Les vents du changement démocratique dans le monde arabe : cas du Maroc (par Med Bahdod)

mardi 12 avril 2011.
 

Des vents très forts de changement démocratique soufflent actuellement sur le monde arabe, après une très longue absence. Ils ont touché jusqu’à maintenant principalement la Tunisie, l’Egypte, et la Libye ; partiellement le Yémen, le Maroc, l’Algérie, le Bahrain, Oman.. ; et se prêtent -peut être- à toucher les autres pays.

Quelles sont les ressemblances ou les différences entre ces pays à ce sujet, le cas du Maroc, la relation entre l’Etat et la société, le processus démocratique dans le monde, l’esprit du temps, la conscience internationale, les étendus des réformes, et la part de l’utopie et de la réalité dans ces révolutions.. ? Ce sont ces points qu’on va essayer de discuter dans cet article.

1- Différences et ressemblances

Les luttes pour la liberté politique et sociale ont toujours existé à travers l’histoire humaine. Reste à préciser ce qu’est une révolution, et ses causes, notamment dans le cas arabe actuel.

1°- Le terme révolution, est lié à la modernité (la révolution française de 1789). Il signifie « un renversement de l’ordre des choses », reposant sur des foules, des slogans, une utopie mobilisatrice, annonçant une ère nouvelle.

Autrement dit, c’est un peuple qui se soulève pour changer un régime, sur la base des revendications (liberté, égalité, démocratie..), et sans projet préétabli ou issue certaine (la marche à tâtons, la contre-révolution, les conflits..). D’où sa différence avec des termes comme : révolte, manifestation, émeute, soulèvement, coup d’Etat, contestation.., qui restent l’expression souvent d’une minorité (un guide, une avant-garde, un parti politique, une junte militaire, une population,..) plus ou moins organisée, visant la confiscation du pouvoir ou la satisfaction de revendications déterminées.

Toutefois, si certains pays ont choisi la révolution pour réaliser le changement souhaité (la France, la Russie, la chine, Cuba, l’Iran..), d’autres ont choisi les réformes, les contestations.., pour y arriver. Avec des conséquences contrastées, généralement plus positives pour la réforme que pour la révolution (allusion ici faite aux révolutions transformées en barbarie durant le 20ème s.) (1).

2°- Quant aux raisons de la révolution, elles sont généralement presque les mêmes, à savoir les luttes contre la dictature, les injustices, l’exploitation, la misère (..). Et le monde arabe en est aujourd’hui l’exemple le plus typique, comme l’ont bien montré les rapports de développement humains réalisés par le PNUD. En effet, ces rapports n’ont cessé depuis 2002, de tirer les sonnettes d’alarmes sur la situation dans ce monde caractérisé selon eux par : la dictature, l’injustice, la croissance démographique, l’urbanisation rapide, l’économie de la rente, la dilapidation des richesses, la désertification, la tribalisation, l’islamisme, le chômage, la violence.. (2).

Cette situation ne pouvait évidemment pas durer, car même aidés par les grands pays (« très démocratiques » dit-on), la plupart des régimes archaïques en place, n’ont plus la légitimité ni la capacité de gérer leurs pays, de satisfaire les besoins de leurs populations, et de faire face au bousculement du monde (la mondialisation et la révolution du TIC).

Comment ce bousculement va s’opérer dans le monde arabe ? Par révolution, révolte ou réforme..? Pour la Tunisie et l’Egypte, la révolution est déjà en cours, mais pour les autres pays, c’est difficile de se prononcer. Mais ce qui est certain, c’est que l’heure du changement a sonné (il y a un avant et un après janvier 2011) et qu’il n’y a pas d’exception à ce sujet. Tout au plus, des différences quant au degré de ce changement dans chacun de ces pays.

2- Dictature ou démocratie

C’est ce qui caractérise un pays comme le Maroc, qui n’a cessé dès son indépendance en 1956 (ou dès la présentation du « manuscrit de l’indépendance » en 1944 pour certains) de lutter pour l’établissement d’une démocratie, à l’instar de toutes les démocraties occidentales.

