Écoles rurales Le refus du désert (2 articles)

samedi 17 février 2018.
 

2) Maurice Marteau «  En fermant l’école, l’État tue un lien social »

Pour Maurice Marteau, du Collectif pour la défense de l’école publique de proximité (1), l’attaque contre l’école rurale est autant budgétaire qu’idéologique.

Comment a évolué la situation de l’école rurale 
ces dernières années  ?

Maurice Marteau. Elle a subi, depuis trente ans, 
un mouvement 
de concentration dramatique. Progressivement, les classes uniques ont été supprimées 
au profit, notamment, 
de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI). Parfois, il s’agit juste 
de transformer les deux classes uniques de deux communes voisines en deux nouvelles classes, l’une regroupant 
les CP, CE1, CE2 et l’autre 
les CM1 et CM2. Parfois, 
le regroupement va plus loin 
en mettant ensemble tous 
les enfants d’un même niveau, mais venant de plusieurs communes, dans une même classe de 25 élèves. C’est 
la logique des établissements publics d’enseignement primaire (Epep). L’État actuel 
a beaucoup poussé pour 
qu’ils se mettent en place. 
Mais devant le peu de succès, 
il encourage plutôt, ces derniers temps, les communautés 
de communes à prendre 
la compétence scolaire 
avec l’objectif final de n’avoir plus qu’une grande école 
par canton.

Quel est l’intérêt de l’État  ?

Maurice Marteau. Ces regroupements lui permettent de faire des économies d’échelle très importantes, notamment sur les postes d’enseignant. En revanche, l’intérêt des départements et des communes est moins évident. Pour elles, c’est souvent synonyme d’augmentation du coût 
des transports scolaires, 
et écologiquement, c’est 
une catastrophe. Quant 
à l’intérêt pédagogique 
de ces regroupements, 
il n’a jamais été démontré. 
Au contraire. Une étude comme celle d’Alain Mingat, en 1993, montre très clairement que 
les enfants en classe unique ont des acquis supérieurs à ceux 
en classe traditionnelle. L’écart est de 4,8 points à l’entrée en 6e...

Quels sont les avantages 
des classes uniques 
où à plusieurs niveaux  ?

Maurice Marteau. C’est paradoxal, mais devant l’apparente difficulté d’affronter des élèves 
de différents niveaux, l’enseignant est obligé d’inventer autre chose que le cours magistral, souvent rébarbatif. Par la force 
des choses, il laisse les enfants travailler avec beaucoup plus d’autonomie. Ensuite, le prof recourt bien souvent à une coopération entre élèves qui est, à mon sens, fondamentale. Quand un enfant de maternelle voit un CP à peine plus âgé que lui déchiffrer un texte, il aura envie à son tour d’apprendre cette merveille qu’est la lecture. C’est aussi simple que ça. 
En classe unique, les petits 
sont tirés vers le haut. 
Quant aux grands, ils sont mis 
en situation d’aider les petits. Or on ne maîtrise jamais 
aussi bien une notion 
que lorsqu’on est capable 
de l’enseigner soi-même...

N’y a-t-il pas derrière 
ces fermetures la volonté d’imposer une certaine vision 
de la pédagogie  ?

Maurice Marteau. Absolument. Depuis au moins 2007, 
il est prôné une conception 
de la pédagogie de plus 
en plus autoritaire avec 
un enseignant considéré 
comme un simple exécutant. 
Au fond, c’est le modèle 
des classes prépa et des grandes écoles qui prévaut  : une école de la compétition et de la concurrence entre élèves. 
Il est sûr que le modèle coopératif des classes uniques et, plus généralement, 
de l’école rurale va à rebours 
de tout cela. Dans un village, 
il y a une vraie proximité, 
les parents comme 
les enseignants se rencontrent, 
se connaissent. Ils sont 
souvent prêts à s’épauler 
et l’éducation des enfants 
est un peu l’affaire de tous. Fermer l’école, c’est tuer ce lien social. Mais peut-être est-ce 
le but de l’actuel pouvoir  ? Pour une pensée de droite, 
il est, au fond, essentiel que 
les gens soient atomisés pour être mieux soumis à la dictature de l’individualisme et de l’argent roi. Le gouvernement n’a aucun intérêt à ce que les gens s’unissent et réfléchissent, y compris autour de l’école.

(1) http://ecoledeproximite.lautre.net/

Entretien réalisé par L. M.

1) École rurale et classes uniques : un lieu pédagogique privilégié

Considérées comme archaïques, les classes uniques sont au contraire les lieux privilégiés d’une transformation profonde des approches pédagogiques. Comment les classes uniques françaises, condamnées, ont pu renverser des représentations fortement ancrées.

Intervention au cours de la journée nationale portugaise "Développement rural et communautés éducatives" (les écoles isolées) organisée par l’Instituto das Comunidades Educativas à Arcos (Portugal) les 6, 7 et 8 juillet 1993 - Bernard COLLOT - retour sommaire

Le problème de l’école rurale, comme celui d’ailleurs de l’école de banlieue ... et de l’école tout court, dépasse de très loin un simple problème économique ou un simple problème pédagogique. C’est de la réalité et de l’existence de groupes humains dont il s’agit, qu’ils s’appellent villages, ou blocs d’une cité de banlieue. Et ces "groupes d’humains" l’ont très bien compris quand, brutalement, sans que les autorités ne comprennent toujours bien pourquoi, ils se sont mis à défendre une école considérée comme archaïque par certains, mais qui était devenue LEUR école et non plus celle de l’Etat. Où, comme en banlieue, quand des HLM entiers s’auto-organisent pour s’occuper eux-mêmes de leurs enfants.

