Travail : que faire contre la discrimination sexuelle ? (dossier de L’Humanité)

samedi 25 juin 2011.
 

1) Rappel des faits

Salaires inférieurs, inégalité d’évolution professionnelle, temps partiels imposés, environnement machiste… Parce que, aujourd’hui encore, les femmes sont victimes 
de discriminations et de harcèlement sexuel au travail, une rencontre débat était organisée le 25 mai dernier à Paris, par l’association L’Égalité, c’est pas sorcier  !, 
en parrainage avec l’Humanité, pour que les femmes deviennent (enfin) des travailleurs comme les autres  !

Après plus de trente ans de lois sur l’égalité professionnelle, 
le salaire des femmes est toujours inférieur de 27 % à celui des hommes. L’écart est même plus important pour les plus diplômées (32%). Elles ne bénéficient pas de la même évolution professionnelle que les hommes, occupent 
la majorité des temps partiels, sont la proie de blagues sexistes ou parfois de harcèlement sexuel au travail… Féministes, chacune 
à leur façon, trois femmes exposent leurs mesures 
pour lutter contre les entreprises 
ou les employeurs hors la loi…

Anna Musso

2) Le droit peut devenir une arme individuelle 
et collective pour faire avancer l’égalité

Par Henriette Zoughebi, Présidente de L’égalité, c’est pas sorcier !, Ernestine Ronai, militante féministe, 
et Clara Domingues, Secrétaire générale de L’égalité, c’est pas sorcier !

Depuis début juin, nous avons à subir deux affiches. L’une représente un homme concentré sur son ordinateur. Il pense. Il écrit. Il travaille, quoi  ! « Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions. C’est la concrétisation de son projet professionnel. »

L’autre affiche montre une femme un livre à la main, assise inconfortablement dans une cuisine. Elle lit… peut-être ce que l’homme est en train d’écrire, tout en gardant à portée de main les outils indispensables à la bonne ménagère. « Laura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. »

Il s’agit là de supports de communication du ministère de l’Éducation nationale pour le recrutement d’enseignants  : des femmes rêveuses et des hommes ambitieux. La différence  ? Le rêve ne demande pas à être rémunéré, au contraire du projet professionnel. Belle campagne qui entérine que le salaire d’une femme n’est qu’un salaire d’appoint et que c’est elle qui aura à jongler pour concilier rêve professionnel et obligations domestiques. Le rêve ne paie pas, mais ça se paie  !

Nous ne sommes guère loin de la perception du précédent ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, quand il déclarait  : « Est-ce qu’il est vraiment logique que nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer leurs couches  ? »

Au mépris de son prédécesseur pour l’enseignement, Luc Chatel ajoute la condescendance pour les femmes. De telles campagnes nous disent une chose  : l’engagement pour l’égalité ne doit pas seulement faire l’objet de déclarations de principe, mais être décliné, avec pertinence, dans chaque politique publique. Et aucune politique publique ne devrait venir saper le travail de terrain des associations et des professionnel-le-s qui déconstruisent, jour après jour, avec des moyens sans cesse réduits, les représentations sexuées qui, en nous enfermant dans un destin biologique, entravent notre liberté à nous penser et à nous construire au-delà des rôles assignés à notre sexe.

Or, de la répartition sexuée de la société et du travail découlent les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes. À travail de valeur égale, le salaire des femmes est inférieur de 27% à celui des hommes. L’écart est encore plus important pour les femmes les plus diplômées (32%) et même celles qui n’ont jamais eu d’interruption de carrière perçoivent en moyenne 17% de moins que leurs collègues. Autrement dit, chaque année, des femmes travaillent l’équivalent de deux à trois mois gratuitement, comparativement aux hommes.

La rencontre du 25 mai dernier, « Que les femmes soient des travailleurs comme les autres  ! », a réuni des syndicalistes, des représentant-e-s d’associations, des élu-e-s, des écrivaines, des avocates… pour que les échanges d’expériences et d’expertises s’enrichissent de la diversité des angles d’approche.

Au-delà de la nécessaire revalorisation des métiers majoritairement exercés par des femmes et sous-payés, le droit peut devenir une arme individuelle et collective pour faire avancer l’égalité. À l’opacité cultivée par les entreprises par rapport aux rémunérations et aux évolutions de carrière, il faut imposer la transparence. Que chacune puisse prendre conscience de son exploitation  ! L’accès à des bilans de situation comparée est fondamental, tout autant que l’affichage des jugements. Toute entreprise condamnée pour discrimination, notamment sexiste, devrait avoir l’obligation de le faire savoir à ses salarié-e-s et de publier la décision de justice, à ses frais, dans la presse.

