Le mur des Fédérés, 
ou la bataille de la mémoire

mercredi 11 mai 2011.
 

Ce matin du 29 mai 1871, Paris est comme une ville conquise par une armée étrangère. Partout les militaires bivouaquent sur la chaussée. Les soldats perquisitionnent ou arrachent les dernières affiches communardes. Si, dans les quartiers de la grande bourgeoisie, à l’ouest, on pavoise, dans le reste de la ville, on s’inquiète pour le sort de celles et ceux qui ne sont pas revenus du combat sur les barricades ou d’une simple promenade. Partout on voit passer les sinistres tapissières, venues de la caserne Lobau, de la prison de la Roquette, d’où il faut évacuer 1 800 fusillés de la nuit précédente, de Mazas ou du Luxembourg, et qui vont déposer les corps sanglants dans les cimetières, mais aussi parfois dans les tranchées à l’extérieur de Paris, dans des puits ou dans des terrains vagues. Des dizaines de milliers de prisonniers passent en grands convois et sont dirigés vers Satory pour attendre un jugement qui sera inique.

Un dernier bruit de fusillade vient de l’est le soir de ce jour  : c’est que le fort de Vincennes, dernier point de résistance, tenu par 300 Fédérés, ne s’est rendu que dans la journée et l’on en exécute les officiers.

L’ordre règne. L’ordre militaire certes, mais cela ne suffit pas. S’engage après la Commune une formidable campagne d’ordre moral contre la Commune. On en connaît bien la dimension écrite avec ces articles qui décrivent les communards comme de la racaille, des bêtes fauves et des monstres  ; et, quand ce sont des artistes ou des intellectuels, des déclassés ou des ratés. Quant aux communardes, ce sont des pétroleuses ou des prostituées. Mais c’est aussi une formidable campagne d’images qui est menée et qui va jouer un rôle décisif dans la construction de la représentation mémorielle anticommunarde.

La campagne s’appuie sur deux aspects  : les ruines et les exécutions des otages. Le 13 juin 1871, un écrivaillon, Paul de Saint-Victor, donne le la  : « Cet entassement de ruines n’est que la hideuse ébauche de la destruction gigantesque que projetait la Commune  ! » L’historien Bertrand Tillier a décompté la parution, en 1871, de neuf albums de photographies importants et de plusieurs recueils illustrés  ! Sans doute la ruine avait-elle un intérêt artistique ou touristique parfois, mais il s’agissait bien d’abord de montrer la folie destructrice des communards.

Pour les exécutions, il fallut se résoudre aux photomontages. Ces images étaient diffusées en grandes planches, en albums ou même en cartes de visite  ! Appert fabriqua ainsi, en un an, 11 photomontages, de « l’assassinat » de Thomas et Lecomte à celui des otages de la rue Haxo. D’innombrables autres séries suivirent comme le Sabbat rouge de Raudniz. « Véritable entreprise de falsification de l’histoire », selon l’expression de Bertrand Tillier, où les communards sont présentés comme des bourreaux fébriles ou bestiaux. Cette déferlante d’images violemment anticommunardes, dont l’usage doit encore de nos jours s’accompagner de précautions critiques, ce qui n’est pas toujours le cas, ne pouvait recevoir la moindre réponse dans les années 1870.

Le mur des Fédérés, où avaient été fusillés au petit matin du 28 mai 147 communards et où furent enfouis dans la fosse commune entre 700 et 3 000 (selon les sources) cadavres de fusillés, devint le lieu de la construction de la mémoire de la Commune. Cette construction passe par des pratiques commémoratives funéraires, celles de petits groupes d’abord qui viennent dès la Toussaint 1871 déposer des fleurs au pied du Mur. Puis, à compter de 1876, vint le temps, chaque année répété depuis, du rassemblement ou de la montée au Mur. Mais l’essentiel vint après la loi d’amnistie de 1880 qui était aussi une loi d’amnésie et de silence sur la Commune. Le Mur devenait alors le symbole de la lutte contre l’oubli, le lieu où « nous viendrons puiser chaque année une nouvelle audace ».

La loi de 1880 ne faisait que gracier les communards qui restent aux yeux de la loi des coupables. Et cent quarante ans après 1871, la réhabilitation des communards est devenue la nouvelle bataille de la mémoire  : elle nous concerne tous car les idées et l’œuvre démocratiques et sociales de la Commune restent d’une brûlante actualité, d’une brûlante modernité.

Une grande exposition à Paris

On lit dans le Journal officiel de la Commune que le 18 mai 1871 « les ouvriers qui savent faire des gabions, fascines et clayonnages (…) pour concourir à la défense de la République » sont invités à se présenter à la direction du génie 
de la Commune de Paris.

Le visiteur pourra retrouver l’esprit des constructeurs de barricades  ! Mais l’exposition ne se centre pas sur la Commune comme guerre civile. Elle veut d’abord montrer comment ces soixante-douze jours furent un formidable moment d’anticipation politique qui résonne encore de nos jours par une organisation en trois temps  : la démocratie originale de la Commune, sa culture humaniste et la construction 
d’une République sociale. Elle présente aussi une histoire sensible en s’attachant aux lieux 
de la grande ville et aux figures combattantes.Tout le long de l’exposition, des documents originaux, souvent inédits, sont présentés 
au visiteur  ; en particulier trois chefs-d’œuvre 
de Maximilien Luce.

1871. La Commune de Paris. Une histoire moderne.

Réfectoire des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-Médecine, 
Paris (métro Odéon), du 28 mai au 19 juin. 
Ouvert tous les jours de 11 heures à 19 heures.

Jean-Louis Robert historien, président des Amis de la Commune de Paris


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