Le problème de l’école est en train de devenir le problème de la citoyenneté à tous les niveaux : dans l’école, pour l’école, autour de l’école, par l’école. Et les 2 endroits où cette transformation concomitante de l’école et des groupes sociaux qui l’entourent, ou dont elle est issue, est la plus facile, c’est justement dans ces 2 points à l’extrême de la carte socio-culturelle : les banlieues et le milieu rural. Plus facile parce que d’une part et surtout pour les petites structures du milieu rural, elles réunissent toutes les conditions favorables à une transformation ou à une renaissance des relations, d’autre part parce que leur situation critique oblige à balayer d’anciens schémas qui ne peuvent plus assurer la survie des communautés.... et oblige ainsi à une véritable créativité sociale.

Situation en France

La France possède actuellement 6748 écoles isolées sur 36 401 écoles primaires, soit 18,5% représentant 3% des élèves.

Sur ces 6 748 écoles isolées, il y a seulement 2 000 classes uniques, c’est à dire une école comprenant tous les niveaux de 5 à 10-11 ans, avec une moyenne de 17 élèves par école.

En 30 ans, 11 000 classes uniques ont été fermées. Il y en avait encore 11 000 en 1980, plus que 8 032 en 89. Elles se ferment au rythme de 300 à 500 par an.

Vous voyez que le problème de la disparition de l’école rurale chez nous n’est pas neuf ! mais, jusqu’en 1989, elle se mourait tranquillement. Il y avait une grille gouvernementale qui indiquait qu’au-dessous de 9 enfants, l’école devait être fermée automatiquement. Tant que ce seuil n’était pas atteint, l’école était maintenue. Comme dans toute l’Europe, les campagnes se désertifiaient peu à peu. Plus d’habitants, donc plus d’enfants. Donc plus d’école ! Ce n’est pourtant pas aussi simple que cela : depuis une trentaine d’années, nous avons assisté à ce qu’on peut appeler l’urbanisation de la plupart des milieux ruraux chez nous, même si cela n’apparait pas toujours en termes d’aménagement du territoire ou de transformation de l’habitat. Ce que j’appellerais l’industrialisation des mentalités :

La logique tayloriste

- logique de consommation, le super-marché dans la plupart des chef-lieux de canton vide les petits commerces. Plus c’est gros, mieux c’est ! Il en va des écoles comme des super-marchés. Un instituteur "monte" toujours vers la grosse école dans son plan de carrière. Dans la tête de tous c’est un signe de sa valeur. Logique de consommation aussi : l’école doit aussi apporter tous les "services" nécessaires au confort des parents (cantine, garderie, maternelle ...), même si ces services ont été surtout nécessaires dans les zones urbanisées, comme les vacances en caravane au mois d’août dans les bouchons surchauffés, ils deviennent un besoin par colonisation d’une culture.

- spécialisation de tout avec division des tâches et des rôles. C’est le taylorisme qui va partout, jusque dans le travail intellectuel.comme l’ont très bien analysé nos amis belges du CREDAR La diversité devient signe de difficultés, la mono-culture comme la mono-pédagogie sont l’efficacité.

- individualisation des comportements dans une logique de relations sociales concurrentielle. L’important n’est plus la vie du village, le vie de l’enfant, mais la course vers la situation sociale.

- attribution de valeur aux seules choses matérielles. les communes vont faire d’énormes efforts pour goudronner tous leurs chemins, et parfois ne pas mettre 1 centime dans leur école considérée par de très nombreux maires comme ... leur dernier souci ou la plaie dont ils voudraient bien être débarrassés

Je rajoute à ces phénomènes la généralisation des transports individuels qui ne fait plus de la proximité une nécessité matérielle, sauf dans les régions de montagne.

La baisse démographique trop facilement évoquée

Si bien que la disparition des petites écoles n’a pas seulement été due à une simple baisse démographique : Dès qu’une école perd sa 3ème classe, on assiste à une fuite généralisée :

- fuite des parents pensant que l’enseignement va nécessairement souffrir de l’hétérogénéité accrue et qui préfèrent assurer eux-mêmes un déplacement quotidien vers le chef-lieu.

- fuite des enseignants effrayés par l’apparition de l’hétérogénéité, en particulier dans cette conception tayloriste qui est toujours celle de l’enseignement actuel et qui se trouvent confrontés alors à une véritable quadrature du cercle.

- abandon encore plus net des municipalités qui se contentent d’un entretien ... minimum !

Si bien que quantité d’écoles ont disparu alors que les villages étaient encore riches en enfants ! Mais on a pu constater que ces villages sans écoles ont, à partir de cet instant, périclité beaucoup plus vite que ceux, identiques, qui l’avaient conservée.

