ISF : « une réforme précipitée et politique » – « La vraie justice serait d’avoir un système fiscal plus redistributif »

lundi 16 mai 2011.
 

Doudi : Le gouvernement parle de réforme juste à propos de la réforme de l’ISF. Quelle est votre analyse ?

Vincent Drezet : Il faudrait déjà définir ce que veut dire « juste ». Si juste, c’est alléger la fiscalité du patrimoine en pariant que cela produira des effets économiques, alors la réforme est juste.

Si juste veut dire que l’on doit avoir un système fiscal équilibré qui tienne compte des facultés contributives de chacun, alors la réforme pose problème.

Le débat sur la justice fiscale est porté par toutes les sensibilités : Jean-François Copé, lorsqu’il était ministre du budget, a créé le bouclier fiscal au nom de la justice fiscale !

C’était d’autant plus surprenant qu’on sait maintenant que le bouclier fiscal a largement profité à une minorité de contribuables, par ailleurs très aisés, et qui avaient déjà bénéficié d’allègements fiscaux (impôts sur le revenu, par exemple).

La vraie justice fiscale serait plutôt d’avoir un système fiscal plus redistributif qu’il ne l’est.

Julie : N’est-ce pas soulager les riches que de proposer un tel allègement des tranches et barèmes de l’ISF ?

Vincent Drezet : Le premier bilan qu’on peut tirer de cette réforme, c’est que 560 000 personnes payant de l’ISF ne le paieront plus, ou le paieront moins. Ces 560 000 personnes sont pour certains aisées, pour d’autres, riches, voire très riches.

Même ceux qui perdent le bénéfice du bouclier fiscal auront un allègement d’impôts dans le cadre de cette réforme.

Ce qu’il reste maintenant à déterminer, pour avoir une vue globale de la réforme, c’est l’impact réel du léger relèvement des droits de donation et de succession.

Le gouvernement dit que ce relèvement imposera les plus aisés, mais on sait aussi que ceux-ci utilisent très largement les moyens juridiques et fiscaux pour transmettre leur patrimoine sans payer d’impôts.

Cette question n’est pas neutre, puisqu’elle implique à la fois l’équité fiscale et le rendement budgétaire.

Jacques : Taxer plus les successions est-ce que cela revient ou pas à taxer les mêmes qu’avec l’ISF ? Et si c’est le cas, à quoi cela sert de réformer l’ISF ?

Vincent Drezet : On pourrait évidemment dire que s’il s’agit d’alléger l’impôt d’une catégorie de contribuables pour le relever sous une autre forme, alors la réforme était inutile.

En réalité, c’est un peu plus compliqué. Il y aura sans doute des personnes qui bénéficient aujourd’hui de la réforme qui seront peu concernées par le relèvement des droits de donation et de succession.

A l’inverse, il y aura probablement des contribuables qui ne paient pas l’ISF aujourd’hui – par exemple du fait des exonérations – et qui se retrouveront demain à payer un peu plus de droits de donation et de succession.

Mais les données chiffrées manquent, ce qui ne permet pas de dresser une étude d’impact précise de la réforme dans sa globalité.

Wolfie : Comment mettre en place l’« exit tax » après la jurisprudence de la Cour de justice européenne et comment ne pas télescoper les conventions fiscales, signées par la France avec de nombreux pays, et supérieures au droit interne ?

Vincent Drezet : Le vrai problème réside dans la jurisprudence européenne, qui a déjà censuré une « exit tax » qui portait sur les plus-values latentes.

Il faudra attendre de voir le texte précis pour savoir s’il y a un risque de censure de la jurisprudence européenne ou pas, qui avait à l’époque fait prévaloir les principes liés à la liberté de circulation pour condamner l’ancienne « exit tax ».

S’agissant des conventions, l’enjeu pour l’heure est avant tout de les utiliser pleinement afin de voir si les pays signataires jouent le jeu de l’échange d’informations, et ce afin de mieux combattre l’évasion fiscale internationale, qui reste très importante.

Julie : N’est-ce pas une lutte vaine face au « dumping » des paradis fiscaux ?

Vincent Drezet : L’« exit tax » n’est pas à proprement parler un moyen de lutter contre l’évasion fiscale au sens de la fraude. Cela dit, il est vrai qu’une des questions centrales, posées notamment aux pays membres du G20 et à ceux de l’Union européenne, c’est celle de la concurrence fiscale et sociale, qui a produit un certain nombre de dégâts (allègement des impôts directs conduisant à un déséquilibre du système fiscal, pertes de recettes fiscales, pression sur les finances publiques...), dont les paradis fiscaux sont la forme la plus extrême.

