« Qu’ils s’en aillent tous !", l’Europe y vient, petit à petit

samedi 18 juin 2011.
 

Les illuminés de « l’Europe qui protège » poussent la Grèce vers l’effondrement. L’Union menace de ne pas verser la suivante tranche de prêts à la Grèce, vous l’avez su. Elle est accusée de ne pas respecter les conditions fixées par l’Union Européenne et son bras armé le FMI. Ces derniers la menacent de suspendre le versement de l’aide s’ils n’obtiennent pas des garanties supplémentaires Sachez que ce scénario a un précédent. Il a eu lieu en Argentine. Après plusieurs plans d’austérité successifs qui l’avait étranglée, l’Argentine a été précipitée dans la chute le 5 décembre 2001 par le FMI qui décida de suspendre le versement d’une nouvelle tranche d’aide. A l’Argentine déjà asphyxiée, le FMI reprochait aussi de ne pas avoir respecté les engagements d’austérités prévues. On ne voit d’ailleurs pas quelles garanties la Grèce pourrait encore donner puisqu’elle en est à son quatrième plan d’austérité. Ou plutôt si. On voit trop ce qui pourrait arriver. Car désormais la troïka infernale FMI-Commission européenne-BCE exige des garanties institutionnelles. Autrement dit une mise sous tutelle de l’Etat grec par un instrument de pillage légal. Il s’agirait d’une agence indépendante de gestion des actifs publics grecs mis en vente. Cet organisme comprendrait des représentants des pays créanciers. Ceux-ci conduiraient les privatisations à la place du gouvernement, en utilisant les actifs publics en garantie ou en hypothèque des prêts accordés à la Grèce. L’Europe propose donc aujourd’hui de devenir propriétaire de la Grèce en échange de la poursuite de son « aide » ! Cette incroyable arrogance, cette atteinte sans précédent à la souveraineté d’un pays est un précédent stupéfiant. Je ne sais ni combien de temps, ni combien d’énergie seront nécessaires pour en faire prendre conscience ici, alors que les journalistes répètent comme des disques que les Grecs « l’ont bien cherché », et ainsi de suite. Avez-vous entendu Jean Michel Aphatie faire ses blagues à deux balles sur le sujet ? Quelle délicatesse ! « C’est pas les conneries qu’on entend sur le FMI qui est responsable de cette situation, c’est eux qui ne payent pas leurs impôts ! » Et les petits bourgeois gavés qui l’entourent de rire à gorge déployée avec de mines de connaisseurs ! L’horrible bonne conscience des collaborateurs de l’occupant banquier me donne la chair de poule. Demain ils applaudiront les armées de technocrates apatrides qui viendront, un par ministère, comme en Grèce, saigner notre pays. Car bien sûr, comme va le monde et l’Europe, nous serons tous des grecs un jour ou l’autre. Il ne manque pas d’admirateur du « courage » de Papandréou pour en faire autant. Ni de griots prêts à soutenir la main qui frappe !

Je prends date en vous racontant comment l’affaire se noua en Argentine. Si j’y reviens c’est parce qu’il en fut question sur le plateau de Taddéï l’autre soir. Mais la circonstance ne me permit pas de rappeler à monsieur Bourguignon, l’économiste, pourquoi j’étais si sûr de mon affaire concernant la nocivité des politiques d’austérité du FMI appliquées à des économies nationales déjà anémiées. De 1991 à 2001, l’Argentine a vécu une décennie de politiques libérales et d’austérité. Elles étaient consacrées à maintenir la parité absurde entre le peso argentin et le dollar américain. Une politique monétaire rigide, centrée sur la stabilité de la monnaie et la lutte contre l’inflation. Elle était censée rassurer les investisseurs ! La même politique que celle de la Banque centrale européenne avec l’euro. Asphyxiée, l’Argentine a plongé dans la récession en 1999-2000. En effet, chemin faisant, une envolée du dollar sur les marchés financiers finit de rendre intenable le cours forcé de la monnaie argentine. Comme l’a subi la Grèce suite à la crise de 2008 venue des Etats-Unis. L’Argentine a alors demandé l’aide du FMI. Lourde erreur. C’était déjà un Français qui officiait, monsieur Michel Camdessus, actuel conseiller de Nicolas Sarkozy pour la dette de l’Etat. Et aussi conseiller du pape pour les questions sociales. Mais oui ! Celui-là ne voulut tenir compte d’aucune réalité. Le dogme c’est tout ! L’Argentine fut donc soumise à une nouvelle cure particulièrement violente d’austérité. Avec des plans successifs d’économies et de privatisations. Original, non ? Comme en Grèce cela a logiquement aggravé la récession et plongé des millions d’Argentins dans la misère. Jusqu’à ce que l’austérité devienne intenable avec le plan "Déficit zéro" de « l’homme de l’année » à Davos, le ministre des finances, l’ultra libéral Domingo Cavallo. Ca ne s’invente pas ! « Déficit zéro » ça vous dit quelque chose ? La fameuse règle d’or des allemands dorénavant inscrite dans notre Constitution. La suite je l’ai racontée plus haut dans ce texte. Et que le FMI précipite le défaut de paiement du pays en dénonçant le non respect des engagements du plan d’austérité. Le scénario qui menace les Grecs est donc déjà écrit et s’est déjà réalisé. En Argentine, une banque de dépôts a fini par craquer. Les petits bourgeois et le peuple travailleur descendit dans les rues et tapaient les casseroles. Il occupait sans relâche les places et rues autour du palais présidentiel. Leur mot d’ordre : « qu’ils s’en aillent tous ! ». Un chaos total. Puis après trois présidents de la république en trois mois, la délivrance, l’effondrement du système politique. Avec seulement 24% des voix face à un bonze du système, Carlos Menem qui en avait recueilli 40 %, la rupture est venue là-bas, au second tour, d’un "outsider" hors système, Nestor Kirchner, figure atypique de l’aile gauche du péronisme. Depuis l’alternative y est toujours en construction mais la page du libéralisme est tournée.