Nous allions vers la disparition, presque tranquille, de l’école rurale. Contrairement à certains de nos voisins comme la Belgique ou l’Allemagne qui avaient programmé cette disparition il y a une trentaine d’années .... et qui dépensent actuellement, en particulier pour certains états allemands comme le Badwutenberg , une fortune pour essayer de réimplanter de petites écoles en milieu rural !

En 1989, l’Education Nationale décide d’accélérer le processus. Un chargé de mission est nommé. Celui-ci ne fait pas dans la dentelle : il dénigre systématiquement et publiquement les classes uniques, intervient auprès des conseils généraux pour obtenir leurs soutiens financiers, auprès des inspecteurs d’académie pour qu’ils aillent dans le même sens. La panacée, c’est le regroupement concentré des écoles ! Dans 7 départements dits "pilotes" ce sont des suppressions massives, sans plus de souci d’un seuil qui a d’ailleurs été abrogé.retour début

Une réaction inattendue

Tout aurait dû bien se passer ! mais, à la surprise générale, cette accélération des processus a eu 2 effets :

- elle provoque la réaction de parents et d’élus attachés à la présence d’une école dans leur village et en même temps il révèle leur existence. Depuis une dizaine d’années est amorcé un processus nouveau dans les mouvements de population et les mentalités : alors que pendant longtemps l’objectif principal avait été de quitter au plus vite un milieu jugé négativement, vivre à la campagne devient un choix, parfois un choix économique, presque toujours un choix de vie. Et le choix par certains parents d’une petite école pour leurs enfants ne correspond pas à une obligation matérielle mais bien à un choix conscient et cohérent. Changement dont peu d’administrateurs ... parisiens ont eu conscience. Ces parents, ces élus se constituent dans une douzaine de départements en associations de défenses.

- elle provoque aussi la réactions de quelques enseignants qui avaient, eux aussi et pour des raisons pédagogiques, fait le choix de la petite école. Ils y pratiquaient, parfois depuis de très longues années, parfois presque clandestinement, une pédagogie totalement différente de la pédagogie officielle. Ils ont créé une association, d’abord appelée Association pour la Défense et la Promotion de l’Ecole Rurale, qui est devenue récemment "Centres de recherches des petites structures et de la communication".

Ces 2 courants (parents-élus et enseignants) ont rapidement convergé et ont fondé une Fédération Nationale de Défense et de Promotion de l’Ecole Rurale en Juin 92. retour début

Le contre-pied des croyances généralement admises

Ce qu’il y a de nouveau et qui a désarçonné quelque peu les autorités, c’est que, sous l’influence en particulier des CREPSC, La FNDPER ne s’est pas contentée de revendiquer le maintien d’une école : Prenant à contre-pied les assertions de l’Education Nationale, nous prétendons que l’école à petite structure, non seulement est l’endroit le plus favorable à la construction psychologique de l’enfant et de ses savoirs, mais que c’est aussi l’endroit idéal pour que s’amorce cette transformation tant attendue du système éducatif. L’archaïsme étant du côté de ceux qui prônent une concentration pour ... ne pas bouger.

Nous nous appuyons d’abord sur des expériences de pratiques en classes uniques ou en petites écoles à 2 classes, dont certaines ont plus de 50 ans. Pratiques ou plutôt conception de l’école et de l’acte éducatif qui bouleversent les schémas habituels que l’on a de l’enseignement. J’en parlerai plus longuement.

Ensuite sur les recherches contemporaines, qu’elles soient pédagogiques (chez nous les travaux de Philippe Meirieu font l’unanimité), cliniques (Hubert Montagner, directeur de recherche à l’INSERM, a démontré cliniquement l’importance des petites structures et de la diversité des enfants dans l’acquisition de l’autonomie et les processus d’apprentissage), sociologiques ou philosophiques (le sociologue François Daubet, Edgar Morin, l’ethologue Boris Cyrulnik ou le philosophe Michel Serres), vont toutes dans notre sens. Ces personnalités soutiennent d’ailleurs nos travaux et nos positions.

Ensuite encore sur les réformes mêmes prônées par l’Education Nationale, en particulier la dernière qui scinde l’enseignement maternelle et primaire en 3 cycles ou l’introduction des technologies nouvelles qui n’ont pu être effectives que dans les petites écoles ... qui n’avaient d’ailleurs souvent pas attendu les directives de l’EN pour aller encore plus loin !

Nous nous appuyons aussi sur les statistiques mêmes de notre ministère : Depuis 90, dans toutes les écoles de France, les enfants sont soumis à 2 tests nationaux : l’un à 7 ans, l’autre à l’entrée au collège. Normalement, dans des petites écoles dont l’ensemble est vétuste, avec des maîtres qui changent sans arrêt et dont la plupart sont débutants, avec un milieu socio-culturel moins brillant que dans les gros bourgs, avec cette hétérogénéité des niveaux, les résultats devaient être au moins médiocres. L’Education Nationale charge donc une sociologue d’éplucher les tests des petites écoles. La surprise est de taille : non seulement les résultats sont identiques à la moyenne nationale mais , en ce qui concerne le français et les mathématiques, ce serait même légèrement meilleur ! Pire, les résultats des écoles isolées ayant tous les cours sont même meilleures que ceux des écoles isolées à un seul cours ! Ce dernier résultat a même été tenu confidentiel !

