1871-2011 : la Commune est-elle toujours moderne ?

samedi 2 avril 2011.
 

Il y a cent quarante ans, 
les communards avaient innové 
en offrant de nouveaux pouvoirs aux citoyens, garants d’une démocratie plus directe : révocabilité des élus, mécanismes autogestionnaires, etc. Peut-on 
s’en inspirer aujourd’hui ?

François Hollande. La Commune a laissé une empreinte indélébile sur notre République. La démocratie est un bien précieux qu’il nous faut préserver et entretenir sous peine de profondes tensions dans notre société. Mais si je reconnais que l’émergence du droit de pétition et celle du référendum d’initiative populaire peuvent être des avancées majeures, la démocratie directe ne peut se substituer à la démocratie représentative. Les procédures de contrôle et de concertation doivent être renforcées. Et un nouvel acte de la décentralisation doit contribuer à élargir les responsabilités locales.

André Chassaigne. L’exemple des droits et pouvoirs confiés aux citoyens pendant la Commune doit toujours nourrir notre conception de l’exercice démocratique. L’intervention populaire est à la fois le but et le moyen d’une démocratie active. L’affaiblissement du débat démocratique dans notre société, le rejet de la politique tiennent pour une large part à la confiscation de la parole et de l’intelligence populaires. La classe dominante prône d’ailleurs la même idéologie réactionnaire que la « bonne société » du XIXe siècle, fondée sur les supposés dons et mérites individuels, censés limiter l’intervention politique à quelques spécialistes.

Le mandat de Nicolas Sarkozy 
a été marqué par une dérive très personnelle du pouvoir. Faut-il convoquer une Constituante pour changer de République ?

André Chassaigne. Tous les chefs de l’État ont exploité les ressorts de la Ve République dans l’objectif de concentrer les pouvoirs. Avec Nicolas Sarkozy, nous atteignons le paroxysme de la pratique politique personnelle, notamment parce qu’il n’a eu de cesse de limiter le rôle du Parlement avec l’appui de sa majorité. Mais il s’inscrit dans une certaine continuité. On voit bien que la Constitution de la Ve République, par elle-même, n’est pas à même de garantir des principes essentiels comme la séparation des pouvoirs ou le plein exercice du domaine législatif par le Parlement. Nous devons travailler collectivement à la définition d’une VIe République sociale et solidaire.

François Hollande. Cette hyperprésidence est une lecture déformée des institutions de la Ve République qui contenait déjà un risque de déséquilibre. Avec Nicolas Sarkozy, le président n’est plus un arbitre ni même le chef de l’exécutif, mais l’acteur unique. Le Parlement est chaque jour amoindri et la réforme constitutionnelle de 2008, loin de le renforcer, l’a encore abaissé. Mais je ne suis pas favorable à la convocation d’une Assemblée constituante. Réconcilier le peuple français avec la politique suppose le respect de la séparation des pouvoirs et l’application du principe de responsabilité. Pas besoin d’une nouvelle Constitution. Le bon usage de la Ve République serait déjà un immense progrès.

La Commune a favorisé la mise en place d’une démocratie complète, en ouvrant des droits sociaux et économiques. Cette conception n’est-elle pas résolument moderne ?

François Hollande. Une chose est sûre, c’est que la gouvernance au sein de l’entreprise ne peut plus durer ainsi. Elle conduit à une inefficacité économique et à une frustration sociale. L’entreprise n’est pas un lieu hors la République. Elle doit avoir des règles de bonne gestion humaine et de respect des travailleurs.

André Chassaigne. Il faut mesurer à sa juste valeur l’avance sur leur temps des idées des communards. Alors que nous vivons une nouvelle crise majeure du capitalisme mondialisée, les droits d’intervention des salariés et des citoyens dans l’entreprise deviennent indispensables. Comment agir efficacement pour réorienter les modes de production en faveur de la satisfaction des besoins humains et du respect de l’environnement sans confier à ceux qui produisent de véritables pouvoirs d’orientation ? La gauche doit revoir en profondeur les lois Auroux de 1982 afin de promouvoir une économie humaine, sociale, écologique.

N’est-ce pas la capacité à s’appuyer sur le peuple qui a manqué aux différents gouvernements de gauche pour oser s’attaquer aux puissances d’argent  ?

André Chassaigne. La dépossession politique n’est pas une fatalité. Mais pour cela il faut créer les conditions pour que les citoyens réinvestissent le champ politique en faisant appel à leur intelligence, en leur faisant prendre conscience qu’ils ont leur destin en main. C’est de loin l’exercice le plus difficile. Je pense bien sûr aux classes populaires, aux ouvriers, aux employés, à tous les exclus et privés d’emploi. Leur redonner le pouvoir, c’est redonner à la politique ses lettres de noblesse.

François Hollande. Je ressens au sein du peuple une immense frustration, qui a sans doute connu son paroxysme lors du mouvement des retraites. C’est pourquoi, en 2012, nous aurons une grande responsabilité, celle de lever un espoir crédible. Mais pour mettre en œuvre cette ambition, il nous faudra le concours de l’ensemble des forces de changement, sans lesquelles nous ne pourrons pas transformer le pays.

Comment le politique peut-il reprendre le pouvoir sur le financier  ?

François Hollande. Lors de la crise financière nous avions une occasion unique d’instaurer une régulation mondiale. Le rapport de forces était en faveur des États, et les banques proches de la faillite étaient prêtes à accepter ce qu’elles refusent à présent. Les États, eux, se sont affaiblis en creusant des dettes exorbitantes qu’il nous sera désormais coûteux de rembourser. La première des priorités pour humaniser le système économique est donc de fixer les règles, de lutter contre la spéculation et de réduire les inégalités.

André Chassaigne. La logique de délégation de nos institutions s’est progressivement doublée d’une place exorbitante confiée à une petite « expertocratie » qui se substitue à la délibération citoyenne. L’exemple de la finance est affligeant. Avant 2008, tous les experts voyaient dans la déréglementation et l’extension des marchés financiers le moyen d’assurer la croissance mondiale. Nous avons vu le résultat. Il faut lutter contre l’idée qui s’est installée partout, selon laquelle il y a « ceux qui savent » contre ceux « qui ne peuvent pas comprendre ». Place au peuple, place à la Commune  !

(*) Ces entretiens ont été réalisés séparément puis croisés par nos soins.

Entretiens (*) réalisés par Sébastien Crépel


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