : une réponse possible à l’APPELhttp://www.gauchemip.org/spip.php?article15269

L’idée que le front de gauche doive se fixer un cadre de fonctionnement me paraît tout à fait judicieuse et fondamentale. Que chaque composante du front de gauche élabore, dans son organisation, ses propositions est tout à fait compréhensible du fait que ce travail fait partie de l’affirmation de leur identité propre liée à leur culture, leur histoire, leur manière particulière d’appréhender le monde et de vouloir le transformer.

N’oublions pas, en particulier, que le parti de gauche est un parti très jeune et qu’il a besoin de fixer ses propres repères qui ne peuvent être une simple importation des idées du PS ou du PCF , ATTAC. D’autre part, il n’est pas possible de mettre en commun des idées ou de les confronter si celles-ci n’ont pas été le résultat d’une élaboration préalable par chacune des composantes.

Mais ensuite, il paraît tout à fait nécessaire de créer une structure inter–organisationnelle permanente entre les composantes du front de gauche : le PCF, le PG et le GU et de se donner aussi les moyens organisationnels pour élargir cette structure à d’autres partis :FASE,NPA, M’ PEP, POF, etc. Que l’on appelle cette structure réseau, coordination, métastructure, ou autre, peu importe : l’important est qu’elle existe. Je l’appellerai, par commodité, réseau de coordination des forces de gauche alternatives (CFGA), mais on peut aussi interpréter le A comme anticapitaliste, antilibéral, si l’on veut.

Quel serait le rôle de cette CFGA ?

De mon point de vue, elle ne devrait pas se réduite à un simple organisme de préparation à des élections comme le voudrait la routine politique entretenue par les "chasseurs de sièges"

Cette CFGA aurait pour mission de construire un projet de société alternative, un programme de gouvernement commun à toutes les forces politiques situées à gauche du PS permettant ainsi de créer notamment au niveau local, une dynamique de construction du front de gauche et permettant à l’électorat d’avoir enfin un une organisation politique unitaire antilibérale sur laquelle elle puisse s’appuyer et avoir confiance. Le maintien du morcellement absurde antérieur des forces à gauche du PS a conduit à des scores électoraux désastreux. Tous ceux qui ont voulu "jouer perso" ont perdu leur crédibilité et se sont affaiblis. La bêtise ne consiste pas à faire des erreurs mais à ne pas tenir compte des expériences passées.

La décision d’élaborer un programme partagé constitue un pas en avant important mais la création de cette structure transversale qu’est la CFGA permettrait de dynamiser l’élaboration de ce programme en organisant mieux les contributions tant au niveau national qu’au niveau local.

La première tâche consisterait à définir ensemble des thèmes de réflexion communs. Ce travail, je suppose, a déjà été partiellement fait. Le préalable à tout travail coopératif consiste à faire de telle sorte que chaque intervenant ait une connaissance précise des représentations des uns et des autres sur une réalité ou un problème donnés, à défaut de quoi chacun risque de déformer la pensée des autres, ce qui rend alors le dialogue difficilement constructif.

Les propos tenus par certains responsables communistes m’inclinent à penser que ceux-ci n’ont qu’une connaissance approximative, voire fausse, de certaines positions des responsables du PG. J’ai de bonnes raisons de penser qu’ils n’ont pas lu, par exemple, le socialisme néomoderne de Jacques Généreux, concernant notamment le problème de la démocratie économique. Certains militants communistes , n’ayant pas actualisé leurs connaissances sur les positions du PG, restent prisonniers de leur vision ancienne de la social-démocratie et du réformisme fondé sur la collaboration de classes. Ils oublient que les responsables actuels du PG se réclament de l’héritage de Jaurès et de Marx, ce qui change considérablement la donne.

Il faut piger que le PG n’est pas le PS !

Mais pour être juste, il est aussi probable que nombre de militants du PG restent prisonniers d’une vision ancienne du PCF, n’ayant pas pris connaissance, d’une manière précise, des positions de leur dernier congrès : accusation, à tort, de productivisme par exemple.

Il faut donc que les uns et les autres "se remettent à niveau" pour éviter de perdre du temps sur des confrontations qui n’ont pas lieu d’être. Ce qui vient d’être dit, n’exclut évidemment pas l’existence de véritables divergences. Mais encore faut-il qu’elles soient réelles et non pas imaginaires !