Des phénomènes qui échappent à la pratique scolaire habituelle

Ce qui est intéressant ce n’est pas qu’ils prouvent que l’enseignement en classe unique est meilleur, parce que, d’une manière générale, il y était encore traditionnel, c’est à dire semblable à celui des autres écoles, mais que dans les processus d’apprentissages interviennent bien d’autres phénomènes qui échappent à la pratique scolaire : je citerai

- la possibilité de construction de relations dans un groupe à taille humaine et dans une durée et dans une histoire,

- l’élargissement progressif et sans rupture des cercles relationnels en partant de celui avec la mère,

- la construction de l’enfant dans un environnement avec lequel il est en contact beaucoup plus étroit, que ce soit un environnement physique ou un environnement social constitué par l’ensemble des relations qui font d’un village autre chose que des individus placés côte à côte,

- et ma foi, j’ose le dire, le fait que la diversité des âges des élèves empêche l’instituteur de tout contrôler ! Les apprentissages ne se feraient pas forcément par l’enseignant ... mais en grande partie à côté ! plus cet à côté est important, plus facilement seront enclenchés les processus d’apprentissage, comme la construction de l’autonomie, comme la construction sociale.

Ces tests auraient bien été une révélation .... si tout le monde ou presque ne s’était empressé de les enterrer !

Enfin nous nous appuyons sur un phénomène nouveau : dans certains de ces villages, l’école est devenue l’affaire de la communauté toute entière. Le temps est fini où l’état fournissait le maître, la mairie les murs et la craie, l’enseignant la salive ... et les parents les enfants. Cette collaboration entre les 3 partenaires est devenue effective dans de nombreux endroits et nous militons pour qu’elle le devienne de plus en plus.

Tout cela change considérablement les données et ouvre des perspectives immenses quant à ce que pourra être l’école : un véritable espace éducatif et culturel qui n’est plus refermé sur lui-même, où la place et la fonction des uns et des autres, leurs relations, seront différentes. retour début

Regrouper n’aboutit pas aux effets escomptés

Avant de prôner la concentration pure et simple, l’Education Nationale avait encouragé il y a une quinzaine d’années ce que nous appelons les regroupements pédagogiques intercommunaux éclatés. Le principe était simple : lorsqu’une commune était sur le point de perdre une classe, plutôt que de garder une classe unique dont tout le monde avait peur, elle cherchait à s’entendre avec 1 ou 2 autres communes voisines, chacune conservant 1 ou 2 classes mais spécialisée dans un niveau. Un transport était organisé pour que les enfants de chaque commune puissent aller à l’école correspondant à son âge. Les enseignants étaient très favorables à ce système qui leur enlevait la hantise de la classe hétérogène. Tout aurait donc du être pour le mieux. Cela n’a pas été le cas !

- d’abord si les parents ont maintenu leurs enfants tant qu’ils allaient à l’école de leur village, ils se sont sentis moins liés quand ils ont du changer d’école et beaucoup sont carrément allés. rejoindre l’école du chef-lieu.

- les résultats scolaires n’ont pas été meilleurs ! seul le confort des enseignants a été quelque peu amélioré en leur permettant de continuer à être traditionnel.

Cette expérience, qui se poursuit encore dans certains départements, est intéressante dans la mesure où elle a démontré ce qui n’était pas évident :

- l’homogénéité des enfants dans une classe n’est pas synonyme de meilleurs résultats scolaires.

- l’isolement des maîtres et des enfants a été pratiquement renforcé : chacune des unités a fonctionné dans la plupart des cas de façon totalement indépendante, rendant la rupture entre les classes beaucoup plus forte, cassant la continuité de l’histoire du groupe et de l’ histoire des individus, et l’on sait que tout apprentissage ne peut s’effectuer hors de l’histoire de chacun. Pire, l’éclatement des structures a accentué toutes les tensions inhérentes au système scolaire : les enseignants séparés mais contribuant à la formation du même enfant, restent à peu près solidaires s’ils sont dans le même groupe. Isolés dans des écoles différentes, la tendance à se décharger sur le suivant, ou à charger celui qui a les enfants avant s’accentue naturellement créant des tensions et une ambiance peu propice au travail en équipe. Il y a eu dans la plupart des cas, ignorance mutuelle !

- L’enfant a été coupé de la vie sociale du village, de même la fonction sociale qu’avait l’école quant à l’existence de relations dans le village et à sa cohésion a disparu. Les parents des 3 ou 4 villages concernés par chaque regroupement ne se sont pas ou peu rencontrés, ont perdu l’habitude d’aller à l’école, le car de ramassage scolaire s’en chargeant à leur place. Cela a accentué à la fois les difficultés d’identité de l’enfant comme celui du village. Chaque fois que nous avons pu rencontrer les habitants de ces villages, ce phénomène a été fortement exprimé. L’école a bien un rôle biologique dans l’existence de tout groupe humain !

- ajoutons aussi les problèmes de transport, allongeant les journées, imposant parfois des horaires hors des rythmes scolaires et biologiques de l’enfant.