Mais la lutte politique de 1956 à 1961 a abouti à l’installation d’un régime spécifique (c’est « la troisième force » selon M.A.Eljabri, composée à l’époque par feu Hassan II, certains partis politiques et des intérêts des féodaux et des étrangers, Français notamment) qui a fini par imposer sa loi après l’éviction du gouvernement Abdallah Ibrahim, et la consolider par la constitution de 1962 (3)

Ce régime se détermine généralement par : un système de monarchie constitutionnelle, où le roi règne et gouverne, avec l’aide d’un parti majoritaire (fabriqué pour les circonstances), des partis de l’opposition pour le décor, des institutions et une certaine dose de liberté surveillée (parlement et collectivités locales, presse partisane, société civile..).

C’est ce qu’a suscité chez la plupart des observateurs nationaux et internationaux un certain embarras pour qualifier ce régime ; est-ce une dictature ou une démocratie ? Plusieurs livres, thèses et rapports se sont prononcés à ce sujet. Mais ce qui semble résumer cette situation ambigüe, à mon avis, c’est la thèse avancée par le journaliste Bachir Ait Ahmed dans les années soixante dix disant que le système politique marocain n’est « ni une dictature, ni une démocratie ».

• Il n’est pas une dictature dans le sens qu’a donné la philosophe Annah Arendt à ce concept, à savoir : qu’il y a un despote, guide d’un parti unique, une seule idéologie qui brasse toute la société, une économie centralisée, un appareil militaire et sécuritaire.. (4).

• Mais ce n’est pas une démocratie non plus, au sens strict du terme, dans la mesure où le roi règne et gouverne, où il n’y a pas des élections transparentes (au moins jusqu’une date récente), une lutte pour le pouvoir, une économie libérale, une presse vraiment libre, une indépendance de la justice, une société ouverte.., ect.

C’est donc un régime politique particulier, hybride (ni, ni), à la chevauchée entre l’autoritarisme et la démocratie, la tradition et le modernité, le Sultanat et l’Etat.., maniant la carotte et le bâton, l’ouverture et la fermeture, le droit et les privilèges (..). Ce qui rend difficile toute tentative de l’analyser ou de le qualifier clairement.

3- le verre à moitié plein

D’un coté, le Maroc a vu plusieurs tentatives et expériences à caractère plus ou moins démocratiques qui se sont constituées durant trois périodes :

* La 1er (1956-1975) a vu : l’établissement d’un conseil constitutionnel au lendemain de l’indépendance, constitution d’un gouvernement d’alliance, la reconnaissance du multipartisme et des libertés publiques, élaboration d’une constitution en 1962 (déterminant le Maroc comme « une monarchie démocratique et sociale, reconnaissant le multipartisme et les libertés individuelles et collectives), organisation des élections communales et législatives en 1960 et 1963, un parlement et des conseils communaux, une presse partisane.. ;

*la 2ème (1975-1999) a vu : la fin d’état d’exception, retour au processus électoral dès 1977, puis changement de la constitution en 1992 (qui a reconnu pour la 1ère fois les droits de l’homme), libération des prisonniers politiques en 1994, un nouveau changement de la constitution en 1996 (cette fois acceptée par la plupart des partis d’opposition, y compris l’USFP), désignation de l’opposant Abderrahmane El Youssoufi comme premier ministre en 1998, et la constitution d’un gouvernement de l’alternance.

* la 3ème (1999-2011) a vu : la constitution de l’instance de vérité et réconciliation, indemnisation des victimes des « années de plomb », respect de « la méthodologie démocratique » lors des élection législatives de 2007 en désignant comme 1er Ministre le chef du parti qui a gagné les élections, élaboration de plusieurs réformes (économiques, juridiques, institutionnelles, sociales,..), constitution de plusieurs conseils consultatifs et hautes instances dans les domaines de : l’enseignement, les droits de l’homme, l’audiovisuel, la concurrence, la transparence, la communauté marocaine à l’étranger, et dont le dernier en date est le conseil économique et social.

