La Réunion, son mouvement communiste et Paul Vergès

mardi 3 mai 2011.
 

Sur place, j’ai eu l’occasion de multiplier les rencontres avec des élus et des dirigeants communistes. Je connaissais plusieurs d’entre eux. J’en ai découvert plusieurs autres. Ce sont des personnalités que l’on gagne à connaitre pour comprendre leur capacité à influencer la société réunionnaise. La place du mouvement communiste dans l’histoire de l’île est singulière. Elle appartient à cette histoire d’une façon consubstantielle. Le mouvement communiste réunionnais est issu d’une histoire du mouvement ouvrier local. Car il y a eu tôt un mouvement ouvrier. Son développement est surplombé par tous les souvenirs des rebonds de l’histoire de l’esclavage. Dans le récit métropolitain, la question de l’esclavage apparait sous une forme assez réductrice. Il n’est que rarement tenu compte de la lutte des esclaves eux-mêmes. Le marronnage n’y trouve pas la place qui est la sienne. Un peu comme si la fin de l’occupation nazie en métropole pouvait être comprise sans les maquis, quand bien même le rapport de force était-il tout a fait disproportionné, et que la société toute entière fut loin de s’y joindre.

L’histoire locale n’a que quatre cent ans. Mais seulement cent cinquante ans sans esclavage. D’une façon ou d’une autre cette histoire travaille le présent. Comme celle des conditions de l’arrivée des vagues de migrations plus ou moins contraintes qui formèrent le peuple ouvrier local. Quand un parti se confond avec l’histoire, quand il en fait fond, sa difficulté est d’être à la fois une partie de l’électorat tout en affichant l’intention d’incarner le peuple et le pays tout entier. A l’échelle d’une île, c’est une tension extrême. Et cela demande une imagination stratégique qui doit faire réfléchir. Je me suis senti en phase avec l’idée d’une sortie par le haut du confinement électoral que vit le PCR. Je parle ici de cette stratégie des projets. Identifier un parti a un projet d’intérêt général, qui parle à toute la société et qui la mobilise, du type de celui du programme d’autonomie énergétique.

J’ai dit que Paul Vergés est une figure qui parle à toute la gauche française. Je n’ignore rien des polémiques qu’il peut susciter sur place. Il va toujours ainsi d’un personnage au puissant charisme. Mais ce qui compte, par delà nos appréciations sur un homme, c’est aussi ce qu’il apporte au bien de toute la société. Ceux qui ne le voient pas à propos de Paul Vergès passent à côté d’une grande source de l’identité réunionnaise. J’ai dit que je venais vers lui comme vers un « maitre à penser ». Cela m’a aussitôt valu quelques ricanements et transcriptions exagérées. Comme on le sait, la scène médiatique ne supporte que l’idolâtrie ou la haine. De cette façon j’ai été affublé, jusque dans les commentaires de ce blog, de « jospinolâtrie » ou de « miterrandolâtrie », à l’unique motif que je refuse d’entrer dans les bilans univoques et simplistes qui sont faits de l’action de la gauche à ces périodes. Il en va de même ici, à propos de mon attitude respectueuse à l’égard de Paul Vergès.

Comme on ne peut imaginer de motifs plus nobles à un homme politique, il se dit et s’écrit que j’agis par intérêt électoral. Comme s’il y avait besoin de cette preuve pour comprendre qu’en effet je ne suis pas venu ici sans me préoccuper également de préparer aussi efficacement que possible la campagne présidentielle et législative ! Mais je n’ai jamais cru que ce serait une question de marques d’estime faites à l’un ou l’autre. Ni une affaire de séduction. Je suis sans illusion sur les motifs qui conduiront où non le PCR à décider de prendre place ou non dans le rassemblement que propose le Front de Gauche. Le PCR ne se dispose pas en fonction des relations personnelles de son fondateur. D’autre part, j’ai déjà eu un avant goût de la violence des rejets mutuels qui se cultivent sur place, dans l’autre gauche. Au total, c’est un raisonnement et des programmes qui feront la décision de chacun. Je ne sais pas de quel poids peuvent peser mes arguments et les risques qu’implique le fait de les suivre. Mais j’aurais fait mon devoir. Advienne que pourra.

J’ai commencé une relation détendue et fraternelle avec Yvan Hoarau le secrétaire de la CGT-R et j’ai l’intention de continuer à le consulter à l’avenir. Car le mouvement social est à l’image de la société réunionnaise. Il en est l’aile marchante très avancée. J’y constate un sens des responsabilités qui rend plus angoissant l’appel qui est adressé à tous ceux qui le consultent. Tous m’ont parlé de l’impasse du modèle social actuel. Tous m’ont parlé d’une société épuisée par la pauvreté et le chômage (presque 50% de la population active est au chômage). La discussion avec les jeunes m’a permis de prendre la mesure des frustrations immenses qui couvent. Personne ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu ! Le volcan social gronde. Spécialement parmi les jeunes qui sont ici, en proportion, très nombreux et très mal traités. Fou qui l’oublie.

Mon point de départ ici encore, c’est mon mandat de député européen. Car autant je dis du mal des institutions européennes et de la politique qu’elles mènent autant je suis attaché à exercer mon mandat, dans la vision que je m’en fais, celle d’un représentant du peuple. Il ne s’agit pas seulement d’écouter. Il faut informer. Travail gigantesque. Le pire est que les gens ne croient pas ce qu’on leur apprend. Aussi incroyable que cela paraisse. Dans les discussions et les rencontres, j’ai donc fait revenir cette dimension de la réalité. Il est vrai qu’ici la politique européenne aura des conséquences particulièrement violentes. Si la Réunion est une zone ultra périphérique de l’Union européenne, le modèle du centre ne varie pas pour autant. Ici comme partout c’est celui du libre échange et de la concurrence libre et non faussée. Pour la Réunion, cela veut dire la destruction de toute production locale et le retour au modèle de l’économie de comptoir.

La culture de la canne et l’exploitation de ses produits sont menacés de mort par l’organisation communautaire du marché du sucre. Tout le monde devine qu’il va être libéralisé c’est-à-dire ouvert à tous vents. Non seulement toute l’activité économique qui va avec est menacée mais aussi les 20 % de l’électricité locale produite avec la combustion de la bagasse. Et tout ça pourquoi ? Pour quelques centimes, et même moins, d’économie dans l’agroalimentaire. Tout cela parce que dans les grands marchandages de l’OMC, cette institution destructrice, les pays européens, Allemagne en tête, sont prêts à toutes les concessions à propos des produits agricoles en échange de facilités pour leurs produits industriels. L’Union européenne, ce n’est que cela. Mais qui nous oblige à supporter sans broncher la destruction de toutes les opportunités que présente l’existence de la Réunion pour nous, Français et progressistes européens ?


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