J’ajoute cependant que certains de ces regroupements ont mieux réussi. Ils ont réussi chaque fois qu’ils ont inclus dans la problématique pédagogique, la problématique de l’existence d’un nouveau groupe plus grand formé des habitants des villages constituant le regroupement. Le problème a vraiment été de recréer une unité, quelque chose qui fasse exister l’ensemble en tant que collectivité nouvelle. Cela a été la création de structures communes (associations de parents, création d’un cadre de gestion inter-communal ...) ou d’activités communes (classes de neige organisée conjointement par et pour les 2 ou 3 écoles, création d’un journal inter-communal ...). Et chaque fois, il y a eu modification de la pédagogie des classes. J’y reviendrai souvent, la conception de l’école actuelle (découpages en tranches des ages, des activités, distribution du savoir par le maître, nécessité pour les enfants de s’adapter à des structures rigides et non pas l’inverse), convient au modèle d’une société industrielle, mais est en inadéquation totale avec toute autre structure de la société où est fait appel à la citoyenneté. L’interaction entre école et structure sociale est totale, tout le monde le savait, mais ce que l’on est en train de vivre en milieu rural démontre sans ambigüité ... qu’il va falloir faire avec !

Confrontée aux 3 problèmes majeurs : hétérogénéité des âges, isolement des écoles, présence d’un seul maître, l’Education Nationale française avait donc opté pour l’élimination pure et simples de ces problèmes en supprimant les écoles et en concentrant les enfants qui retrouvent ainsi que leur maîtres les schémas traditionnels ... et le modèle urbain. retour début

D’autres options, une autre conception de l’école

Nous avons choisi d’autres options qui préservent tous les avantages connus des petites structures (proximité, taille des groupes, contact étroit avec le milieu, continuité dans les processus, adaptation du rythme, disposition d’espace, intégration dans un groupe social ayant lui-même une histoire et inter-action avec cette collectivité...). Deux grandes pistes sont ouvertes :

Une, relativement récente, induite par la pédagogie de projet : plusieurs écoles rurales plus ou moins importantes et variées, allant de la classe unique à l’école du chef-lieu et comprenant parfois une quinzaine de classes, constituent un groupe, appelé, à tort, réseau d’écoles. Les enseignants, parfois aidés par l’EN qui leur accorde un poste supplémentaire, s’accordent pour réaliser, dans l’année, un projet commun (journal, travail d’histoire, balisage de chemins touristiques, réalisation d’un spectacle commun, ...). Ce projet doit provoquer des échanges, des rencontres, une communication, une coopération entre les écoles et dynamiser l’ensemble. Il rompt bien un peu l’isolement des maîtres, permet des contacts plus fréquents des enfants des petites écoles avec d’autres enfants et d’autres adultes. Et, parfois, il induit des changements pédagogiques. Mais c’est relativement rare, en particulier parce que l’activité commune de l’ensemble se cantonne dans le projet initialement prévu. Et puis, piloté suivant un cadre dont les enseignants sont les auteurs, le groupe reste assez rigide et nécessite un appui important pour pouvoir perdurer(1 maître supplémentaire dans de nombreux cas, participation forte des conseillers pédagogiques). Ils sont accueillis assez favorablement par quelques autorités académiques, sont parfois impulsés et drivés par des Inspecteurs.

L’autre beaucoup plus ancienne puisqu’on peut dire qu’elle date de la naissance des grands mouvements pédagogiques français (ICEM, CEMEA, OCCE), mais qui, à mon sens, va beaucoup plus loin et est porteuse de l’avenir de l’école, provient de la modification interne de la classe. C’est la pratique de ce que j’ai appelé "la pédagogie de la structure et de la communication". Elle est dans la continuité des pédagogies freinet et, si elle n’est pas forcément née dans une classe unique, c’est dans ce milieu qu’elle va prendre toute son ampleur.

Ce qui est privilégié dans ces classes, c’est le traitement et la circulation de l’information. Et tout est information : de la mouche qui se pose sur une vitre, à l’histoire dans un livre en passant par les chiffres du réveil ou les rires et les pleurs.... Que ces informations soient visuelles, auditives, tactiles ... qu’elles soient brutes (une mouche !) ou passées au crible de la culture (la page sur la mouche de l’encyclopédie), qu’elles soient objets ou symboles, matière ou création, qu’elle soient dans "l’autre" ou dans "soi-même". Voilà l’essentiel de la classe. Voilà à partir de quoi les enfants vont se construire.

Tous les apprentissages des enfants vont dépendre de leur capacité

- à appréhender une information (voir, apercevoir, sentir, entendre ...), à la transformer ou la traiter (la manipuler, la dessiner, la chanter, la mathématiser... se questionner, émettre des hypothèses, vérifier, essayer, inventer...). C’est la construction de l’infinités de langages propres à chaque individu.

- à la transmettre à d’autres c’est à dire à codifier, normaliser des langages (tout le problème de l’école primaire et même du collège est celui des langages et non des connaissances qui ne sont qu’une conséquence de la maîtrise des langages,

- à écouter les informations transformées et transmises par les autres, comprendre leurs langages, les questionner, à reprendre leurs informations pour les transformer à nouveau, les confronter aux leurs, les transmettre à d’autres ou les mémoriser quelques part (traces écrites, audio, vidéo...).