C’est ce qui représente -grosso modo- l’aspect positif où le verre à moitié plein, qu’on peut considérer comme une « exception », au moins dans le monde arabe jusqu’ une date récente (avant la révolution arabe en cours).

4- le verre à moitié vide

D’un autre coté, voyant le verre à moitié vide, on peut constater que cette exception est-le moins qu’on puisse dire- relative, par rapport au standard de la démocratie occidentale. Car la logique de la démocratie n’a jamais été respectée totalement dans l’histoire récente du Maroc. Les dysfonctionnements étaient et restent multiples, comme il a été relevé par plusieurs livres, médias, études et rapports nationaux et internationaux (ex les rapports de : l’instance de vérité et réconciliation, la cinquantaine, le Haut Commissariat au Plan, la Banque Mondiale..), ainsi que les critiques et les manifestes de plusieurs acteurs politiques, sociaux, et des droits de l’homme.

Les plus importants traits de ces dysfonctionnements sont :

1°- Sur le plan politique : le monopole de la décision politique par la Roi, la création d’un « parti majoritaire », l’affaiblissement des partis politiques, la marginalisation du parlement et du gouvernement, la non discussion du budget de l’armée et de la liste royale au sein du parlement, la création d’un gouvernement parallèle (composé des conseillers du Roi, de certains conseils, hautes instances et associations, et programmes), le retard dans l’applications des recommandations du rapports de l’instance de vérité et de réconciliation (en particulier : la gouvernance sécuritaire, et l’instauration définitive de la démocratie),

2°- Sur le plan économique et social : l’importance donnée au grands projets, au dépend de la proximité, faiblesse de développement économico-social (le Maroc est classé 126 dans l’INDH, un PIB individuel ne dépassant pas 2497 dollar/an, et un taux de chômage de 9,6%..), encouragement de l’économie de la rente (autorisations, monopoles, mélange du pouvoir et de l’argent..), aggravation de la situation sociale (inégalités, exclusion, criminalité..), hésitation dans l’application d’évaluation des politiques publiques et contrôle de gestion,.. ;

3°- Sur le plan de la communication et des libertés : manque ou absence de la communication royale et gouvernementale (au point que l’Etat n’arrive même pas à défendre ses acquis, et faire le marketing de ses reformes positives), l’assujettement des moyens d’informations publiques (L’Agence d’information MAP, les différentes radios et télévisions) à la politique officielle de l’Etat, le non respect des libertés publiques, notamment la liberté d’expression (..). Ces dysfonctionnements ou manquements à la logique démocratique, ont fini, selon ses observateurs, par discréditer les dites réformes positives, et saper plus ou moins le processus de la transition démocratique entamée depuis 12 ans au Maroc (5).

5- Des positions contradictoires

Voilà l’image que semble donner le Maroc à l’aube du 3ème Millénaire. C’est une image floue, d’une réalité complexe. Est-ce que le Maroc est un pays démocratique ou non ? Il n’y a pas un consensus à ce sujet à l’étranger comme au Maroc :

1°- A l’étranger : d’un coté on note qu’il y a une certaine reconnaissance de l’avancée démocratique au Maroc, considéré par certains comme une « exception » dans le monde arabe. Ce qui a permis –par ailleurs- à l’union européenne de lui donner « le statut avancé ». Mais d’un autre coté, on reconnait aussi, au moins à travers les medias et la diplomatie discrète, que le Maroc n’est pas un pays totalement démocratique, du fait essentiellement de la position dominante du Roi dans l’échiquier politique marocain.

2°- A l’intérieur, c’est plus ambigüe encore, étant donné qu’il ya au moins quartes positions à ce sujet.

La 1ere c’est celle du Roi et son cercle, pour laquelle, la Maroc est un pays qui a son modèle authentique de démocratie, et il n’a donc pas besoin d’un modèle importé de l’étranger.

La 2ème, c’est celle des partis du mouvement national, pour laquelle, leur alliance avec le Roi, a déclenché un processus irréversible et, qui à terme devrait conduire à « la démocratie finale », et donc pas de précipitation à ce sujet.

la 3 ème , c’est celle de certains mouvements politiques radicaux (l’extrême gauche) religieux (les fondamentalistes islamistes), de la presse, des associations des droits de l’homme, qui considèrent qu’on est devant un processus de « makhzanisation » et non de démocratisation, et qu’il faut mettre fin à ce « jeu » de dupes, et instaurer une vrai démocratie.

