Lybie « Il faut briser le tyran pour l’empêcher de briser la révolution » (interview de Jean-Luc Mélenchon dans Libé le 21 mars)

samedi 26 mars 2011.
 

A l’heure où j’écris, la scène semble évoluer très vite. De tous côtés s’expriment des voix qui dénoncent l’évolution de l’intervention. Je la note avec inquiétude ! De la création d’une zone d’exclusion de l’espace aérien, on passe à un bombardement généralisé des installations au sol de l’armée libyenne. De l’action de l’ONU on semble vouloir passer à celle de l’OTAN. Le regain d’activité des mouvements révolutionnaires dans les autres pays semble être lié au sentiment que les tyrans peuvent être bloqués par l’action internationale. Et cela semble avoir refroidi quelques excellences de la Ligue Arabe directement intéressées à la répression chez eux. C’est le moment pour moi de rappeler mes raisons dans le contexte. Non seulement je renvoie à ma précédente note sur le sujet mais j’y ajoute ici l’interview que j’ai donnée au journal Libération sur le sujet dimanche après midi. Et parue lundi 21 mars. Sous le titre « Il faut briser le tyran pour l’empêcher de briser la révolution », mes propos ont été recueillis par Lilian Alemagna.

« Pourquoi soutenez-vous les frappes aériennes en Libye ?

La première question à se poser est la suivante : y a-t-il un processus révolutionnaire au Maghreb et au Moyen-Orient ? Oui. Qui fait la révolution ? Le peuple. Il est donc décisif que la vague révolutionnaire ne soit pas brisée en Libye. Il suffirait que Kadhafi l’emporte pour que le message soit : « Celui qui tire le plus longtemps et le plus dur sur son peuple pendant une révolution a gagné. » Ce serait alors le signal désastreux d’une victoire de la contre-révolution ! Ma position est constante : je suis partisan d’un ordre international garanti par l’ONU. Je suis donc très frappé de voir que les commentaires utilisent un vocabulaire qui n’est pas celui de la situation. On parle de « coalition ». Mais ce n’est pas une coalition. On parle d’un « état de guerre avec la Libye ». Il n’y a pas de guerre avec la Libye. Ce vocabulaire montre à quel point l’habitude de se référer à l’ONU a été perdue.

On vous a connu pourtant beaucoup plus critique sur les interventions militaires… Pourquoi, par exemple, avoir voté pour la résolution du Parlement européen ?

Cette résolution, présentée par les sociaux-démocrates, les Verts, une partie de la droite et signée par le président de mon groupe [Gauche unie européenne, ndlr], Lothar Bisky, membre de Die Linke, demandait à la Commission de se tenir prête en cas de décision de l’ONU. Je l’ai votée pour cette raison. J’approuve l’idée qu’on brise le tyran pour l’empêcher de briser la révolution. L’ONU a ensuite pris cette position alors que la Russie et la Chine d’une part, et le Brésil et l’Inde d’autre part, d’habitude extrêmement sourcilleux sur les questions de souveraineté nationale, se sont abstenus. S’ils n’ont pas voté contre, cela prouve que les raisons d’agir sont fortes.

Dans votre camp, tout le monde n’est pas pour cette intervention. Les communistes dénoncent notamment un « risque d’escalade »…

Il y a bien sûr un risque d’escalade, mais je craindrais davantage le risque de massacre !

J’approuve donc le mandat de l’ONU. Mais rien de plus. Je suis contre l’intervention terrestre. Nous ne sommes pas en guerre avec la Libye. J’adjure de comprendre : il ne faut pas que le dernier mot reste à la force contre une révolution ! J’ai voté la résolution du Parlement européen en accord avec la direction du PCF et de la Gauche unitaire, en accord avec mon collègue eurodéputé communiste Patrick Le Hyaric. Mais quelles sont les alternatives ? Ce n’est pas avec des communiqués que l’on pourra abattre un Mirage ou détruire un char ! Si le Front de gauche gouvernait le pays, aurait-il regardé la révolution libyenne se débattre comme nos prédécesseurs ont regardé les révolutionnaires espagnols mourir ? Non. Serions-nous intervenus directement ? Non. Nous serions allés demander à l’ONU un mandat. Exactement ce qui vient de se faire. Je peux appuyer une démarche quand l’intérêt de mon pays coïncide avec celui de la révolution.

Votre démarche tranche quelque peu avec vos oppositions à la guerre du Golfe, en 1991, aux interventions au Kosovo et en Afghanistan…

Il y a une différence fondamentale ! Toutes ces guerres se sont faites sur décision unilatérale de l’Otan. Dans le cas présent, au contraire, l’intervention se fait sous mandat de l’ONU. C’est décisif : il n’y a pas d’ordre international possible qui ne procède de l’ONU. Mais vous savez, il faut généralement quelques années pour que mes formules à l’emporte-pièce tombent dans le domaine public… Prenez l’exemple de l’intervention de l’Otan au Kosovo. Quelle trouvaille ! Reconnaître cet Etat croupion dirigé par des voyous qui faisaient du trafic d’organes… Que n’a-t-on pas entendu à l’époque sur ces pauvres victimes de la sauvagerie serbe ! Pour l’Afghanistan, je ne trouve personne me dire aujourd’hui qu’y être allé est une bonne chose. Quant à la guerre en Irak, quelle merveille ! Depuis vingt ans, mes positions ont toujours été fermes et constantes : je me suis toujours opposé à ce qui n’était pas l’ONU. Si la Russie et la Chine avaient mis leur veto à la résolution et que l’Otan avait décidé d’intervenir, j’aurais été contre l’intervention.

Dans le cas de la Libye, vous êtes donc d’accord avec le droit d’ingérence…

Non. Le droit d’ingérence n’existe pas et j’espère qu’il n’existera jamais. Ce qui compte, pour moi, c’est la référence du devoir pour un gouvernement de protéger sa population. Kadhafi tire sur sa population. Au nom du devoir de protéger, l’ONU demande d’intervenir.

Comment jugez-vous l’attitude de Nicolas Sarkozy dans le dossier libyen ?

La politique menée est conforme à l’intérêt de la France : être lié avec le monde maghrébin. Il n’y a pas de futur possible pour la France si elle est opposée au sentiment majoritaire des populations au Maghreb, c’est-à-dire pour la liberté et contre les tyrans. La France a joué deux très mauvaises cartes avec la Tunisie et l’Egypte. Nicolas Sarkozy s’est rendu compte qu’il était allé trop loin.

Et celle d’Hugo Chávez ?

Ses analyses partent toujours d’un point de vue strictement latino-américain. Pour lui, l’ennemi principal, ce sont les Etats-Unis d’Amérique. On comprend pourquoi. Chavez se prononce pour une médiation et contre une intervention militaire. Sa position n’est pas d’appuyer Kadhafi. Si c’était le cas, je la condamnerais. Le président Chavez doit comprendre que l’intérêt des progressistes du monde est qu’aucun tyran ne vienne à bout de son peuple »

Propos recueillis par Lilian Alemagna.

Je crois que cette explication de vote est assez claire. Je comprends parfaitement qu’elle ne soit pas partagée. Ces sortes de questions sont très délicates à manier en accord avec des principes fermes et concrets. Je ne souhaite pas en faire une ligne de démarcation idéologique. D’autant que l’évolution de la situation sur place peut me conduire à exprimer une appréciation différente sur l’action en cours conformément aux principes que je viens de rappeler.

La Libye en débat au parlement européen (par Jean-Luc Mélenchon)


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