Et l’essentiel du travail de l’enseignant va consister à rendre possible ce tourbillon incessant, à aider à ce que se construise, se transforme et évolue une structure qui permettra cette circulation, la rendra harmonieuse et efficace. Nous sommes loin d’une quelconque méthode !retour début

Le maître face à un choix

Cette construction de l’enfant dans le va et vient de l’information, c’est ce qui se passe presque par la force des choses dans une classe unique : le maître ne peut pas tout contrôler, tout diriger. Une partie des enfants lui échappe donc sans cesse, beaucoup plus souvent que dans les classes à 1 cours. Cette partie des enfants, libérée de facto, va donc pouvoir commencer à construire une structure qui ne proviendra pas d’un ordre établi à l’avance dont le maître est le créateur et le gardien, mais qui se fera au fur et à mesure de ses tâtonnements, de son activité plus ou moins spontanée (l’activité n’est qu’une action sur l’information, que celle-ci soit argile ou poésie, lavabo ou morceau de bois).

Ou le maître essaie de maîtriser absolument tout débordement, toute action qui ne passe pas par lui ou qui n’est pas induite par lui (structure traditionnelle), gymnastique quasi impossible et il fuit !

Ou le maître abandonne toute prérogative, se laisse déborder par un désordre qui ne récrée plus d’ordre et le groupe, formé d’individus qui ne sont pas encore armés pour former un groupe, devient invivable, donc improductif pour chacun de ses éléments,. Il se détruit lui-même.

Dans le premier cas la vie ne naît pas, donc aucune situation d’apprentissage réel n’existe, dans le second elle s’auto-détruit elle-même. Dans les deux, aucun maître ne peut tenir !

Si bien que, par la force des choses, de nombreux enseignants en sont venus soit à essayer d’organiser cette vie, soit à favoriser la naissance d’une structure la rendant possible, supportable, harmonieuse. Bien souvent, ce n’était que pour pouvoir poursuivre un travail traditionnel avec un groupe d’enfants du même niveau. Et, à force de constater que la plupart des apprentissages se passaient en dehors de la situation traditionnelle (maître dispensant à un groupe), s’est créé, en maints endroits, une véritable nouvelle école où se trouvent privilégiés la construction et la complexification d’une structure qui permettra la présence, l’entrée, la circulation d’une masse d’informations, leur traitement et leur transformation par les enfants, les interactions permanentes entre l’environnement et l’enfant, entre l’enfant et ses pairs. La convergence plus ou moins grande des pratiques en classe unique est étonnante.

Beaucoup sont ainsi devenues des lieux d’ateliers permanents où l’activité semble naturelle. Un espace éducatif, où l’on peut arriver quand on veut ou quand on peut (respect des rythmes), ou d’autres adultes peuvent être présents, intégrés temporairement sans problèmes, où le maître n’est pratiquement plus jamais en position frontale face à des élèves et n’est plus un dispensateur de savoirs, un directeur d’apprentissage ou un pourvoyeur d’exercices. Les schémas ancestraux que nous avons de l’école sont balayés, et, balayer ces schémas n’est pas le moindre de nos problèmes. retour début

Une école, partie d’une immense école

Passer de cette classe communicante à un ensemble de classes communicantes n’a pas été difficile ! Nous avons créé une véritable école composée de plusieurs écoles ! Il ne s’agit plus de la correspondance habituelle, activité à part comme le calcul, l’orthographe .. Il s’agit bien d’un système vivant où les informations des uns et des autres vont s’interpénétrer, être modifiées par les uns ou les autres, ou chaque groupe-classe va être influencé par les autres ou va influencer les autres, et où chaque groupe et surtout chaque élément du groupe vont ainsi se complexifier progressivement. Et je voudrais vous citer Albert Jacquard, un biologiste extrêmement célèbre en France :"Cette humanité n’est ni créatrice, ni enrichissante pour chacun si elle est seulement une collection d’individus. Sa complexité est à la mesure des liens que ses individus tissent entre eux, à la mesure de leur capacité à réaliser une communauté" .

C’est ainsi qu’un certain nombre d’écoles rurales intégraient dès 1985 l’usage de la télématique, de l’informatique, puis en 89 des FAX. Magnétophone et échanges de cassettes (voir par endroits utilisation des radios locales), cinéma S8 à une époque, vidéo actuellement y ont été d’un usage presque banal. Ceci dans un réseau complexe, difficile à cerner pour quelqu’un de l’extérieur, mais d’une richesse inouïe. Je pourrai si vous le désirez et si la langue n’est pas une barrière consacrer le temps que vous voudrez pour préciser plus longuement l’utilisation que nous faisons des technologies nouvelles de communication.

Vous comprenez que l’école rurale dite isolée, ne l’est plus du tout ! On constate même que ses élèves ont une perception du monde qui les entoure beaucoup plus pertinente et aigüe que leurs homologues des écoles traditionnelles.

Vous comprenez que ce n’est pas à un seul maître que les enfants ont affaire durant tout leur passage, mais à une quantité d’adultes soient qui passent dans la classe temporairement (parents, adultes ayant envie d’apporter un savoir, d’aider à une activité..), soit qui influent de l’extérieur (ce sont ainsi les maîtres des autres classes).