Les politiques publiques nationales devraient soutenir les femmes dans l’identification des discriminations et leur dénonciation. Des politiques locales peuvent aussi changer la donne. C’est pourquoi L’égalité, c’est pas sorcier  ! porte la volonté de créer un réseau d’élu-e-s, à gauche, en dialogue avec les syndicats, les associations et les expert-e-s, pour impulser des politiques cohérentes en termes d’égalité des femmes et des hommes et soutenir les élu-e-s engagé-e-s dans cette voie.

(*) L’égalité, c’est pas sorcier  ! est 
à l’origine d’une exposition du même nom dont les thèmes sont le langage, la liberté sexuelle, la prostitution, le travail et la parité politique. Plusieurs collectivités l’ont déjà achetée et s’en servent comme outil 
de sensibilisation de la population. 
Pour plus de renseignements : 
07 86 66 29 48.

Henriette Zoughebi, Ernestine Ronai et Clara Domingues

3) Je voudrais que les femmes victimes bénéficient de plus de recours matériels et psychologiques

Par Martine Simon, ex-employée de la mairie de Neuilly-sur-Marne, victime d’agressions sexuelles du sénateur maire Jacques Mahéas.

En 2002, j’ai été victime d’agressions sexuelles sur mon lieu de travail, de la part de mon employeur, le sénateur maire. Cela a duré des mois. Les agressions se déroulaient principalement le soir quand j’occupais le poste de gardienne de la mairie, le maire venait régulièrement me trouver. Il a commencé par un baiser volé.

La première fois, c’est une bise qui, j’ai pensé, avait dérapé. Cela faisait vingt ans que je travaillais à la mairie, je n’ai donc pas compris ce qui se jouait. J’ai été surprise mais j’ai bêtement cru qu’il n’avait pas fait exprès. Puis après, il y a eu un geste dans l’escalier, il m’a touché un mollet, en me disant que j’étais musclée… Il y est allé progressivement, des bises qui dérapent et arrivent sur les lèvres, puis quand il me croisait dans les couloirs et que j’avais les mains occupées par les trousseaux de clefs et tout le nécessaire pour mon travail, il me touchait la poitrine, les fesses, etc. J’étais très mal à chaque fois que j’étais d’astreinte le soir, parce que je savais que si je le croisais, j’aurai des problèmes. À l’époque, je vivais seule avec mes enfants et j’avais un logement de fonction. J’avais tellement peur de perdre tout ça que je gardais le silence et restais de marbre quand il venait vers moi. Je ne savais pas quoi faire. Et j’ai fait une dépression, je suis partie en arrêt maladie. Quand je suis revenue travailler quelques mois après, il ne m’a plus embêtée. Mais un jour, une collègue du secrétariat est arrivée, effondrée, en racontant ce que le maire lui avait fait un samedi matin où elle était toute seule de permanence avec lui. Elle aussi avait été agressée sexuellement. Lorsqu’elle a dit ce qui s’était passé, je me suis sentie très mal à l’aise de n’avoir rien dit avant, parce que si j’avais eu le courage de parler, peut-être qu’il ne l’aurait pas touchée… J’ai dit que je la croyais et que j’avais subi la même chose. Nous sommes allées porter plainte au commissariat, toutes les deux.

Quelque temps après, elle a retiré sa plainte pour raisons de santé, mais a maintenu ce qu’il lui avait fait. De mon côté, avec l’appui et l’écoute des associations féministes, j’ai continué le combat. C’est un véritable combat quand on a affaire à un homme politique, et qu’on reçoit des menaces de sa part et de ses collaborateurs. Ils m’ont dit qu’à partir du moment où je ne retirais pas ma plainte, il valait mieux que je parte de la mairie. À force de pressions, j’ai fini effectivement par partir en retraite anticipée à cinquante-deux ans et j’ai quitté la région parisienne. J’ai donc perdu huit ans de cotisations et mon logement de fonction. La procédure a duré cinq ans. Il y a eu un premier jugement où mon agresseur a été condamné à quatre mois de prison avec sursis. Il a fait appel. Et les quatre mois de prison se sont transformés en 10 000 euros d’amende, mais il a toujours été reconnu coupable.

