Le nouveau miracle économique allemand : petits boulots et salaires de misère

vendredi 25 février 2011.
 

La croissance spectaculaire du Produit national brut de 3,6 % l’an passé a surtout été nourrie par les Etats du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), d’une part donc par des pays producteurs de matières premières et d’autre part par la Chine, qui, en novembre 2008, avait lancé un programme conjoncturel de 390 milliards euros, qui jouera le rôle de locomotive pour l’ensemble de la région de l’Asie du Sud-Est. Les exportations de marchandises en direction du Brésil ont progressé de 61,3 % en 2010, celles vers la Chine de 55,5 % et vers la Russie de 18,3 %. La prime à la casse des voitures et le programme conjoncturel ont fait le reste – instruments classiquement keynésiens s’il en est.

L’emploi contre le salaire

Les mesures prises par les partenaires sociaux ont aussi contribué à maintenir une paix relative sur le marché de l’emploi – ainsi le règlement du chômage partiel (la part patronale des charges sociales a été prise en charge par les caisses publiques). L’institut syndical WSI relie l’absence d’une grande vague de chômage à la pratique conventionnelle dite de la «  sécurité de l’emploi  », introduite à partir des années 90 et qui a fait tache d’huile depuis. Lorsque le carnet des commandes est un peu faiblard, elle prévoit que l’entreprise peut réduire le temps de travail et donc le salaire. Toutefois, l’institut n’est pas en mesure de fournir une évaluation précise de ses effets. Finalement, la flexibilité du travail a bien fonctionné  : les comptes d’épargne du travail ont été remis à zéro et les travailleurs et travailleuses ont accumulé une dette en heures de travail qui sera remboursée lors de la reprise. Les syndicats pratiquant le partenariat social peuvent donc se sentir encouragé dans leur option de prioriser la sécurité de l’emploi en échange de réduction du salaire et de mise en veilleuse de la question de la réduction du temps de travail.

C’est une époque difficile pour la résistance et la protestation sociales. Lorsque les «  amortisseurs sociaux  » (comme l’on dit en Italie) agissent, on fait le dos rond et l’on est content lorsque la mitraille passe par dessus. Reste la peur au ventre et le sentiment diffus qu’il n’est pas possible que le tsunami des licenciements de masse et des réductions de salaire engloutisse le paysage tout autour de soi et que l’on reste seul survivant. Mais la peur n’a jamais nourri la volonté de résistance.

Il y a toutefois eu une exception intéressante, celle de la manifestation de Nuremberg, avec ses 35’000 participant(e)s, un nombre qui surprit tout le monde et d’abord l’organisateur, le syndicat IG Metall. En Allemagne méridionale, on explique cela ainsi  : la pauvreté et le chômage n’étaient jusqu’alors pas à l’ordre du jour, sauf dans quelques régions. La crise de 2008 a pour la première fois frappé partout et le risque de l’effondrement est devenu manifeste – que l’on pense à la crainte exprimée par l’IG Metall du Bade-Würtemberg de voir la récession économique entraîner une vague de faillites de petites et moyennes entreprises dans le Jura souabe. La participation massive à la manifestation de Nuremberg traduit cette crainte et la révolte contre la perspective de perdre durablement un emploi sûr et encore bien payé pour s’engager sur la voie de la précarité, empruntée depuis longtemps par le reste de la république.

Précaires et intérimaires

Ceux et celles qui ont effectivement payé la crise, ce sont les intérimaires. Un tiers du « miracle allemand de l’embauche » s’est produit grâce à eux. Ils ne sont qu’à peine syndiqués, ont souvent des emplois sans lendemain, qui ne leur ouvrent pas les portes de l’assurance-chômage de premier degré et forment la plus grande partie des «  érémistes  » de la loi Hartz IV.

Les chômeurs et chômeuses ont aussi eu et ont encore l’occasion de descendre dans la rue, car la réforme de la loi Hartz mise en place par Madame von der Leyen (ministre fédérale du Travail, démocrate-chrétienne, réd.) implique, finalement, des réductions considérables de l’aide. Le prix du nouveau miracle de l’emploi on le trouve auprès des intérimaires, dans le développement du secteur des bas salaires, dans le gonflement du sous-emploi et dans l’augmentation sensible de la pauvreté. L’Allemagne est championne d’Europe du développement des bas salaires  : quiconque relie cela à la priorité aux exportations est un farceur...

Ces mécanismes de gestion de la crise ne vont pas au-delà du très court terme. La prime à la casse des voitures tourne le dos aux objectifs déclarés du gouvernement en matière de climat ; le programme conjoncturel a échoué à orienter socialement et écologiquement la relance. La priorité aux exportations mène dans une impasse, car elle est fragile et créée en outre de grands déséquilibres. Les projections pour cette année et l’année suivante sont déjà en baisse. Et le printemps du keynésianisme est terminé  : la crise de l’euro a fourni un prétexte bienvenu au gouvernement allemand pour faire un tournant en direction du frein à la dette et des économies budgétaires. Non, la crise n’est pas derrière nous et il est à craindre que les vraies difficultés soient encore à venir.

Angela Klein

KLEIN Angela

* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°183 (17/02/2011), p. 7. Original allemand : «  Sozialistsche Zeitung  », février 2011. Adaptation et traduction de la rédaction de « solidaritéS ».


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