La 4 ème c’est celle de « la majorité silencieuse » qui boudent les élections, considérant le jeu politique existant comme superflu, et de « la société civile » qui s’engage dans la « politique de la proximité » et les luttes concrètes (les mouvements des femmes, de protection des enfants, de la culture, du développement local et durable..ect)

6- l’Etat et la société

Laquelle de ses positions relate toute la réalité ou s’en approche au moins ? Difficile de trancher. Disons seulement avec Edgar Morin que la réalité est toujours plus « complexe », et que chacune des dites positions a sa part de vérité. Mais pour la clarté de notre discussion, disons qu’il y a deux blocs qui sont en train de se constituer : celui de l’Etat, et celui de la société.

1°- Le bloc de l’Etat se constitue du Roi et des partis politiques classiques (les partis du mouvement national et les anciens partis de « l’administration », avec les nouveaux partis, notamment le PAM), qui se sont engagés dans un processus « d’alternance consensuelle » entamé depuis 1996 (date de la dernière révision constitutionnelle) et, dont le but est la construction « d’un Maroc démocratique et moderne » selon la formule consacrée du Roi.

2°- Le bloc de la société civile, qui se compose d’une « multitude » (selon l’expression du philosophe Toni Negri) de mouvements et d’organisations allant de certains petits partis exclus, aux organisations syndicales, aux mouvements religieux, des associations des droits de l’ homme, de certains organes de presse, des intellectuels, et surtout les jeunes du fecebook (la nouvelle donne).., qui ne partagent –peut être- rien sauf leur opposition au bloc de l’Etat, et leurs revendications pour le changement radical.

C’est un Face à Face qui est sans doute relatif et dont les contours ne sont pas encore clairement identifiés. Peut être parce que la monarchie est perçue généralement comme citoyenne et populaire suscitant le respect, et les partis ont encore une certaine base sociale. Mais, si la situation ne s’améliore pas ou se dégrade, le face à face indiqué entre l’Etat et la société va sans doute se durcir (comme semblent l’indiquer les événements récents), pour des conséquences que nul ne peut prévoir (6).

7- le processus démocratique

Reste à évoquer une question qui me semble importante, concernant les circonstances ou le cadre international dans lequel soufflent les vents du changement démocratique en question.

A cet effet, on peut dire que l’atmosphère qui règne, se caractérise par un élan démocratique à l’échelle mondial. Cet élan qui a commencé dès la fin du 19 s. s’est consolidé après la 2ème guerre mondiale dans certains pays occidentaux, et 30 ans après par des vagues successives de démocratisation : dans les années 70 (Grèce, Portugal et Espagne), les années 80 (les pays d’Amérique latine), les années 90 (l’Europe de l’est). Et ce avant que ces vagues arrivent enfin à toucher le monde arabe en janvier 2011.

Trois points sont à retenir à mon avis à ce se sujet :

a- Premièrement, il y a un processus démocratique international (occidental ou « universel » dit-on), qui a commencé depuis plus d’un siècle, et continue sa marche encore. C’est un modèle politico-économique, qui a fini par se propager dans le monde entier, avec ses valeurs abstraites ou formelles (la démocratie, la liberté, l’égalité, les droits de l’homme..). Et ce, à travers la mondialisation économique « néolibérale », la révolution technique, et le développement des TIC (Satellites, internet, réseaux..).

b- Deuxièmement, il y a un grand bouleversement politico-économico-social en cours dans la plupart des sociétés modernes, indiquant notamment que l’initiative politique aujourd’hui ne relève plus des acteurs traditionnels (partis, syndicats..), mais de la multitude de la société civile composée de : mouvements sociaux, associations des droits de l’homme, groupes religieux, les minorités.., bref « le peuple » (7).

c- Troisièmement, que cette multitude ne s’appuie plus sur les idéologies totales classiques (le socialisme, le nationalisme, ou même l’islamisme pour le monde arabo-musulman), qui prônent les lendemains qui chantent, mais plutôt sur une myriade de visions pratiques, pragmatiques ou « politiques » d’un genre nouveau, qui donnent la priorité au présent, et visent -sans une idéologie ni d’avant garde ou chef charismatique- le changement du monde « ici et maintenant ».

