Agences de notation financière : Pompiers-incendiaires (Dossier national PG)

mardi 25 octobre 2011.
 

La débâcle des subprimes en 2007-2008 qui a précipité le monde dans la crise a révélé l’influence de la notation financière sur les marchés de capitaux tout en mettant en évidence leur incurie. Trois grandes agences, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, contrôlent plus de 90% du marché de la notation financière. Quoique Fitch (la plus petite des trois) ait été rachetée en 1997 par une holding française, elles sont toutes trois américaines, et ont joué un rôle considérable dans la diffusion des normes et des pratiques économiques du capitalisme financiarisé d’origine nord-américaine.

Incapables de prévoir

Gavées pendant l’euphorie spéculative du marché hypothécaire américain, les agences n’ont rien vu venir de la débâcle des subprimes (comme elles avaient échoué à prévoir le krach de 1929, ou la faillite Enron en 2001 entre autres). Elles ont au contraire alimenté la bulle spéculative, car la notation des produits structurés a exacerbé les conflits d’intérêt dans lesquels elles sont engluées. Avant les années 1970, les profits des agences résultaient de leurs publications et de la vente de manuels destinés aux entreprises, et les notes étaient alors attribuées sans le consentement des émetteurs de dette. Depuis la recrudescence de faillites dans les années 70, ce sont les émetteurs de dette qui sollicitent la notation des agences et les rémunèrent. La notation des produits structurés a deux particularités par rapport à la notation de la dette corporate : d’abord, elle est beaucoup plus rémunératrice pour les agences qui touchent une commission représentant en moyenne 0,12% de l’émission (contre 0,045% pour la dette des entreprises), à tel point que l’AMF estimait en 2008 que la notation des produits structurés représentait près de 50% des bénéfices des agences. En second lieu, contrairement au processus de notation en vigueur pour les émetteurs traditionnels, les agences sont sollicitées dès le stade de la structuration du produit. Cela signifie que la notation n’est plus le constat ex-post d’une situation donnée mais l’objectif fixé ex-ante d’une entité à créer.

Résultat des courses : les agences étaient devenues des “usines à triple-A”, comme on a pu l’entendre lors des auditions de la Commission d’enquête du Congrès américain sur la crise financière (FCIC). Chez Moody’s par exemple, des pressions de tous ordres étaient exercées par la hiérarchie à l’encontre des analystes qui tentaient d’alerter sur l’évaluation douteuse de certains produits, au point que d’anciens cadres sont en procès avec l’agence et son PDG Raymond McDaniel. Et en 2007-8, à l’occasion de dégradations de notes brutales et massives, de nombreux titres notés en catégorie investissement voire en AAA sont allés au tapis.

Un rôle dévastateur

De la même manière que les agences ont alimenté les bulles spéculatives, elles ont joué un rôle pro-cyclique dévastateur dans la crise des dettes souveraines qui frappe certains Etats européens depuis 2010, en contribuant par leurs abaissements de note à accroître les difficultés de financement de ces Etats et donc leur dette, selon la spirale infernale bien connue. En effet, l’évaluation financière n’est pas neutre : elle affecte l’objet mesuré, elle engage et construit le futur qu’elle imagine. Les agences ont donc aggravé la crise, ce qui a été une source de profits spéculatifs pour les banques et les investisseurs, qui se trouvent précisément être les clients desdites agences. En contribuant à faire adopter par les gouvernements irlandais, grec, portugais et espagnol de brutaux plans d’austérité, elles ont empêché la possibilité d’une reprise de la croissance, seul moyen de sortir de la spirale de la dette : c’est là encore l’occasion de dégrader la note du pays, comme l’a fait Moody’s pour l’Espagne à l’automne 2010 (au motif d’une insuffisante croissance, après ses exhortations à la rigueur au printemps 2010).

C’est par la voix des agences que la finance impose ses réquisits aux Etats en matière de politique économique, conduisant à un véritable cogestion privée-publique de la politique économique où les décisions sont prises non pour satisfaire aux besoins du peuple mais pour accéder au bon vouloir des marchés financiers, véritable corps politique de substitution (on se souvient que Nicolas Sarkozy avait justifié la réforme des retraites par la nécessité de “conserver à la France son AAA”). Après les dégradations des notes souveraines tunisienne et égyptienne au moment où le peuple renversait les dictateurs, l’intrusion des agences dans le contrat social illustre encore et toujours que la finance n’est pas soluble dans la démocratie.

Sortir du traité de Lisbonne

Après la crise financière, les principaux responsables du désastre, banques et agences de notation, ont habilement manœuvré : elles ont su faire profil bas au moment où elles étaient le plus fortement critiquées et ont laissé les Etats s’attaquer aux conséquences de la crise, en noyant les marchés de liquidités et en s’endettant jusqu’au cou, sans s’attaquer à ses causes. La crise actuelle des dettes souveraines favorise ainsi les agences de deux manières : les banques renflouées sont redevenues les clients des agences, peuvent grâce à elles faire de juteux profits en spéculant sur les dettes publiques et les rémunérer en conséquence ; les Etats endettés se sont mis en situation d’être critiqués par ces mêmes agences, ce qui rend plus difficile tout projet de régulation.

Comment mettre un terme à la nocivité de ces porte-parole de la finance et de ses prédations ? Le recadrage de leurs comportements, par le moyen de codes de conduite censés prévenir les conflits d’intérêt dans lesquels elles sont engluées, n’y suffira pas. C’est pourtant ce qu’ont fait la SEC américaine et le Parlement européen en 2009 en reprenant des recommandations de l’Organisation internationale des commissions et des valeurs, instance chargée de la réglementation des marchés financiers au niveau mondial et qui regroupe les gendarmes des principales Bourses.

Le combat contre les agences est évidemment inséparable du combat contre les marchés financiers. C’est donc le chantier d’une régulation conçue comme prohibition non comme simple surveillance et recadrage des comportements financiers. Il ne faut pas compter pour cela sur les dirigeants actuels malgré les déclarations promettant les foudres aux agences d’une Angela Merkel ou d’un Nicolas Sarkozy. Les promesses d’encadrement des agences du G20 de Londres (avril 2009) sont restées lettre morte. Il faut par ailleurs bien évidemment libérer les Etats de la tutelle de fait qu’exercent les agences de notation avec le reste de la finance sur la politique économique, en s’affranchissant des traités européens qui interdisent le financement direct des Etats auprès de la Banque centrale et les livrent à la merci des marchés financiers.


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