« Qu’ils s’en aillent tous !", l’Europe y vient, petit à petit. En Espagne et en Grèce, je vois le mot d’ordre, et l’idée, se faire son chemin parmi les foules de précaires de tous âges assemblés sur les places. A cette heure, non seulement la mobilisation ne faiblit pas mais elle s’amplifie. Ce qui est tout à fait remarquable puisque les objectifs précis énoncés par les plateformes adoptées sur le tas ne semblent fixer aucun horizon de délais ou de moyens d’action autre que celui d’occuper la place. Le mouvement des jeunes chômeurs de la Puerta del Sol à Madrid s’est étendu comme on le sait à plusieurs villes d’Espagne. Et il a reçu le renfort d’assemblées de quartiers impliquant la population bien au-delà de la jeunesse. En Grèce, des dizaines de milliers de personnes sont mobilisées sur la place du Parlement pour refuser tout nouveau pas dans le dépeçage du pays. Elles réclament un référendum sur le nouveau plan d’austérité. Comme en Islande. « Le Figaro » raconte que les manifestants criaient : « quelle heure est-il, quelle heure est-il ? L’heure qu’ils s’en aillent ! ». Et maintenant voici tous ces grands démocrates, ces prix de vertu de la liberté chez les autres, les bons esprits de l’Union européenne, donneur de leçons à Caracas et bla bla qui sont au pied du mur ! Allez ! Montrez que vous respectez vos principes ! Faites voter ! Osez le faire !

La solidarité avec les Espagnols et les Grecs s’est exprimée en France. Ce dimanche, plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées place de la Bastille. Pour moi, en ce 29 mai, cette solidarité exprimée avec les Espagnols et les Grecs en lutte pour leur souveraineté avait une portée particulière. Je n’oubliais pas que c’était le sixième anniversaire du rejet de la Constitution européenne par les Français. Non, je n’oublie pas. Vaille que vaille je fais ce que je peux, avec mes amis, pour que le souvenir, mais surtout la leçon, de cette violence ne se perde pas. J’ai écrit à ce sujet une tribune qui a été publiée samedi dans Marianne. C’était une manière pour moi de dire que l’absence de démocratie réelle que dénonce les Espagnols et désormais les Grecs nous concerne aussi directement. La droite ici a commencé à sentir le danger révolutionnaire de cette conjonction de la révolte sociale et de l’aspiration démocratique. Alain Juppé s’en est fait l’écho, dimanche sur Canal + : "je ne crois pas à un été européen après le printemps arabe". "Il y a un point commun, c’est le chômage. Grosse différence, c’est la démocratie. Nous nous l’avons, eux (les pays arabes) ne l’ont pas, ils se battent pour ça". Je ne sais pas si Juppé s’est rendu compte de l’énormité qui consiste à vanter la démocratie dans notre pays le jour anniversaire d’un vote populaire piétiné par son parti politique.

Il ne s’en souvient pas. Voila ce que je crois ! Comme beaucoup d’autres, à droite et à gauche, il ne veut pas s’en souvenir. Je vois là une véritable crise d’amnésie chez tous ces gens face à un souvenir qui les traumatise encore. Le traumatisme de leur défaite. Puis, celui tout aussi glauque, de leur forfaiture ensuite. Il a d’ailleurs senti qu’il ne pourrait pas s’en tirer aussi facilement. C’est pourquoi sans doute il a cru bon d’ajouter : "Il y a des enseignements à tirer de ce mouvement. D’abord le sentiment d’injustice devant la cupidité sans limites des plus riches (…) et puis la précarité grandissante des plus pauvres. C’est une interrogation sur le fonctionnement de la démocratie elle-même (…) Aujourd’hui, la démocratie représentative – on élit quelqu’un et on lui donne carte blanche pendant cinq ans – ca ne marche plus". Ces propos sont assez stupéfiants. Le mouvement espagnol et sa réplique naissante en France ont déjà commencé à produire leurs effets politiques. Tout cela ne fait que commencer ! Je sais très bien quelle est la faiblesse actuelle de ce mouvement en France, et la façon avec laquelle il est ignoré des grands partis et de quelques petits également. Ce qui compte à mes yeux c’est qu’il se soit amorcé. La marée ne monte jamais d’un coup. Les vagues vont et viennent. Ce qui compte c’est le sens général du mouvement et du cycle.


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