Nous sommes donc aujourd’hui devant « un nouveau paradigme » d’analyse, relevé par plusieurs philosophes et chercheurs contemporains (E. Morin, A.Tourraine, T.Negri..), qui nous invitent à changer notre manière de penser et d’agir dans le monde (8).

8- L’esprit du temps

Quelles sont les causes de ce mouvement mondial ? Certes, les révolutions ou les mouvements de réformes trouvent leurs racines le plus souvent dans le processus historique de chaque pays, et chaque culture. Mais, force est de constater, que les pays ne vivent plus en autarcie (et ne l’ont jamais été d’ailleurs), et que les transformations en cours dans le monde sont largement inféodées à « l’esprit du temps », qui n’est que l’esprit de la mondialisation néolibérale, installée depuis la fin des années 70 du siècle dernier.

Cette mondialisation semble se reposer aujourd’hui –à mon avis- sur deux piliers essentiels :

1°- Le premier est matériel et économique. Il se base sur certains principes formulés par « le consensus de Washington », à savoir : l’ouverture des marchés, la libéralisation des échanges monétaires, la déréglementation des lois et règlements locaux, la privatisation du secteur public, la réduction des impôts et des salaires, l’exportation des matières premières et des marchandises, la flexibilité du travail, le démontage su système de protection sociale. Bref, mettre fin à l’Etat social (la social-démocratie), ouvrir tous les secteurs de la société à une concurrence mondiale, sans douanes ni entraves.

2°- Le deuxième est idéologique et culturel, dans la mesure ou le néo-libéralisme vise : l’utilisation de la politique (et donc la démocratie) au service de l’économie et de la finance (socialiser les pertes le cas échéant), l’affaiblissement des institutions intermédiaire (la famille, l’école, les partis, les syndicats, les associations..), l’encouragement de l’individualisme libertaire, la propagation d’une culture de consommation et du plaisir (l’ici et maintenant), donnant la priorité au populisme et de l’opinion au lieu du rationalisme et de la pensée, l’indifférence et l’isolement au lieu du collectif et du lien (9).

C’est ce modèle économico-politique qui s’est imposé au monde entier (y compris au Maroc par la politique d’ajustement structurel notamment), depuis 30 années déjà, par le biais des instances financières internationales (La Banque Mondiale, le FMI, l’OMC, l’OCDE..). Il a été consacré, surtout après l’effondrement du mur de Berlin, comme un symbole puissant de « la fin de l’histoire » et le triomphe final de la démocratie libérale dans le monde (F.Fukuyama).

Certes, ce triomphe a été bénéfique pour certains pays, régions ou sociétés (les multinationales, l’Asie du sud-est, l’inde, le Brésil..). Mais, la plupart des sociétés n’ont pas eu cette chance, et n’ont pas fini de souffrir de ses tares qui sont notamment : la financiarisation du monde, l’augmentation du taux des inégalités entre les pays et dans chaque pays, les multiplications des crises économiques et financières (dont la dernière provoquée en 2008), l’aggravation ses situations sociales et environnementales (chômage, pauvreté, exclusion, immigration, criminalité, violence..). Cela concerne les pays occidentaux (les émeutes des banlieues, les grèves de retraites, les faillites des pays comme la Grèce et l’Irlande..) comme les pays d’Asie et d’Amérique latines (les crises asiatiques de 1997-98, la faillite de l’argentine en 2001), et les pays arabes (les « intifada » du pain et de liberté, qui ont fini par se transformer en révolutions ou contestations de l’ordre établi).

