Mondialisation Démondialisation 21 Les classes populaires voient la mondialisation pour ce qu’elle est –l’autre nom de l’oppression économique (Julien Landfried, MRC)

vendredi 12 août 2011.
 

Nulle part autant qu’en Europe, les élites n’ont imaginé s’en remettre au libre jeu du marché et au « doux commerce » plutôt qu’à la politique. Depuis les années 1980, elles y ont théorisé et mis en pratique l’effacement des souverainetés nationales au profit d’une construction strictement économique, « l’Europe ». Pour faire bonne mesure, elles affublent celle-ci de l’adjectif « social » avant chaque élection au Parlement européen. Dans cet espace, la monnaie a été déconnectée du politique avec l’indépendance des banques centrales, puis coupée des nations avec une monnaie unique, l’euro. Celle-ci apparaît, dans ses règles actuelles, comme la monnaie de la rente. Le marché unique, auparavant protégé par un tarif extérieur, a été entièrement dérégulé et laissé ouvert à des économies émergentes que les élites ont gravement sous-estimées, sans doute par inconscient colonial. Les élargissements à l’Est ont vidé de sa substance l’idée d’un marché régional homogène. Ils ont au contraire organisé, à l’intérieur de l’Europe, une concurrence acharnée entre les travailleurs, dont les délocalisations de l’industrie automobile française fournissent l’exemple éclatant. Au cœur même de l’Europe, l’Allemagne, quant à elle, mène délibérément une politique de compression salariale qui détruit l’industrie des économies voisines. Partout sur le continent, les classes moyennes et populaires ont désormais le même horizon  : emplois précaires, baisse des salaires, renchérissement des dépenses de base, en particulier le logement.

Lucides et inquiètes, les classes populaires voient la mondialisation pour ce qu’elle est –l’autre nom de l’oppression économique que subissent les gens ordinaires et notamment les jeunes actifs, dominés sur les marchés du travail et de l’immobilier. Dès lors, comment s’étonner que les populations les plus immergées dans la mondialisation réelle manifestent leur volonté de reprendre en main le cours des choses  ? La défense jusqu’au-boutiste de la mondialisation ne convainc plus guère que les professionnels de la société du spectacle, éternels « citoyens du monde (version « de gauche »), et de la finance (version « de droite », moins hypocrite). Le sentiment d’un système économique fou, détruisant les savoir-faire et les industries, gaspillant les ressources, domine désormais les esprits. La politique renaît sous un jour inattendu  : l’exigence de décence ordinaire, qui a traditionnellement servi de code moral aux classes populaires. Mais la destruction de l’appareil industriel de l’Ouest européen (Allemagne exceptée) est à ce point catastrophique que la possibilité même d’un sursaut pose question. Celui-ci est-il envisageable sans défaire ou profondément remodeler les mécanismes qui ont produit les effets pervers de la mondialisation  ? Croit-on vraiment possible de conserver un système de protection sociale sans un appareil productif robuste distribuant de bons salaires et des avantages sociaux  ? Et peut-on affirmer sérieusement conserver ce qu’il reste de celui-ci en laissant librement entrer sur nos marchés des marchandises produites par des travailleurs sous-payés, au mépris des normes sociales et environnementales élémentaires  ? Plus fondamentalement, c’est la possibilité de « reprendre l’histoire » qui sera l’enjeu politique des prochaines années. La théorie lénifiante de la « fin de l’histoire » convenait parfaitement à la psyché européenne de l’après-guerre froide. Aux chimères de la dépossession douce de la souveraineté pourrait se substituer le retour du politique, c’est-à-dire une responsabilité retrouvée, et en définitive l’exercice de la liberté. Les jeunes élites disposent-elles en leur sein d’assez d’estime des peuples et de sens de l’histoire pour aller à rebours de leurs aînés  ? Telle est la question brutale que l’avenir proche pourrait révéler.

Par Julien Landfried, secrétaire national du MRC, membre de la Fondation Res Publica.


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