Suite au procès, il n’a pas démissionné de ses fonctions  ! Au niveau matériel, tout va très bien pour lui, tandis que moi, pour m’en sortir avec ma fille et une petite retraite, je fais des ménages, alors que je suis asthmatique, j’ai des d’allergies, je ne devrais pas faire cela, mais je n’ai pas le choix, c’est tout ce que j’ai trouvé. Ce qui me révolte aujourd’hui, c’est de voir que lorsqu’une petite employée, que ce soit une femme de ménage, une gardienne, une secrétaire, est victime d’un homme de pouvoir, c’est elle qui doit partir. Elle perd tout, son travail, et n’a pas de soutien. Même dans le milieu du travail, les collègues qui nous soutiennent dans les couloirs ne viennent pas s’exprimer devant la justice. On se retrouve toute seule en face de personnes bien placées, des élus qui tentent de faire intervenir leurs relations pour faire arrêter les procédures. Ils ne perdent pas leurs places  : on ne leur demande même pas de démissionner  ! Je trouve ça scandaleux. Si un chef d’entreprise était condamné pour agressions sexuelles, il serait viré, alors je ne vois pas pourquoi un élu continue à pouvoir exercer, à pouvoir voter des lois, etc. À partir du moment où il n’est pas déchu de ses droits et reste en poste, il garde son pouvoir, cela lui laisse donc le droit de continuer ses horreurs…

Je pense que le seul moyen pour que ces hommes arrêtent ces agressions et prennent conscience que ce qu’ils font est grave, c’est qu’ils n’aient plus leurs postes de pouvoir. Je voudrais que les femmes qui sont victimes comme je l’ai été bénéficient de plus de soutiens et surtout de recours matériels et psychologiques. Le soutien peut être apporté par les associations féministes, heureusement qu’elles sont à notre écoute, en revanche, auprès de la justice, la procédure a duré trop longtemps, entre le premier jugement, l’appel et le pourvoi en cassation, cinq ans, c’est difficile. Les agressions, on ne les oublie pas, même si elles sont reconnues par la justice, or, il n’y a pas assez de recours pour ces femmes après les jugements, car il faut avoir les moyens de vivre après, d’aller voir un psy, etc., surtout quand on a perdu son travail. Les femmes manquent de moyens pour pouvoir se reconstruire.

Propos recueillis par A. M.

4) Il faut une transparence des entreprises, sur les évolutions professionnelles et les rémunérations

Par Emmanuelle Boussard-Verrecchia, avocate à la Cour, Spécialiste en Droit Social

L’égalité est un projet de société  ; la discrimination est un outil au service de l’égalité que nous avons acquis très récemment, issu du droit anglo-saxon et relayé par le droit communautaire. C’est un moyen d’atteindre une société égalitaire entre les hommes et les femmes. D’après mon expérience professionnelle, la discrimination sexuelle est protéiforme dans le monde du travail. Par exemple, il existe la discrimination de l’emploi, c’est-à-dire le fait que des filières professionnelles à majorité féminine soient sous-payées. Il y a également un environnement machiste, sexiste, auquel on ne fait plus attention tellement cela devient quotidien. On ne sait même plus ce que l’on peut accepter, supporter ou non, par exemple via les e-mails qui véhiculent des blagues ou des photos sexistes. Bien évidemment, il y a aussi le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Enfin, ce qui traverse tout le champ professionnel est la discrimination à l’évolution professionnelle. C’est très net  : si l’on considère un panel de salarié(e) s, à même ancienneté et diplômes équivalents, les femmes sont quasi toujours nettement moins bien payées que les hommes. Il y a des freins qui sont liés essentiellement aux stéréotypes sur les femmes, aux maternités… Alors que la règle est  : à travail de valeur égal à celui des hommes, on doit avoir un salaire égal. Nous avons avancé dans la manière de concevoir la discrimination. Il était surprenant jusqu’à présent de voir à quel point on était incapable de penser la violation des dispositions législatives spécifiques protégeant les femmes comme des discriminations. Par exemple, les femmes qui s’absentent, ne serait-ce que pour un congé maternité, et ne parlons pas des congés parentaux, ne sont absolument pas sûres de retrouver leur emploi  ! Le taux de rupture de contrat de travail est ainsi largement supérieur pour les femmes que pour les hommes. Or, si elles n’avaient pas été femmes, elles n’auraient pas été enceintes et donc pas absentes  ! Et toutes ces discriminations peuvent se succéder, s’ajouter, s’articuler… En 2010, ce qui est important, lorsque j’ai obtenu la condamnation de BNP Paribas à 350 000 euros de dommages et intérêts pour une salariée qui n’avait pas retrouvé son poste et une rémunération équivalente après un congé parental, c’est que cela a été considéré comme une discrimination sexuelle et non pas comme une simple violation d’un article lambda du Code du travail.

