Une page se tourne. Une autre s’ouvre (Jean Pierre Chevènement)

vendredi 15 décembre 2006.
 

Dans la grave crise que traverse notre pays et face au danger de régression que représenterait, au plan intérieur et au plan extérieur, l’élection de Nicolas Sarkozy, j’ai considéré qu’il était de mon devoir d’aider Ségolène Royal et d’anticiper sur le soutien que je lui aurais, de toute façon, apporté au deuxième tour. J’entends les objections de ceux qui auraient voulu que nous nous battions jusqu’au dernier sang, le mien bien évidemment, pour faire entendre une voix originale. Je les rassure : cette voix, vous continuerez à l’entendre, et déjà par l’intermédiaire de ce blog, auquel j’ai pris goût, et plus généralement dans la campagne à laquelle j’entends participer pleinement avec mes amis pour créer une forte dynamique de premier tour au bénéfice de Ségolène Royal. J’ai considéré qu’il était de ma responsabilité de privilégier un choix stratégique : celui d’être présent et actif à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur, au risque de durcir inutilement les différences.

C’est d’abord mon choix, comme on dit. Je l’ai fait en toute connaissance de cause. Les choses se sont passées très vite. Avertie en octobre de la décision que j’avais prise d’être candidat, Ségolène Royal avait souhaité me rencontrer, ce qui nous avait permis d’effectuer un tour d’horizon politique utile, les contacts ayant été suspendus depuis juin, entre le PS et le MRC. Mercredi 6 décembre Ségolène, autour d’un thé, m’a fait connaître sa préférence pour un accord politique rapide, de façon à créer une dynamique positive dès le premier tour. J’ai réfléchi : j’aurais certes pu maintenir ma candidature jusqu’au 16 mars ou jusqu’au 22 avril : mon espace n’était pas négligeable, puisque les sondages me créditent d’un potentiel de 23 % et que j’ai rassemblé plus de un million et demi de voix en 2002.

Les choix stratégiques sont toujours difficiles : au Congrès d’Epinay en 1971, le Ceres avait accepté de soutenir de ses mandats (8,5 %) l’alliance entre François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy (45 %) contre Guy Mollet et Alain Savary. L’affaire n’avait pas été simple avec nos militants, bien que la motion finale comportât la perspective d’un programme commun. Mais l’affaire en valait la peine : nous avons alors créé une dynamique qui, dix ans après, a mis la gauche au pouvoir.

La situation aujourd’hui n’est plus la même. Je vois l’espace et l’avenir d’une gauche tout entière rassemblée derrière Ségolène, avec le soutien de républicains sincères qui la préféreront à Nicolas Sarkozy. La crise du pays est là, profonde. Les enjeux sont plus rapprochés. Ségolène Royal a montré qu’elle avait beaucoup de caractère, qualité essentielle d’un " homme d’Etat ". Sa présence, le changement de génération qu’elle incarne, le fait qu’elle soit une femme constituent autant d’atouts extraordinaires pour la gauche. Je mesure aussi ce que son élection peut signifier pour l’image de la France dans le monde. Et puis, entre elle et moi, le courant passe. Je fais confiance à son sens des responsabilités et à sa capacité à incarner la France qui est et doit rester une grande puissance politique. En tout cas je l’aiderai de mon mieux, avec l’expérience qui est la mienne dans les différents postes que j’ai occupés de la Recherche à l’Intérieur, en passant par l’Industrie, l’Education et la Défense.

L’accord politique passé dans la soirée de samedi à l’Assemblée Nationale avec François Hollande et une délégation du Parti socialiste est un bon accord qui prend pleinement en compte nos préoccupations, notamment sur la réorientation de la construction européenne et sur le relèvement de la République. Je sais que le fond des choses malheureusement n’intéresse que rarement les commentateurs. Je conseille cependant à certains blogueurs qui se croiraient autorisés à donner des leçons de pureté, à se reporter au texte de l’accord disponible sur ce blog : ce n’est pas un " texte vague ", comme je le lis dans Le Parisien, sous la plume de Frédéric Gerschel, généralement plus attentif aux questions de fond. Que l’accord comporte un volet électoral ne scandalise que les hypocrites : a-t-on jamais vu que les idées pouvaient se passer d’hommes et de femmes pour les porter ? Aussi bien seules les circonscriptions sont indiquées : comme je l’ai indiqué à la Convention, je proposerai les noms des candidats à nos instances nationales car il importe que notre représentation parlementaire soit efficace.

J’ai pu convaincre la Convention Nationale du MRC, réunie salle Olympe de Gouges à Paris, puisqu’elle a adopté l’accord à une forte majorité (85 % des mandats). Ce n’était pourtant pas facile et je comprends l’humeur de quelques-uns. Je fais aussi confiance à leur capacité de réflexion : dans la vie il faut savoir se décider, et se décider au bon moment. Moi-même je ne savais pas encore samedi si je maintiendrais ou non ma candidature. Ce qu’a dit Ségolène Royal, venue à la fin de notre Convention, est clair : " Ce n’est pas une union factice, mais une alliance au long cours, de mouvement à mouvement, de personne à personne. C’est un moment très important pour l’histoire de la gauche ".

Comme elle, je crois à la nécessité de réconcilier l’idée européenne et l’idée républicaine et de dépasser, en dynamique, le clivage entre le oui et le non. Ce ne sera possible que par une réorientation de fond de la construction européenne, telle qu’elle est prévue par nos accords, et cela devant les opinions publiques.

Une page se tourne. Une autre s’ouvre. A nous d’en faire une belle et grande page de l’histoire de la gauche et de l’histoire de France.

Jean-Pierre Chevènement


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