La deuxième étape consiste à mettre en commun sur chaque thème abordé la réflexion de chacun, analyser les points de convergence et les points de divergence et essayer d’arriver à faire converger les représentations, les positions.

Les divergences persistantes font l’objet d’un constat transmis aux comités locaux pour examen.

La troisième étape consiste à organiser tous les thèmes abordés en une totalité systémique et ordonnée pour définir un nouveau projet de société en rupture avec le néolibéralisme dévastateur actuel. Ce travail peut paraître insurmontable mais il n’en est rien car un seul homme, comme Jacques Généreux, a été capable de mener à bien une telle entreprise dans son livre Le socialisme néomoderne qui ne se contente pas de dresser un simple catalogue programmatique de gouvernement mais reconsidère aussi les fondements de notre philosophie politique qui sont à la base de notre démocratie républicaine. Cet exemple montre que les « intellectuels organiques » liés au front de gauche, pour utiliser la terminologie de Gramsci, peuvent apporter aussi leur contribution très importante.

La quatrième étape consiste à définir un programme de gouvernement déclinant par des mesures concrètes les orientations du projet de société précédemment défini.

Là encore, l’interdépendance entre les différentes mesures envisagées doit être clairement mise en évidence.

Prenons deux exemples : augmenter les aides au logement pour les locataires sans limiter la hausse des loyers ne sert à rien. Lorsque la gauche a fait voter en janvier 2002 la loi de modernisation sociale avec son article 107 qui redéfinissait la liberté de licenciement, le conseil constitutionnel a déclaré cet article 107 non conforme à la constitution après saisine du conseil par plusieurs dizaines de députés de droite. J’invite tous les champions de l’interdiction des licenciements boursiers à lire attentivement l’arrêté du conseil constitutionnel accessible avec le lien suivant : http://www.conseil-constitutionnel....

Ce texte est très riche d’enseignements pour qui veut comprendre l’articulation entre nos institutions politiques et le pouvoir économique des possédants.

Le lecteur comprendra alors que, proclamer dans une plate-forme politique "l’interdiction des licenciements" n’est qu’un coup d’épée dans l’eau, un simple effet d’annonce ou une mystification, si l’on ne prévoit pas les changements institutionnels nécessaires. Il appartient, à la CFGA, avec l’aide de juristes, de déterminer, les mesures économiques et sociales du programme impliquant un changement radical d’institutions. Il ne suffit donc pas d’une simple analyse politique générale (séparation des pouvoirs, plus de pouvoir au parlement,...) pour proposer de nouvelles institutions plus démocratiques. Il faut aussi que celles-ci rendent possibles et, pour le moins, ne soient pas contradictoires avec, les mesures économiques et sociales du programme. C’est la raison pour laquelle je parle d’approche systémique non pas pour se gargariser de mots savants, mais pour montrer que les mesures du programme sont toutes inter-reliées, d’une manière ou d’une autre, d’autant, comme l’a montré brillamment Marx, l’économique n’est pas dissociable du politique.

Cet exemple montre combien Jean-Luc Mélenchon a raison de considérer que le changement d’institutions est fondamental et est un préalable à toute transformation socio-économique profonde. L’exemple précédent, mais on pourrait en citer d’autres, va donc dans le sens de ce que préconise Jean-Luc Mélenchon : la mise en place d’une assemblée constituante, non seulement pour sortir de la monarchie républicaine de la Ve république, mais aussi pour pouvoir rendre applicable les mesures économiques et sociales prévues par le programme partagé sans que celles–ci soient immédiatement remises en cause par les recours constitutionnels des forces politiques de droite.

La cinquième étape consiste à solliciter les comités locaux ou régionaux pour se saisir des textes mis au point par la CFGA, sachant que ces textes servent d’orientation, de lignes directrices, de pistes pour la discussion et peuvent être amendés, transformés, complétés.

Ce genre de démarche est familier pour les militants du PCF, des grandes organisations syndicales lorsque les militants de ces organisations amendent les motions de congrès élaborées par les représentants nationaux.