9- la conscience mondiale

Les questions qui se posent ici : est-ce que cette politique de la « l’anarchie créatrice » est à même d’encourager la démocratie dans le monde, et le monde arabe en particulier ? Et quel sens donner dans ce cas à cette démocratie ? Quelle relation y a t-il ici entre la politique et l’économie, la mondialisation et l’altermondialisation, et la marge effective laissée aux pays du Sud, pour réaliser leur indépendance politique et économique.. ?

Les réponses à ces questions complexes dépassent l’ambition de cet article. Je me contente donc de constater, que les conséquences néfastes du système économique néolibéral ont fini par donner naissance à une conscience internationale qui commence petit à petit à se développer à travers le monde.

Conscience notamment, que ce système est dangereux pour l’homme et la nature, et qu’ « un autre monde est possible » s’il y a une volonté politique d’agir à l’échelle locale et mondiale.

C’est ce qui a permis la création des le début du 3ème millénaire de tout un mouvement de contestation mondial : les Altermondialistes, les forums sociaux, des régimes politiques populaires de gauche en Amérique latine (le brésil, la Bolivie, le chili..), des organisations ou associations internationales (Attac, Amnesty, Oxfam..) ouvrant dans le sens du changement. Et le monde arabe n’était pas du reste. Certains de ses pays n’ont cessé depuis des années de connaitre des manifestations, des grèves et même des forums sociaux (au Maroc par exemple), pour l’emploi, l’égalité, le changement politique.., que se soit directement dans la rue ou indirectement aujourd’hui à travers les nouvelles TIC. Et ce sont ces manifestations qui se sont transformées, l’occasion donnée, (l’immolation par le feu du Bouazzizi à Tunis) en un « tsunami révolutionnaire » contre tous les régimes despotique arabes en place, et les Etats « démocratiques » occidentaux qui les ont toujours soutenus jusqu’au bout.

C’est vrai, aucun ne peut prévoir les aboutissements de ce tsunami (en Tunisie, Egypte, Libye..). Mais personne ne peut non plus arrêter la marche de l’histoire ou la volonté des peuples de disposer d’eux mêmes parce que dit-on toute révolution est condamnée d’avance à l’échec, et que la défense des valeurs universelles de la modernité (démocratie, liberté, égalité, droits de l’homme..) n’est qu’une illusion et un projet totalitaire. En effet, certains philosophes postmodernes ont œuvré dans ce sens, nous invitant à se contenter « d’expliquer le monde au lieu de le changer », et de nous ranger derrière leurs discours des « fins » : fin de la pensée, de l’histoire, de l’utopie, de la politique, de l’homme.. ; bref, fin de tout, l’histoire est finie, et « circulez, il n’y a rien à voir » (10).

10- Changer le monde

Mais, les événements récents du monde, ont prouvé au contraire l’actualité de la fameuse citation de Marx au 19, que « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, ce qui importe c’est de le changer ».

Certes, la sagesse nous oblige à retenir les leçons du « passé des illusions » (F.Furet), et se méfier des idéologies, des gourous ou des marchands des illusions qui nous vendent le paradis sur terre. Mais sans aller pour autant jusqu’à baisser les bras devant la réalité du monde qui nous accable.

C’est ce que semble comprendre (ou au moins je l’espère) la jeunesse du monde arabe, prouvant ainsi que les arabes (et les différents communautés ethniques culturelles ou religieuses : les amazighs, les Qobts, les kurdes..) ne font pas exception, qu’ils sont une partie du monde, et comme tous les êtres humains, croient que l’histoire n’est pas finie, que le néo-libéralisme et le despotisme ne sont pas une fatalité, et qu’un autre monde est possible.

ِ Comment ? Chaque peuple a son processus historique et son génie propre, et il n’y a pas un modèle prêt-à-porter. Car, comme il a suffit d’un fait divers pour provoquer une révolution à Tunis, des révoltes ou des manifestations populaires peuvent provoquer ailleurs, aujourd’hui ou demain, des réformes plus ou moins importantes, comme ils peuvent donner lieu au chaos ou à l’anarchie.

Et nul besoin ici de singer ou de copier les révolutions et les expériences. Il y a certes des valeurs universelles partagées par l’humanité (notamment la liberté et les droits de l’homme), mais leurs expressions et pratiques restent forcement multiples (11).