Or ceux-ci demeurent bien en place, et contribuent à accélérer le phénomène de concurrence fiscale tout en favorisant la fraude fiscale.

Francis : Quel est le rôle de la taxe sur les résidences secondaires, et comment s’appliquera-t-elle ?

Vincent Drezet : Le rôle de la taxe sur les résidences secondaires est de faire contribuer des non-résidents au financement des politiques publiques sur le territoire où se situe leur résidence secondaire. Par exemple, les investissements publics peuvent contribuer à faire augmenter la valeur de leur résidence secondaire.

Lors de la vente de la résidence secondaire, la plus-value n’en est alors que plus importante. Il est donc normal que les non-résidents contribuent au financement de cet investissement public. Concrètement, cette taxe devrait prendre la forme d’une taxe foncière telle qu’on peut la connaître dans le cadre de la fiscalité locale.

Penseur : Comment expliquer aux gens qu’une disposition, le bouclier fiscal, inscrite à l’article 1 du code général des impôts, puisse être supprimée cinq ans plus tard ? Comment l’Etat français peut-il agir avec une telle désinvolture en reprenant sans cesse sa parole ?

Vincent Drezet : Il est vrai que la mise en place du bouclier fiscal avait été très solennelle ; et dans les arguments qui avaient accompagné sa création, il y avait notamment celui de la stabilité de la sécurité juridique fiscale.

De ce point de vue-là, effectivement, il y a une contradiction importante !

En réalité, tout cela montre que cette réforme n’est pas une réforme de fond (dans ce cas-là, on aurait revu l’assiette de l’ISF, par exemple), mais une réforme politique destinée tout à la fois à supprimer un boulet politique (le bouclier fiscal) tout en poursuivant les attaques contre la fiscalité directe sur le patrimoine.

HH : Y a-t-il de bonnes choses, selon vous, dans la totalité de la réforme fiscale ?

Vincent Drezet : La bonne chose, c’est d’avoir ouvert le débat fiscal. On peut même ajouter que la suppression du bouclier fiscal est une bonne chose. Une réforme plus modeste et plus juste se serait contentée de cette suppression.

On peut être frustré d’avoir assisté à une réforme finalement assez précipitée et très politique, car on aurait pu et dû poser simplement les questions sur les raisons de la fiscalité du patrimoine, sur les objectifs qui lui sont assignés, sur son architecture...

Ce débat a manqué, et un certain nombre de problèmes structurels (le poids des niches fiscales à l’ISF, par exemple) demeurent.

J-M Lanouange : Est-il vrai qu’un contribuable de la « classe moyenne » paye proportionnellement plus d’impôts au total qu’un contribuable parmi les plus fortunés ?

Vincent Drezet : D’un point de vue général, c’est vrai, pour une raison liée à l’architecture fiscale, qui est que les classes moyennes ont moins de possibilités de se livrer à la défiscalisation, et se retrouvent à payer leur impôt « plein pot », ce qui pèse proportionnellement plus sur leurs revenus que les classes les plus aisées, dont le taux d’imposition stagne, voire diminue, pour les revenus les plus élevés.

Plus largement, s’agissant des autres impôts, tels que la TVA, la capacité d’épargne des classes moyennes est relativement faible, de sorte qu’au final, la part du revenu consacrée au paiement de la TVA et des impôts indirects est proportionnellement plus élevée que pour les plus aisés, qui ont une propension à épargner d’autant plus importante que leur revenu est plus élevé.

Commandeur : Vous demandez un système fiscal plus redistributif. Pourtant, les revenus de transferts représentent plus de 45 % du PIB. Que préconisez-vous donc ?

Vincent Drezet : Petite précision tout d’abord : la part de la redistribution sociale dans le revenu des ménages est de 30 %.

Au-delà, la gratuité ou la quasi-gratuité des services publics vient compléter le paysage redistributif. Mais il faut rappeler que dans la circulation des richesses, il y a trois grandes étapes : la distribution primaire des revenus et des patrimoines, la redistribution fiscale au stade du prélèvement, et la redistribution sous forme de prestations et de services publics.