Il reste aujourd’hui une difficulté d’identification des actes discriminatoires par les femmes elles-mêmes. Il n’est pas évident de savoir si on est en situation de discrimination. Trois conseils. Il est très important d’avoir accès à l’information au sein de l’entreprise. Je plaide pour un droit d’accès à l’information des femmes qui s’estiment victimes. Il faut une transparence des entreprises, concernant les évolutions professionnelles et les rémunérations de personnes en situation comparable ou encore en matière d’attribution de postes,etc. Deuxièmement, comme les femmes se sentent très isolées, il est très important de se rapprocher des organisations syndicales pour s’informer et identifier les actes discriminatoires. En dernier lieu, dans notre droit civil, il nous manque un outil sur lequel devrait se pencher le législateur  : la publicité affichée sur les portes de l’entreprise, comme la publication des jugements pour harcèlement, nous serait d’une grande utilité pour faire parler les salariés entre eux, hommes et femmes, de la discrimination dans l’entreprise. Il faut rappeler que la discrimination, c’est l’atteinte à un droit mais aussi à une personne, qui a des conséquences parfois extrêmement graves sur l’équilibre psychologique et les conditions de travail. C’est pourquoi la reconnaissance de la discrimination et le dialogue avec ses collègues ou les représentants du personnel sont absolument fondamentaux.

Propos recueillis par A. M. le 25 mai 2011, lors de la conférence 
« Que les femmes soient des travailleurs comme les autres  ! », organisée à la mairie 
du 12e arrondissement de Paris 
par l’association L’Égalité c’est pas sorcier.

5) Discriminations sexuelles. La revue de presse

Capital.fr, 8 mars 2011. « À compétences et niveau de poste équivalents, les femmes gagnent 
en moyenne 18,9 % de moins 
que les hommes. Chez les cadres, 
la rémunération annuelle brute médiane des femmes s’élève 
à 43 000 euros, soit 7 000 euros de moins que leurs homologues masculins, selon la dernière étude 
de l’Association pour l’emploi 
des cadres (Apec). À partir de trente-cinq ans, les femmes se heurtent au fameux “plafond de verre”, 
qui les empêche de progresser. 
Si elles représentent désormais 
un tiers des cadres, contre seulement 23 % il y a vingt ans, elles ne sont que 11 % à accéder à des postes de direction générale ou d’un département. D’après l’Apec, 
deux facteurs freinent leurs carrières  : les interruptions liées 
à la maternité et les temps partiels (à 73 % occupés par des femmes). »

La Croix, par Marine Lamoureux, 2 juin 2011

« Très souvent, le harceleur commence par se rapprocher 
de la victime, il la soutient, constate ainsi la déléguée générale 
de l’Association européenne 
contre les violences faites 
aux femmes au travail, Marilyn Baldeck. Du coup, lorsque les choses basculent, les femmes doutent d’elles-mêmes, elles se disent  : 
“Je me fais des idées”, ou  : “J’ai dû mal me faire comprendre”, elles sont réticentes à se confier à leurs collègues qui voient dans cette relation un jeu de séduction. »

6) Discrimination sexuelle. Ils ont dit...

Philippe Bataille, sociologue,

« Elles sont au travail, éventuellement elles accèdent 
aux mêmes postes que les hommes avec les mêmes qualifications, 
et font du coup le même travail, mais vous constatez au cours d’une enquête nationale que le salaire des femmes est de 23 % inférieur 
à celui des hommes. (...) Les femmes se rendent compte à cette occasion qu’elles ne sont pas reconnues 
pour leur talent, qu’elles ne sont pas reconnues pour leur compétence, 
en réponse à des stéréotypes 
et d’une domination dont elles sont victimes de manière historique. »

(dans cité-sciences.fr)

Renaud Redien-Collot, Pyschosociologue,

« À la sortie des grandes écoles de commerce, les jeunes filles sont recrutées au même poste et au même statut que les garçons, mais 5 à 10% moins cher.(...) Et tout serait encore pire une fois dans le milieu professionnel. Notamment dans des conseils d’administration, qui restent l’apanage des hommes. »

(Dans le Monde, le 3 juin 2011.)


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