Mais cette démarche, appelons-la traditionnelle, pourrait être complétée par une démarche ascendante et horizontale : les comités locaux devraient avoir toute liberté pour proposer des idées, des orientations qui ne seraient pas contenues dans les textes de la CFGA, ou encore, considérer que certaines de ces orientations sont inappropriées. Rien empêche non plus des comités départementaux de se coordonner au sein d’une même région. Ces collectifs locaux peuvent faire travailler ensemble des militants des sections locales du PCF, des comités locaux du PG, NPA, M’MEP, etc. Les moyens modernes de communication peuvent être utilisés à cette fin. Les différentes organisations locales peuvent aussi confronter leurs positions nationales respectives aux textes de la CFGA.

L’expérience passée des élections régionales et la préparation actuelle des élections cantonales ont déjà permis, en plusieurs endroits, la constitution de collectifs locaux incluant un front de gauche élargi, comme cela se passe actuellement dans le département de l’Yonne par exemple. La perspective des élections constitue un élément motivant pour se faire rencontrer et faire travailler ensemble les forces de l’Autre gauche : ceci constitue donc un point d’appui non négligeable pour aller plus loin ensemble dans la réflexion politique et contribuer ainsi à l’élaboration d’un projet et d’un programme communs.

La sixième étape, après remontée des propositions des collectifs locaux, consiste à faire la synthèse finale pour l’élaboration du projet de société et du programme de gouvernement

La septième étape consiste en la désignation par le front de gauche, de préférence élargi, d’un candidat choisi parmi les candidats proposés : Mélenchon, Chassaigne, ou autres.Il y a évidemment plusieurs modalités de désignation possibles. Ce devrait être à la CFGA de décider de ces modalités.

Jacques Jakubowicz, adjoint communiste au maire de Bondy, dans l’Humanité du 6 janvier 2011, dans un article intitulé : Un projet populaire, des forces militantes unies (voir le lien : http://humanite.fr/05_01_2011-un-projet-populaire-des-forces-militantes-unies-461436 ) sans renier son identité, mais sans tomber dans le piège du clanisme, fait preuve d’un grand bon sens : "mais la question à nous poser avant tout, c’est  : de quelle politique le candidat du Front de gauche (Mélenchon, Chassaigne ou un autre) sera-t-il porteur ? Et la seule chose qui doit nous importer, c’est  : qui sera le meilleur pour défendre ce programme, ces idées  ? Un programme et des idées qui ne seront pas ceux de Mélenchon ou de Chassaigne, mais ceux définis ensemble avec les forces qui composent le Front de gauche... . Il faut des forces militantes unies, décidées à mener campagne quel que soit le candidat ou le ticket retenu."

La huitième étape consiste à étudier le problème des alliances : avec le PS et avec Europe Ecologie-les Verts.

La méthode de travail est relativement simple : la CFGA examine les programmes et les engagements de ces organisations sur les thèmes économiques et sociaux déjà étudiés et fait le point sur l’état des convergences et des divergences.

Il fait aussi un bilan en positif et en négatif de leurs actions dans les régions, de leurs votes lors de la dernière législature dans les différents assemblées : assemblée nationale, Sénat, parlement européen. À partir de cet état des lieux, la CFGA définit son système d’attente par rapport à ces organisations : infléchissements, modifications d’orientation souhaitables, etc. et décide du type d’alliance qu’il serait possible de contracter.

Observons que ce problème des alliances avec la mouvance réformiste - mouvance qui ne remet pas en cause les fondements du système libéral -, ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la réflexion politique et n’apparaît qu’à la huitième étape, après l’élaboration du projet et du programme de gouvernement du front de gauche. Cela rompt avec une conception étriquée et électoraliste de la vie politique.