En France, la redistribution fiscale est particulièrement faible. Or l’enjeu est bien de réduire les inégalités le plus en amont possible. Dans cette approche-là, redonner des couleurs à la redistribution fiscale s’impose : cela passe par un élargissement de l’assiette de la plupart des impôts, par un impôt sur le revenu plus progressif (afin de réduire les inégalités de revenus qui se sont largement développées depuis la fin des années 1990), et par une réforme de la fiscalité locale, par exemple.

Rose : La Cour des comptes vient d’appeler à réformer l’impôt sur le revenu de façon urgente. Vous pensez comme elle ? Et comment faire ?

Vincent Drezet : La Cour des comptes dresse un constat que l’on partage et que notre organisation porte de longue date.

Plusieurs propositions existent. On peut réformer l’impôt sur le revenu en tant que tel, c’est-à-dire revenir sur la plupart des niches fiscales, voire réévaluer le barème d’imposition (pendant les « trente glorieuses », tous les pays occidentaux avaient des taux d’imposition très élevés, ce qui a comprimé les inégalités sans obérer la croissance économique).

Certaines propositions portent sur le rapprochement, voire la fusion, entre l’impôt sur le revenu et la CSG. Il est vrai que celle-ci rapporte plus que l’impôt sur le revenu, mais qu’elle n’est pas progressive, ce qui pose question.

Un tel rapprochement est complexe et soulève des enjeux lourds : l’avenir du quotient familial, le nombre et le coût des niches fiscales, la progressivité de l’impôt et le financement du système de Sécurité sociale.

Isa : Peut-on fusionner l’IR et la CSG comme ça sans étape ? Est-ce qu’il n’y a pas un problème d’individualisation, par exemple, à régler ?

Vincent Drezet : Si l’on se cale sur l’assiette de la CSG, alors il y a une individualisation de l’impôt. Toute la question est de savoir si l’on est prêt à abandonner le quotient familial et si l’on veut éventuellement prendre en compte les personnes « à charge » sous une autre forme. Exemple : crédit d’impôt, abattement...

Si l’on se cale sur l’assiette de l’impôt sur le revenu, alors on peut maintenir le quotient familial, mais le rendement de cet impôt fusionné sera mécaniquement inférieur à la somme actuelle de l’impôt sur le revenu et de la CSG.

Dans cette question-là, c’est d’abord le choix politique sur la politique familiale, sur les incitations fiscales, sur la progressivité, sur le niveau de ressources global qu’on souhaite tirer de l’impôt qui est central.

Timeothomas : Thomas Piketty (économiste proche du Parti socialiste) propose une suppression du quotient familial. Votre avis ?

Vincent Drezet : La France est une exception s’agissant du quotient familial. Et il est vrai qu’il produit un certain nombre d’effets pervers : sur le travail des femmes ou sur l’économie d’impôt plus importante si l’on est aisé et nulle si l’on fait partie des classes modestes. L’enjeu, c’est la question de l’équité horizontale, à savoir que deux contribuables, à revenu égal, doivent payer le même impôt, mais la dimension familiale doit être prise en compte.

Pour cela, il existe plusieurs pistes qui ne font pas nécessairement des perdants chez les bénéficiaires actuels du quotient familial : un crédit d’impôt par enfant à charge (à articuler avec les prestations familiales éventuellement), un abattement...

On pourrait même déboucher sur un système un peu plus égalitaire qui permettrait de prendre en compte les personnes à charge (avec un « avantage fiscal » égal pour tous) et d’instaurer une individualisation aménagée de l’impôt.

Tribun : Pourquoi ne pas mettre en place l’impôt à la source, puisque dans l’Europe des Quinze, quatorze pays y sont déjà ? Cela permettrait au moins de réduire les effectifs pléthoriques à Bercy !

Vincent Drezet : S’agissant des effectifs pléthoriques à Bercy, ils ne le sont plus. Je souligne que l’administration fiscale a perdu 15 % de ses effectifs depuis 2003 et que la charge de travail a augmenté (il faut quand même dire que celle-ci ne se résume pas à la collecte de l’impôt : il s’agit de la gestion de l’impôt, de l’accueil des contribuables, de la détection de la fraude fiscale, du contrôle fiscal, de l’enregistrement des donations, des successions, des mutations d’immeubles et de fonds de commerce, des actes de société, de la gestion de la dépense publique, de la gestion des comptes des collectivités locales et des établissements publics, du traitement du gracieux et du contentieux, de la redevance audiovisuelle, des amendes... et j’en passe).