Vous comprenez que cette diversité des âges qui effrayait la majorité des enseignants n’est plus du tout un problème.

Vous comprenez les perspectives immenses qui s’ouvrent à l’école dans cette conception, à propos du nouveau rôle que les parents peuvent y jouer, à propos de la place de l’école dans le village, dans le quartier ...

Le dernier colloque que nous avons organisé avait pour thème "Ecole rurale, école nouvelle". C’est bien dans les écoles isolées que sont nées cette nouvelle école, ces nouvelles relations entre l’école et son milieu, c’est dans ces écoles isolées qu’a été prouvé, conjointement par des enseignants, des parents et des élus, que le changement était possible. Une véritable créativité sociale est en train de naître. Nous n’avons pas encore pu solutionner tous les problèmes, il reste du pain sur la planche ! Je souhaite vivement que nous puissions poursuivre les échanges commencés ici avec vous comme avec nos amis Belges, Italiens, Espagnols ... Européens, comme également avec nos amis des banlieues. Si l’on veut que des groupes sociaux de la taille de l’Europe existent, il est temps que nous comprenions tous que le problème de l’éducation, de la construction des enfants, est aussi liée à l’existence des groupes tels les villages ou les quartiers, à la capacité des hommes et des futurs hommes de les construire et de les vivre, à leur capacité de communiquer. Sinon, nous ne pourrons que contribuer aux suicides collectifs, qu’ils s’appellent drogue, violence, racisme, guerres civiles et génocides.

Porto, le 6 juillet 1993

Bernard COLLOT

1) L’exemple de Burdignes

Depuis des années, les écoles rurales sont la cible privilégiée des économies budgétaires. 
À Burdignes (Loire), parents et élus 
se préparent 
au combat pour éviter la fermeture de leur «  classe unique  » 
à la rentrée 2012. Burdignes (Loire),envoyé spécial.

Sur la place de Burdignes, Sophie Tricot couve du regard les deux joyaux de sa commune. Un magnifique tilleul, dont l’histoire raconte qu’il fut planté pendant le règne d’Henri IV, et son école en pierre grise. Le premier a encore quelques belles décennies ou même quelques siècles devant lui. La seconde, en revanche, vit sous la menace d’une fermeture dès la rentrée 2012. « J’ai appris la nouvelle il y a trois mois, explique la maire de ce petit village de la Loire. Mais ici, personne n’est prêt à l’accepter. Nous ferons tout pour défendre notre école rurale. »

Perché au sud du massif du Pilat, Burdignes, c’est 370 habitants, une vue imprenable sur le Vercors et une classe unique allant de la grande section au CM2. Une cible de choix pour un inspecteur d’académie en quête d’économies budgétaires. Fin janvier, Sophie Tricot a été le rencontrer en tête à tête. Inquiète. Cette année, dans le département, le seuil d’effectifs en dessous duquel les classes uniques doivent fermer est passé de neuf élèves à quinze. Or, à Burdignes, seuls douze enfants sont inscrits pour la rentrée prochaine. Il y a bien aussi quatre petits de maternelle, mais l’administration refuse de les prendre en compte.

« On était sur la première liste des classes à fermer en septembre, dit Sophie Tricot. Finalement, on est passés au travers pour 2011, mais j’ai bien compris que l’année suivante, on n’y couperait pas. » Un sursis obtenu, de l’avis général, grâce à la détermination de la jeune élue. Le hameau de la République, de l’autre côté de la vallée, n’a pas eu cette chance. Malgré ses dix-sept élèves inscrits pour septembre, il a dû batailler plusieurs semaines pour sauver sa classe unique. « Les parents d’élèves ont combattu à leurs côtés, par solidarité, raconte Sophie Tricot. Nos enfants se connaissent bien, ils font plein de projets pédagogiques ensemble. » Manifestations à Saint-Étienne, barrage filtrant… Là encore, l’inspection académique a fini par reculer. Jusqu’à l’année prochaine.

Car, ici, chacun en est rendu au même constat  : les petites écoles à une, deux ou trois classes, jugées archaïques, disparaissent les unes après les autres. En 1985, le département de la Loire possédait 65 classes uniques. Aujourd’hui, à peine une dizaine. Comme dans tous les territoires ruraux, la politique de « concentration » et de « regroupement pédagogique » est passée par là. En l’espace de trois décennies, l’administration a supprimé quelque 20  000 classes uniques à travers la France. Pour en laisser aujourd’hui à peine 4 000. Une vraie désertification qui se poursuit sous le mandat de Luc Chatel. Dans son « schéma d’emploi 2011-2013 », le ministre de l’Éducation nationale a clairement fait des écoles « à faibles effectifs » l’une de ses cibles privilégiées d’économies budgétaires. Accompagnant le tout d’un discours dénigrant ces petites structures où les enfants, peu nombreux, n’auraient pas un apprentissage correct car « ils ne seraient pas assez confrontés aux autres ».