Qu’il puisse exister des divergences entre les organisations du front de gauche élargi sur cette question des alliances est possible mais cela ne justifie en rien le refus de vouloir construire ensemble un projet politique alternatif à celui de la droite et du PS et de tout autre mouvement réformiste. Le projet du front de gauche ne se définit pas contre le PS, contre Sarkozy, contre Le Pen ou autre, mais contre le système capitaliste actuel et pour l’affirmation d’une politique économique, écologique et sociale nouvelle, définie d’une manière autonome et offensive, sans être tributaire réactivement, en négatif comme en positif, des positions des autres partis. Cette manière de voir a aussi un autre avantage : ne pas tomber dans la personnalisation du politique dont sont tant friands les médias, faute de pouvoir discuter des questions de fond. On peut comprendre parfaitement les grandes réticences du NPA a contracter des alliances avec le PS, mais on comprend beaucoup moins que ce problème d’alliance avec le PS empêche tout travail d’élaboration en commun. L’existence d’un programme populaire commun à toutes les forces politiques situées à gauche du PS constituerait pourtant une avancée historique puisqu’elle serait alors susceptible de devenir largement majoritaire.

Sans l’existence d’un tel programme, les belles unités d’action lors des grandes manifestations que l’on ait pu connaître depuis de nombreuses années, restent sans lendemain. Une vraie unité durable se fait avec la tête et non pas avec les pieds.

La neuvième étape consiste en la popularisation du projet de société et du programme de gouvernement du front de gauche. Il ne suffit pas d’avoir un bon programme, encore faut-il qu’il soit connu, correctement expliqué et compris par le plus grand nombre. Se pose donc le problème fondamental de l’audience des représentants du front de gauche, tant au niveau local que national.

La plupart des médias étant contrôlés par la grande bourgeoisie, ils sont principalement mis à disposition de l’UMP et du PS qui ne sont pas des partis anti-système remettant en cause les privilèges exorbitants des grandes fortunes, par exemple.

Le front de gauche devrait donc se battre sur deux terrains, en réfléchissant collectivement, aux stratégies médiatiques à adopter. Le terrain des grands médias nationaux et locaux, le terrain de la mobilisation populaire pour faire que les 3 ou 4 millions de personnes présentes dans les différentes manifestations ces dernières années soient partie prenante dans la diffusion et l’explication du projet et du programme auprès de la population. Facile à dire évidemment, mais pas facile à faire. La division des forces à gauche du PS ne permettrait pas de réaliser un tel dispositif d’action. En revanche, si un front de gauche élargi et combatif, bien organisé au niveau local, se constituait, alors ceci ne serait pas impossible, et dans ce cas, le représentant du front de gauche, alors crédible pour une majorité de l’électorat, remporterait environ 60 % des voix aux élections présidentielles de 2012.

Les élus actuels du front de gauche qui constituent d’une certaine manière, sans sens péjoratif, l’encadrement politique de celui-ci, n’ont pas un emploi du temps extensible : ils auraient intérêt à alléger, pour un temps, leurs tâches de représentation et consacrer plus de temps à l’organisation du cadre dont il a été question ici.

PS : pour éviter tout contresens concernant cet article, je considère comme une bonne chose que Jean-Luc Mélenchon n’ait pas attendu plus longtemps pour se proposer comme candidat, compte tenu des éléments suivants :

- la création récente du PG et la modestie actuelle de ses effectifs nécessite du temps pour se faire connaître à la totalité de la population électorale.

- Jean-Luc Mélenchon est obligé de faire un travail de déminage, en quelque sorte comme un éclaireur sur un terrain miné, compte-tenu des tirs de barrage médiatique de la forteresse financière et de toutes les diversions possibles à démasquer, pour tous les points cardinaux. Cela demande du temps, surtout pour l’expliquer aux auditeurs.

- Jean-Luc doit aussi faire face, comme tout autre présentant de l’Autre gauche, à la loi du silence hargneux à son égard, appliquée par certains grands médias peu enclins à l’inviter. La durée de la campagne permet de déjouer partiellement cette stratégie de la chape de plomb.

- Même si les propositions de JLM sont encore incomplètes, du fait que le programme partagé n’est pas encore complètement élaboré, ses interventions informent l’électorat suffisamment tôt pour qu’ils sache qu’ il aura à sa disposition d’autres solutions que celles proposées par les partis qui ne veulent pas "châtier" les fauteurs de crise : l’UMP, PS, FN et consorts.

Ce n’est pas à deux mois des élections que l’on peut faire réfléchir les gens sur un programme ambitieux et donc quelque peu complexe, même si l’on essaie d’être le plus concis possible

Hervé Debonrivage


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