Débat avec Leila Shahid sur les mouvements au Maghreb et au Moyen Orient

mardi 22 février 2011.
 

Madame Leila Shahid, représentante de l’autorité palestinienne auprès de l’Union européenne était présente à la réunion du groupe de la GUE pour nous parler des révolutions au Maghreb et au Moyen Orient. Son approche est très intéressante. Elle met en avant des arguments anthropologiques plutôt que géopolitiques. Elle retient donc les caractéristiques communes des sociétés en révolution du point de vue des individus qui les composent. Dès lors ces révolutions perdent tout caractère exotique. Selon elle, ces révolutions partent d’une société civile commune, en dépit des frontières. Avec une langue commune, l’arabe. Des télévisions communes, un cinéma commun, des chanteurs communs, des jeunesses éduquées mais précarisées, des couches moyennes déclassées. Politiquement la situation est commune : d’un côté une oligarchie, de l’autre un peuple dépossédé de droits civiques réels. Economiquement la situation est également commune : le libéralisme éradique toutes les structures de cohésion sociales, quelles qu’en soient les formes. Regardez bien cette liste. Est-ce que ce ne sont pas les mêmes caractéristiques de départ que celles des révolutions d’Amérique du Sud ? Et puis cette liste est aussi celle de nos propres caractéristiques nationales, en France. Avec en plus deux connexions spéciales entre ces révolutions et nous Français. Cette connexion c’est que nous avons l’usage d’une langue en commun, la langue française. Jamais autant de gens ne l’ont parlée de l’autre coté de la Méditerranée. Et encore une autre caractéristique : des millions de bi-nationaux. Jusqu’à 20% de la population tunisienne est bi-nationale franco-tunisienne a dit Benjamin Stora à Grenoble. Et cela parmi une population immigrée venue d’Afrique du Nord nombreuse, active et impliquée dans la vie de notre pays.

Mais des partis politiques capables de porter les aspirations de cette société civile émergeront-ils à temps pour que la révolution ne soit pas confisquée, lui ai-je demandé ? Elle a répondu en commençant par montrer que la revendication centrale était la constitution d’un Etat de droit. Elle voit deux points d’ancrage à cette aspiration. D’une part une Constituante qui abroge les dispositifs confiscatoires de la démocratie. D’autre part un mécanisme de responsabilisation des pouvoirs en place et de contrôle permanent sur eux. Tout cela c’est ni plus ni moins que le contenu et la méthode de la révolution citoyenne. Dès lors, elle pense que la « forme parti » n’est pas celle qui s’impose à ce moment de la révolution. Car elle diminuerait l’ampleur de l’implication populaire dans la révolution. Je crois que cela vaut la peine d’être réfléchi. Certes, dans les processus révolutionnaires, qui de surcroit détruisent des partis-Etat, la forme parti n’est pas l’outil de la révolution. Notons que cela n’a jamais été le cas nulle part et dans aucun cas de révolution, incluse celle de 1917. Celle-ci engendre ses propres organes. Aujourd’hui ce sont des comités de quartier ou de village, principalement. Mais les syndicats jouent un grand rôle. On l’a bien vu en Tunisie où l’UGTT a fourni tout l’encadrement de l’action dans les campagnes par l’intermédiaire des travailleurs syndiqués qui y vivent. Pour autant la structuration en partis se produit mécaniquement sitôt que la conduite des objectifs révolutionnaires donne lieu à des oppositions de points de vue et même d’intérêts entre les catégories de population impliquées. Mais, bien sûr, la forme que prend cette structuration peut être de mille et une sortes différentes. Sans aller plus avant sur le sujet, ne serait ce que parce que je manque de tant d’éléments et de savoirs pour en parler, j’en reviens à mon intuition de départ. Les révolutions de la Méditerranée ne se contentent pas de nous concerner. Elles nous impliquent et elles doivent nous instruire.


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