Chevènement, Mélenchon, l’Europe de François Mitterrand... et la réalité

lundi 30 octobre 2017.
 

Après avoir découvert le texte ci-dessous de Serge Halimi, je crois utile de marquer un désaccord sur trois points :

1) Cet article présente Jean-Luc Mélenchon comme un Chevènement en plus petit et en plus inconséquent. C’est faux. Ils ont effectué deux choix fort différents :

- Lorsqu’il est devenu évident que les espoirs de 1981 concernant la construction d’une " France socialiste " où " tout devient possible ici et maintenant " n’étaient absolument plus portés par la direction du PS et ses grands élus, :

- Lorsque effectivement " l’Europe " est devenue " pour ces dirigeants du PS un mythe de substitution au projet de transformation sociale qui l’avait porté au pouvoir en 1981 ", Cette intégration économique du Vieux Continent ayant précipité la mise en cause des institutions (services publics) et des souverainetés (monnaie) sans lesquelles la gauche est impuissante.

Jean-Pierre Chevènement a choisi une orientation républicaine socialiste française, mettant prioritairement en avant la question de la souveraineté nationale face à la Communauté européenne dans l’objectif de mieux défendre le "modèle républicain français".

Jean-Luc Mélenchon a également défendu une orientation "républicaine socialiste" face au libéralisme et au social-libéralisme, mais en choisissant de construire une gauche socialiste au niveau européen et international mettant prioritairement en avant les ravages du nouvel âge du capitalisme (capitalisme financier transnational), la déroute de la social-démocratie européenne et internationale, le combat sur les revendications ouvrières face au rouleau compresseur libéral, l’implication dans le mouvement altermondialiste (forums sociaux mondiaux, manifestations lors des G8...), la solidarité internationaliste, la défense de l’environnement, les réponses sociétales émancipatrices (féminisme, laïcité...). J’ai participé à cette orientation et ne le regrette absolument pas ; bien des "républicains" faisant semblant d’ignorer les réalités du capitalisme transnational ont contribué à fourvoyer la gauche de 1972 à 1983. J’espère qu’ils ne torpilleront pas le Parti de gauche par leur discours et propositions électoralistes sympathiques et simplistes.

Les deux orientations produisaient inévitablement :

- deux réseaux fort différents, avec une présence importante d’élus au sein du MRC, un fort contingent de jeunes à la GS puis PRS

- deux stratégies fort différentes, celle de Chevènement l’ayant conduit à mener sa campagne de 2002 au nom des "républicains des deux rives" alors que celle de Jean-Luc Mélenchon le positionnait à la gauche de la gauche.

2) Cet article jauge Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon sur un seul critère bien insuffisant pour résumer une trajectoire politique : celui du rapport à François Mitterrand.

Serge Halimi paraît ne pas avoir été informé du décès de l’ancien président voici 15 ans le 8 janvier 1996. Il faut faire attention aux portraits politiques personnels seulement en fonction du passé. Devait-on en 1937, jauger Francisco Largo Caballero en fonction de son attitude complaisante avec Primo de Rivera en 1923 ou en fonction de son rôle éminent dans la grève générale révolutionnaire espagnole de 1917 ? Devait-on comparer les qualités de Staline et Trotsky en 1923 en fonction seulement de leur rapport à Lénine quinze ans plus tôt ?

Jean-Luc Mélenchon a publié plusieurs ouvrages qui éclairent son parcours. Les ignorer ne sert pas l’article ci-dessous de Serge Halimi.

3) Je considère que François Mitterrand n’avait pas les qualités requises pour conduire la France au socialisme après 1981. Ceci dit, faire retomber sur lui seul la responsabilité de l’impasse politique avérée entre 1982 et 1993 me paraît peu rationnel.

Désigner l’Europe libérale actuelle comme "l’Europe de François Mitterrand " me paraît également irrationnel. Je me rappelle de ce qui était publié dans les années 1950 et 1960, dans L’Humanité comme par l’extrême gauche ou même Michel Rocard. Nous ne nous étions pas trompés sur la nature et les objectifs de cette "Europe" et François Mitterrand n’y était encore pour rien.

Aucun ouvrage n’a jusqu’à présent traité avec sérieux le bilan de la longue séquence politique partant du congrès d’Epinay jusqu’en 1993 et peut-être même 2002. Il serait nécessaire d’aborder :

- l’orientation suivie de 1971 à 1981 et le type de cadres formés alors par le PS.