Le Maroc ne fait pas évidemment exception à cette règle. Il a son histoire, ses spécificités, dont témoigne le processus démocratique précité. Reste à savoir comment terminer avec ce processus qui ne finit pas, et aboutir à la normalisation de la démocratie préconisée par les deux rapports de l’instance de vérité et de réconciliation, et du cinquantenaire ? C’est ce que le pouvoir a fini par admettre, d’une façon indirecte, en nommant le chef du parti qui a gagné les élections législatives de 2007 comme 1er Ministre, et qu’il est possible -ou attendu au moins- que cette décision soit concrétisée définitivement dans le texte de la constitution, dans un avenir proche.

11- l’échelle des réformes

Ici, qu’on soit d’accord ou pas avec le mouvement qui a pris l’initiative de déclencher une série de manifestations dans plusieurs villes marocaines depuis le 20 février 2011, force de reconnaitre qu’il a lancé un pavé dans l’eau, et accéléré le mouvement de l’histoire récente du Maroc. Ainsi, Il est devenu évident après cette date, qu’il faille passer à une vitesse supérieure en matière de réformes, mettre fin à la situation de « ni ni » (ni dictature ni démocratie) qui a longtemps caractérisé ce pays, et inaugurer « une nouvelle génération de reformes » à même de le faire rentrer définitivement dans « le club de démocratie » internationale.

Comment ? Il n’y a pas de consensus encore à ce sujet, mais des idées plus ou moins précises ont été lancées à l’occasion, à savoir :

1°-A l’échelle constitutionnel et politique : instaurer un régime de monarchie parlementaire où le Roi règne mais ne gouverne pas, et le 1er ministre préside le conseil des ministres, et chacun des acteurs politiques ou des institutions (partis, gouvernement, parlement, justice, conseils communaux..) exerce ses responsabilités, selon la loi suprême, et dans un Etat de droit ;

2°- A l’échelle d’organisation et de gestion : opter pour la régionalisation et la déconcentration de l’administration et la gestion des affaires publiques, réduire le nombre de ministère et des établissements publics, mettre fin au « gouvernement parallèle » du palais (conseillers, hautes instances, associations, programmes..), soumettre tous les budgets au contrôle parlementaire (y compris celui de l’armée et du palais), dissoudre la 2ème chambre du parlement (surtout avec la constitution d’un conseil économique et social), revoir le système des salaires et des indemnités.. ;

3°-A l’échelle économique et sociale : continuer les réformes économiques existantes, donner la priorité au développement territorial régional et local (les collectivités rurales et urbaines), mettre en cohérence les différents programmes sectoriaux (émergence, rawaj, plan vert, azur, halieutis..), évaluation permanentes des politiques publiques et contrôle de gestion, combattre l’économie de la rente, la corruption et le mélange entre le pouvoir et l’argent, moderniser le système de protection sociale, respecter le droit de grève (tout en le réglementant).. ;

La liste est longue. Elle concerne : l’enseignement, l’emploi, la santé, le transport, les libertés publiques, la gouvernance sécuritaire..etc. Mais je pense qu’il est inutile de les énumérer ici. Premièrement, parce que le Maroc dispose de plusieurs études nationales et sectorielles à ce sujet, dont certaines sont déjà programmées ou en cours d’exécution. Et Deuxièmement, parce que ces proposition dépendent des acteurs concernés (Roi, partis, gouvernements, société civile..), et de l’issue des réformes proposées par le Roi (dans son discours du 9-3-2011), que nul ne peut prévoir (12).

12- L’utopie et la réalité

Reste enfin une question, concernant la part de l’utopie et de la réalité dans ces réformes ? Et là, je peux dire que cette effervescence révolutionnaire suscite chez moi une sensation d’espoir mêlée d’inquiétudes.

1°- L’espoir est incarné par deux faits essentiels, à savoir :

* La révolution de la jeunesse (notre Mai 68) et son aspiration vers le changement de l’ordre établi, que se soit dans la forme (des manifestations sans violence, une base populaire, une unité dans la différence, un certain pragmatisme, une capacité de mobilisation et de communication..), ou dans le contenu (des revendications de liberté, de démocratie, d’égalité, de développement économique et social, et lutte contre la corruption..).