S’agissant de la retenue à la source, celle-ci ne supprimerait pas des emplois, au contraire. En effet, la collecte de l’impôt sur le revenu est très concentrée (peu de personnes y travaillent), mais il faudrait permettre une actualisation du taux de retenue à la source (en fonction des changements de situation professionnelle et personnelle), ce qui implique une gestion assez lourde et complexe, d’où des effectifs supplémentaires nécessaires !

La question n’est donc pas celle des moyens, mais bien de la complexité d’un tel dispositif. Il n’y a pas un modèle de retenue à la source dans les autres pays. Certains passent par les employeurs, d’autres par les banques.

Et de fait, il n’y a pas de système idéal, même si, en France, on peut noter que nous avons un système peu coûteux et assez simple, avec la mensualisation, qui a été adoptée par les trois quarts des contribuables.

Mouais : Que pensez-vous de l’option relèvement des taux de la TVA, sachant qu’elle est payée par tous les touristes qui visitent notre beau pays ?

Vincent Drezet : La TVA n’est pas payée que par les touristes, mais avant tout par les résidents français. Le problème de la TVA est qu’elle est déjà très importante en France (la moitié des recettes de l’Etat) et qu’elle pèse plus lourdement sur les budgets des classes moyennes et des classes modestes. Un relèvement de la TVA aggraverait cette situation.

Ceux qui portent un tel relèvement souhaitent en contrepartie diminuer les cotisations sociales pour, notamment, favoriser les exportations. Mais les effets concrets d’une telle mesure ne sont pas aussi simples : pour qu’un tel dispositif marche, il faudrait que toutes les entreprises diminuent leurs prix de revient à proportion de l’allègement de cotisations sociales.

Or on a vu, avec la TVA dans la restauration, qu’un allègement n’est pas forcément répercuté dans le prix. Par ailleurs, certaines entreprises, notamment dans le secteur industriel, qui ont déjà bénéficié d’allègements ne pourraient pas répercuter intégralement un allègement supplémentaire. Enfin, il existe des secteurs d’activité peu concurrentiels au sein desquels une baisse des cotisations sociales ne serait pas pleinement répercutée.

Tout cela pour dire qu’une baisse des cotisations sociales non intégralement répercutée accompagnée d’un relèvement de la TVA se traduirait bien par une hausse des prix. Cette hausse serait également pleine et entière pour les produits importés.

Au final, les avantages de la « TVA sociale » paraissent bien théoriques. Pour financer la Sécurité sociale, d’autres pistes existent. Disons que le projet de TVA sociale n’est pas acceptable mais a au moins le mérite d’ouvrir le débat.

John : Le gouvernement semble vouloir imposer une nouvelle taxation spéciale sur les plus hauts revenus et les bonus. Qu’en pensez-vous ?

Vincent Drezet : Attendons de voir le projet précisément. Mais pour relever l’imposition des hauts revenus, commençons déjà par résoudre les problèmes inhérents au système actuel : la régressivité de l’impôt sur le revenu que le Conseil des prélèvements obligatoires vient d’illustrer dans son rapport.

Le taux moyen des 350 000 personnes les plus aisées varie aujourd’hui entre 15 et 20 % selon les situations. Relever leur niveau d’imposition passe donc avant tout par des mesures touchant à l’assiette. En clair, le plafonnement global des niches fiscales et la suppression d’un certain nombre d’entre elles.

Kate : Le PS fait de la réforme fiscale l’une de ses priorités s’il revient au pouvoir en 2012. Que pensez-vous de ses propositions ? Vous semble-t-il prêt réellement à réformer le système fiscal, sachant que par le passé il a déjà beaucoup promis... ?

Vincent Drezet : Tout d’abord, tous les partis politiques portent peu ou prou une approche et des propositions en matière de fiscalité. Il est vrai que le PS, en 2000, a engagé un processus d’allègement de l’impôt sur le revenu, qui a été amplifié par les gouvernements suivants.

Il faut rappeler que si l’impôt sur le revenu de 1999 avait été maintenu, il rapporterait aujourd’hui 15 à 16 milliards d’euros de plus, et que ces allègements cumulés ont coûté depuis 1999 125 milliards d’euros.

Qu’un parti, quel qu’il soit, souhaite faire de la réforme fiscale un thème central est une bonne chose, tant la question de la répartition des richesses et du financement de l’action publique est cruciale. Mais pour l’heure, les projets ne sont pas assez détaillés pour pouvoir se prononcer sur leur impact en termes de ressources publiques, de progressivité, de ressources pour la Sécurité sociale...

DREZET Vincent, LE CŒUR Philippe


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