- la période politique très peu propice des années 1980

- l’orientation des autres forces de gauche (PCF, radicaux, extrême gauche)

Je me limite à donner ci-dessous quelques liens vers des articles mis en ligne sur ce site :

POURQUOI LES SOCIALISTES N’ONT PAS SU MENER UN PROJET ALTERNATIF AU CAPITALISME LIBÉRAL ? (réponse à un article de L’Humanité)

8 janvier 1996 Décès de François Mitterrand Réflexions d’un obscur militant sur un président en pleine lumière

10 mai 1981 François Mitterrand élu Le peuple de gauche explose de joie

Le 10 mai 1981 : cascade de paradoxes et gauche partagée sur l’héritage (4 articles de L’Humanité)

Jean-Luc Mélenchon « Il faut méditer le rapport entre 1968 et 1981 »

Jacques Serieys le 17 avril 2011

Chevènement, Mélenchon et l’Europe de François Mitterrand

Texte de Serge Halimi publié par Le Monde diplomatique d’avril 2011

Les deux hommes ont participé à des gouvernements de gauche, puis quitté le Parti socialiste, le jugeant trop peu " républicain ". Ils ont été - et demeurent - fascinés par François Mitterrand. Lors du référendum du 29 mai 2005, ils ont fait campagne contre le traité constitutionnel européen. Mais, alors qu’en 1992 l’un, M. Jean-Pierre Chevènement, s’opposait au traité de Maastricht, l’autre, M. Jean-Luc Mélenchon, entrevoyait derrière ce texte " un début d’Europe des citoyens ". Si leurs deux ouvrages ne traitent pas exclusivement de ces choix, ils les éclairent (1).

M. Chevènement veut comprendre comment Mitterrand en est venu à faire de " l’Europe " " un mythe de substitution au projet de transformation sociale qui l’avait porté au pouvoir en 1981 ". Et comment la réalisation du marché unique des capitaux a pris le pas sur la construction d’une " France socialiste " où, ainsi que le proclamait l’hymne du parti, " tout devient possible ici et maintenant ".

Selon M. Chevènement, Mitterrand, ébranlé par la débâcle de 1940, aurait en réalité toujours estimé que la France ne pouvait faire mieux que " passer entre les gouttes ". Ce qui au demeurant était aussi la conviction de Jean Monnet, exprimée dès août 1943 : " Les pays d’Europe sont trop étroits pour assurer à leurs peuples la prospérité. "

Mais " l’Europe ", ce " pari pascalien " de Mitterrand enfanté par une analyse pessimiste des capacités propres de la France, ne permit pas seulement d’habiller un " ralliement au néolibéralisme qui ne pouvait se donner pour tel ". Elle offrit aussi, au moment de la chute du mur de Berlin, l’avantage de " canaliser le mouvement irrésistible de la réunification allemande ". Non sans contreparties : arracher son mark à l’Allemagne obligea à accepter un mark bis, l’euro, dont les effets déflationnistes n’ont semblé s’estomper qu’en période de bulle financière. Cette intégration économique du Vieux Continent a également précipité la mise en cause des institutions (services publics) et des souverainetés (monnaie) sans lesquelles la gauche est impuissante. Chemin faisant, M. Chevènement relève un savoureux paradoxe : en 1972, Mitterrand " trouva dans la social-démocratie européenne le contrepoids nécessaire à l’engagement qu’il avait pris en signant le programme commun de la gauche " avec le Parti communiste ; onze ans plus tard, au moment du " tournant de la rigueur ", Mitterrand trouvera dans " l’Europe " une couverture " internationaliste " de gauche lui permettant d’habiller son ralliement au néolibéralisme. Police d’assurance dans un cas, poudre d’utopie dans l’autre...

M. Mélenchon n’est pas moins critique de la politique européenne des trente dernières années. Il est même plus indigné : " Il faut travailler au marteau-piqueur pour arracher les racines profondes que le cancer de l’Europe libérale a incrustées dans la chair de notre République. " Fédéraliste hier, il estime dorénavant qu’" il n’existe pas un seul exemple d’un mieux social quelconque qui soit venu de l’Europe en France. Pas un ! ". Mais, curieusement, son réquisitoire exonère l’ancien président socialiste de toute responsabilité dans la situation qu’il décrit. Or M. Mélenchon fustige la répartition toujours plus inégale de la valeur ajoutée entre travail et capital, la contre-révolution fiscale, l’envol de la pauvreté, les investisseurs qui gagnent de l’argent en dormant, l’indépendance des banques centrales, l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence. Fort bien, mais peut-on cogner aussi fort qu’il le fait, pourfendre la droite, la social-démocratie européenne, les actuels socialistes français et, simultanément, continuer à glorifier Mitterrand ?

Serge Halimi


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message