Un « nouveau » Front National ? Trois questions à René Monzat

mercredi 4 mai 2011.
 

Gabriel Gérard – Au congrès de Tours, en janvier dernier, une nouvelle génération a pris les rênes du FN. Selon vous, quelles en sont les conséquences ?

René Monzat – Cette organisation reste faible, mais ses cadres, ses équipes dirigeantes ont assimilé les résultats du travail idéologique et intellectuel et politique effectué durant les années 1990.

Ils parient sur un moteur politique à deux composantes,

un discours social, anti libéral, anti financier aux accents parfois anticapitalistes tenu au nom du peuple et des ouvriers

un discours national, de défense des valeurs françaises et européennes contre une menace de dénaturation

Ils ont compris aussi qu’en mettant l’accent sur l’aspect « social » de leur discours le FN se prémunit contre le « siphonage » de sa base populaire par la droite. Cela garantit la « différence de nature » entre le FN et l’UMP. L’adhésion de militants à la fois au FN et à des organisations syndicales n’est donc pas réductible à de l’entrisme, de la manipulation.

Le Front National d’aujourd’hui est plus que jamais un parti de « droite révolutionnaire » au service d’un projet de société autoritaire.

Dans le maniement du discours politique ils ont choisi l’ attitude pragmatique et cynique de la Nouvelle droite qui dit tout et son contraire pour désemparer ses adversaires, et non le discours incantatoire des courants de matrice catholique qui sont prêts à se faire manger par les lions comme les martyrs plutôt que de céder sur un mot..

Ils sont donc capables de « retourner » des mots et notions empruntées à leurs adversaires, par exemple transformer la laïcité en défense du communautarisme gaulois et catholique, parler du droits des femmes, de la république etc.

Le FN est devenu plus dangereux, il gagne en audience et peut reconstruire son appareil. Il est aussi plus agile, plus capable de saisir à son profit les opportunités politiques.


L’audience retrouvée du FN est-elle réductible au nouvel « effet Le Pen » ?

Non ! L’audience retrouvée du Front National n’est que l’aspect hexagonal d’une audience croissante de mouvements populistes, xénophobes, ou de droite révolutionnaire. Ce phénomène continental tient à la crise persistante des sociétés européennes en l’absence de perspectives politiques. Marine Le Pen est un symptôme local de la recherche désespérée de solutions politiques. Là réside le phénomène principal.

En France l’évolution du champ politique et idéologique a été accélérée par la stupidité d’une droite qui renforce en se débattant le piège dans laquelle elle s’est placée. En offrant « gratuitement » une hégémonie idéologique aux xénophobes, le gouvernement s’est évertué à saper sa propre base électorale. Cette droite ne voit tout simplement pas que l’électorat populaire du FN n’a aucune raison de revenir vers les partis clientélistes de droite.

La nouvelle direction réussit à incarner la modernité du Front National et se montre mieux capable de capitaliser la situation que ne l’était Jean-Marie Le Pen ou que ne l’aurait été Bruno Gollnish. Ce troisième facteur est lui aussi nécessaire pour catalyser en votes le climat politique.

Quels sont les nouveaux défis à gauche ?

Elle est un élément du problème car les formations de gauche européennes se sont avérées incapables de protéger les salariés des méfaits de la contre révolution capitaliste et libérale constituée par 40 ans d’assaut contre les acquis sociaux. Incapables de s’opposer à cette offensive, incapables de l’expliquer. Elles sont aujourd’hui incapables d’adopter une politique et une stratégie cohérente d’altermondialisation, d’aide à la généralisation des acquis sociaux dans les zones où la production manufacturière est la plus dynamique.

Il faut écouter le refrain de ces femmes et hommes qui, interrogés sur les raisons de leur vote disent leur déception : « on a essayé la gauche, on a essayé la droite, alors maintenant on essaye le Front National ».

La gauche est aussi un élément de la solution. Car elle seule peut regagner l’électorat populaire du FN. Elle seule peut démontrer que la xénophobie, la préférence nationale est un dérivatif, un leurre, un moyen de diviser celles et ceux qui peuvent créer un rapport de force. Mais face au nouveau FN il sera plus difficile de formuler des thématiques consensuelles que dans les années 1990 ou 2000,

- parce que la reformulation « culturelle » du racisme anti-immigré en islamophobie a paralysé, y compris la gauche,

- parce que les résistances à la mondialisation libérale restent trop peu crédibles pour constituer des alternatives réelles et que ces perspectives sont loin d’être assumées par la gauche dans son ensemble.

Propos recueillis par Gabriel Gérard

MONZAT René, GERARD Gabriel

* René Monzat est l’auteur de Les Droites nationales et radicales en France (avec Jean-Yves Camus), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992 ; Enquêtes sur la droite extrême, Paris, Le Monde Éditions, « Actualité », 1992 ; Les Voleurs d’avenir. Pourquoi l’extrême droite peut avoir de beaux jours devant elle, Paris, Textuel, « La discorde », 2004 ; Petit manuel de combat contre le Front national (avec Anne Tristan), Paris, Flammarion, 2004.


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