* Ensuite par le discours audacieux du Roi, qui envisage : une refonte de la constitution (consolidation du rôle du 1er Ministre et du parlement, indépendance de la justice, confirmation de l’identité multiple, des libertés et droits de l’homme, et de la responsabilité ..), et une régionalisation élargie (élection des conseils régionaux au suffrage universel direct, pouvoir exécutif pour les présidents de ces conseils, participation de la femme à la gestion des affaires régionales. représentativité des régions dans la 2ème chambre..) ;

2°- Les inquiétudes, ont une relation avec l’idée qu’une utopie peut se transformer en barbarie. D’où certaines doutes et questions concernant notre sujet, a propos par exemple de : l’existence d’une volonté effective de mettre en pratique les réformes annoncées, la capacité de l’Etat de gérer ces périodes des turbulences, les conflits probables sur les détails des changements (rôle du roi, régionalisation, langue amazigh, religion..), les réactions des lobbies, les tentations de saper les bases de l’Etat (la politique de la table rase), la victimisation de la société (nous sommes tous des victimes), la marginalisation des partis au profit de la société civile ou de la rue, la stigmatisation de l’Etat (responsable de tous les tares de la société), la revendication des droits sans devoirs, l’exigence de réaliser tout « ici et maintenant », le refus de la loi ( interdit d’interdire), la consolidation des valeurs néolibérales (recherche du profit, des biens de consommation, de l’intérêt privé), les crises mondiales (financière, écologique..).

Certes, l’espoir reste plus fort que les inquiétudes. Ce qui doit inciter les acteurs concernés (Etat, partis, société civile, intellectuels, citoyens..) à se mobiliser pour le changement. Mais sans beaucoup d’illusions, sachant toujours qu’il n’y a pas « une démocratie parfaite », et que l’équilibre souhaité entre l’utopie et la réalité (ou la démocratie et l’opinion, les droits et les devoirs, l’égalité et la liberté..) est fragile, difficile à atteindre, et ses résultats dépendent des négociations permanentes entres les acteurs concernés.

Conclusion

En guise de conclusion, on peut dire que les peuples arabes (dont celui du Maroc) se sont enfin réveillés de leur torpeur, pour faire de la révolution ou exiger la réforme de leurs systèmes politiques. Cela ne peut que réjouir tout démocrate à travers le monde, et avoir son soutien. Reste à savoir si ces systèmes postrévolutionnaires ou réformés réussiront à satisfaire les demandes de leur peuples, et réaliser « la cité idéale » rêvée , dans la cadre du système économique mondial existant ? L’avenir nous le dira.

Référence :

(1)- revue Zamane, 5, 2011 ;

(2)-PNUD, rapport sur le développement arabe de 2009 ;

(3) Mohamed Abed El Jabri, mawakif, 1-3, 2002 ;

(4) Annah Arendt, le Système totalitaire, seuil, 1972 ;

(5) le rapport de la cinquantaine, le Maroc possible, 2006 ;

(6) « la makhzanisation » veut dire pour certains que les partis politiques sont devenus des alliés avec le « Makhzen » (le Roi/l’Etat) et se sont détachés du peuple.., d’où le taux élevé des abstentions (63% en 2007).

(7) Michael Hardt, Antonio Negri, Empire, Exils, 2001 ;

(8) Alain Touraine, le nouveau paradigme, lgf, 2006 ;

(9) voir à ce sujet : Joseph Stieglitz, la grande désillusion, Fayard, 2002 ;

(10) idem ;

(11) c’est ce que semble nous démontrer les événements, car non simplement les formes de contestation ne sont pas les mêmes, mais les réactions des gouvernements aussi ;

(12) Pour avoir une idée sur ces réformes voir notamment ; l’hebdomadaire marocain, Tel Quel, n°461,19-25/2011 ;

Mohamed Bahdod

Journaliste -Maroc


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