François Hollande veut constitutionnaliser le dialogue social. Bonjour la modernité !

jeudi 23 juin 2011.
 

Il le proclame dans « Le Monde » daté du 15 juin. Cette soudaine poussée de réforme constitutionnelle pour quelqu’un qui est par ailleurs partisan du maintien de la cinquième république mérite attention. Je remarque, en lisant son texte, l’habituelle mise à l’index de la grande révolution de 1789 dont seraient sortis tant de maux, c’est bien connu. Et de tous, le pire, celui d’avoir désigné pour unique souverain le peuple, considéré comme un tout. Hollande note donc fielleusement : « Dans un pays comme le notre, qui depuis la révolution se méfie des corps intermédiaires, cette évolution ne va pas de soi » En effet, et tant mieux ! Reste que cette envie de réforme constitutionnelle est sans doute destinée à mettre en scène son identité de social-démocrate. Mot creux, s’il en est un, dans les conditions politiques de la France. Mais l’adjectif en France n’a pas du tout le sens qu’il a dans le nord de l’Europe. L’étiquette est seulement un marqueur de bon aloi. Elle permet de signaler, à qui de droit, un goût extrême pour le compromis. On sait comment fini ce genre de crédo : le compromis devient souvent une fin en soi, indifférente au contenu sur lequel s’accordent les parties prenantes. C’est précisément cela que François Hollande propose.

Il faut examiner de près sa tribune dans « Le Monde ». Pour cela il faut laisser de côté ses polémiques assez convenues avec Nicolas Sarkozy. Ecartons aussi les gavantes logorrhées sur la « méthode » Hollande. Juste trop pompeux et carton pâte. Voyez plutôt. « Ma conviction, écrit Hollande avec la gravité que l’on devine, est que la gauche a besoin d’un pays en mouvement et en confiance. Elle doit lui parler franchement en force politique libre de ses conclusions, pas en autorité froide et encore moins en interlocuteur complaisant » C’est beau comme de l’antique à conditions de comprendre ce que cela peut bien vouloir dire de concret. Laissons tout cela. Allons au cœur de sa proposition.

« La Constitution devrait garantir à l’avenir une véritable autonomie normative aux partenaires sociaux. (…) Concrètement le gouvernement et le parlement seraient juridiquement liés par le contenu de conventions signées entre partenaires sociaux sur des sujets bien précis et après vérifications des mécanismes de représentativité ». Aucun républicain, me semble-t-il, ne peut être d’accord avec une telle idée. Avant de dire pourquoi, je commence par noter que ce n’est pas le plus urgent en matière d’édiction des normes sociales dans notre pays. La première tâche est de rétablir la hiérarchie des normes détruite par Nicolas Sarkozy. Il s’agit de redonner aux accords de branche la primauté sur l’accord d’entreprise. Et aussi d’interdire les conventions de gré à gré dérogatoires à ces accords que les lois de monsieur Xavier Bertrand ont rendues possibles. Résumons, pour tous ceux qui sont un peu éloignés des subtilités de cette matière. Cela signifie qu’il faut mettre le droit qui s’applique aux travailleurs à l’abri du rapport de force toujours plus défavorable quand il s’organise en face à face, de patron à employé, que lorsqu’il se construit à l’échelle de la branche d’activité, niveau auquel les syndicats sont plus forts et organisés. Que Hollande ait oublié cela ne me rassure pas. Mais je lui accorde le bénéfice du doute sur ses intentions réelles.

Pourquoi refuser cette idée que l’accord entre « partenaires sociaux » s’impose aux assemblées et au gouvernement ? Pour cela voyons comment les choses se passent aujourd’hui. Lorsqu’un accord est signé et qu’il comporte une modification du code du travail ou d’un quelconque régime général d’obligations, cet accord est soumis au parlement pour recevoir force de loi. Dès lors son contenu bénéficie à l’ensemble des travailleurs. Cette méthode combine donc démocratie sociale et démocratie parlementaire. Elle fait que dans notre pays 90 % des travailleurs bénéficient par extension des avantages négociés. Et comme aucun accord ne peut être inférieur à l’existant garanti par la loi, la situation est meilleure en France qu’ailleurs et notamment dans les pays de la divine sociale démocratie. En effet dans ces pays, on ne bénéficie de l’accord que si l’on est membre du syndicat qui a signé et, ce n’est pas rien, si le patron est membre du syndicat patronal qui a signé. Dans ces conditions 25% des bienheureux travailleurs du Danemark, qui ne connaissent pas la « méfiance des corps intermédiaires » comme les Français, ne bénéficient d’aucune convention collective. Hollande oublie d’en parler. Donc une fois l’accord négocié, il arrive devant le parlement. Que se passe-t-il ? Le plus souvent fonctionne un petit chantage que j’ai bien connu sur mon banc de sénateur : « vous devez voter sans toucher à rien car c’est un compromis ». Pas question.

J’ai toujours récusé cet argument. Je disais : « cet accord concerne deux partie prenante. Ici je représente la tierce partie, c’est-à-dire la société tout entière qui n’était pas à la table de la négociation ». Cela ne voulait pas dire que pour finir je ne votais pas le texte proposé. Mais cela impliquait d’affirmer que personne n’est au dessus du peuple souverain tout entier et que l’intérêt général résulte de l’action législative et non de la négociation particulière. Je crois que c’est là toute la différence entre un régime de corporation et la République. Hollande prétend le contraire. La loi, qui s’applique à tous, serait faite dans le rapport de force d’une négociation entre salariés et patrons. On se contenterait de vérifier la représentativité des contractants ? Et la conformité au reste du droit ? Et l’intérêt général ? Et le soutien en dernier recours du législateur de gauche à ses camarades en entreprise pris à la gorge par un rapport de force défavorable ? Tout cela est balayé d’un revers pour une trouvaille de communication. Le parlement, déjà abaissé par la constitution de la cinquième République, serait transformé en chambre d’enregistrement des rapports de force de la lutte de classes ! Bonjour la modernité !


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