À Burdignes, le projet de l’inspection est simple  : supprimer la classe unique et transférer la douzaine d’élèves à Bourg-Argental, la petite ville à l’entrée de la vallée, séparée par six kilomètres plutôt tortueux. Une perspective que refusent catégoriquement parents et élus du village. « Ici, les enfants viennent à l’école à pied ou à vélo, souligne Alexia Vinatier, une des mamans. Si elle ferme, il faudra lever des petits de cinq ou six ans presque une heure plus tôt. Ils prendront le bus entre 7 h 35 et 7 h 50 avec les grands du collège. Au retour, au lieu d’être à la maison à 16 h 35, ce sera du 17 heures… Vous croyez que c’est mieux pour eux  ?  » De même, la garderie du matin, ouverte dès 7 h 30, et celle du soir, jusqu’à 18 heures, sont actuellement assurées par deux assistantes maternelles de l’école de Burdignes. « Enlever l’école, c’est supprimer ces deux postes et la garderie avec  ! s’agace Ghislaine Roux, mère de trois enfants. Que vont devenir alors les petits dont les parents commencent tôt ou rentrent après 17 heures  ?  »

Et puis personne, ici, ne se voit déraciner son enfant pour l’envoyer dans une école à 200 élèves. Quel intérêt  ? À la cantine de Burdignes, exclusivement bio, les grands coupent la viande des petits. À la récré, pas de caïds, les plus aguerris tiennent la main des maladroits pour descendre le vieil escalier de pierre avec vue sur l’Ardèche. Les rares violences se règlent dans l’instant. « Mon fils avait de grosses difficultés en maternelle à Bourg-Argental, confie Alexia Vinatier. On est venus exprès le mettre ici en CP. Ça a été une bulle d’air. Dans notre village, tous les enfants disent bonjour…  » À rebours du discours ministériel, les parents de Burdignes louent les bienfaits des petits effectifs sur les résultats scolaires. Chiffres à l’appui. Selon les travaux de l’observatoire Éducation et Territoire, les élèves des classes uniques ou « à cours multiples » ont des résultats en maths et français au moins égaux, voire supérieurs à ceux des autres élèves entrant en 6e. Le retard scolaire en CM2 est également moins important (18%, voire 16% en zone de montagne, contre 19% en moyenne en France). « ça n’a pas empêché l’inspecteur d’académie de me soutenir que les classes uniques étaient mauvaises pour l’apprentissage des élèves, se souvient la maire Sophie Tricot. J’étais estomaquée. Mes quatre enfants sont passés par l’école de Burdignes et je n’ai jamais constaté ça  ! »

Le discours de dénigrement, Patricia Levêque, directrice de l’école depuis dix-sept ans, le trouve injuste. Mais elle n’est pas surprise. « En classe unique, l’enseignement n’a rien à voir avec ce qui se pratique dans les grandes structures. Ça ne rentre pas forcément dans les schémas du ministère…  » Dans la salle de cours de Burdignes, on retrouve les bancs d’écoliers en bois, le tableau noir et même – miracle  ! – des craies. « Ça ressemble à l’école de Jules Ferry, mais on ne fait pas l’école comme à l’époque de Jules Ferry, sourit Patricia. La classe unique, c’est un état d’esprit particulier. Les enfants sont plus autonomes face à leur travail et il y a plus d’entraide et de coopération entre eux. On n’est pas dans la compétition ou la hiérarchie entre élèves. »

À la mairie, Sophie Tricot sait tout cela. Elle sait aussi que derrière le sort de son école, c’est l’avenir du village qui se joue. Burdignes n’a pas connu d’exode agricole. On y compte encore 25 exploitations. Et beaucoup de jeunes couples se sont installés dans le lotissement construit il y a une dizaine d’années, occasionnant même un pic démographique. « Ils viennent chercher une certaine qualité de vie et le fait qu’il y ait une école était l’argument numéro un pour qu’ils achètent », assure l’élue. De nouvelles constructions sont d’ailleurs inscrites dans le plan local d’urbanisme. « Mais si l’école ferme, le projet n’aura plus lieu d’être. »

Autant dire que la commune est prête au combat. Question de survie. Les parents fourbissent leurs arguments. Le mois dernier, ils ont sollicité les témoignages de profs du collège et de la conseillère principale d’éducation. « Ils nous ont envoyé des courriers très élogieux sur la qualité des élèves venant de Burdignes », sourit Sophie Tricot. Ils sont, d’ores et déjà, à la disposition de l’inspecteur d’académie.

Des regroupements qui coûtent cher

Censés produire des économies d’échelle, les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) et autres Epep coûtent cher aux collectivités locales. De 1974 à 2004, la part de ces dernières dans le financement de la dépense d’éducation a d’ailleurs bondi de 15,6 % à 22,4 %, tandis que celle de l’État baissait de 65,9 % à 60,6 %... Créer un RPI démultiplie, bien souvent, le coût des transports scolaires et des prestations périscolaires (cantine, garderie). 
Sans compter celui induit par la désertification des villages privés d’école. Depuis 2008 s’y est enfin ajoutée la loi Carle, qui rend obligatoire 
la participation communale aux frais de scolarité des élèves fréquentant des écoles privées hors secteur. Un ultime coup de poignard au service public.

Laurent Mouloud


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