Euro 2016 : le fric, stade suprême du foot  ? (4 articles)

jeudi 21 juillet 2011.
 

1) Rappel des faits

L’Euro 2016 est une chance pour la France, mais l’État se désinvestit des financements publics nécessaires pour les rénovations ou les constructions de stades, tentant de faire passer en force une conception libérale du sport.

« Face à la marchandisation, une autre ambition pour l’avenir du football en France. Quel stade pour l’euro 2016  ? Pour qui et pourquoi  ? » 
C’est autour de ces questions que se sont réunis sociologue, géographe, journaliste 
et politique lors du débat organisé à Lyon, fin juin, 
par Danièle Lebail, secrétaire départementale de la fédération du Rhône du PCF. Parce qu’avec la révision générale des politiques publiques, la réforme des collectivités territoriales, 
le désengagement financier 
de l’État dans la construction 
de nouveaux stades prévus 
pour l’Euro 2016, dont 
le projet de l’OL Land 
à Lyon est exemplaire, 
le sport pour tous – et en particulier le football français – est largement menacé.

Anna Musso

2) Les stades français sont amenés à devenir, même timidement, des centres de profits

Par Stéphane Merle, docteur en géographie, chercheur à l’université de Saint-Etienne

Depuis quelques années fleurissent en France des projets de grands stades, ex-nihilo ou à partir d’anciens stades rénovés. Ils s’inscrivent dans une grande tendance à l’échelle européenne, tantôt d’affirmation du pouvoir des grands clubs par des projets de stades privés ou semi-privés, tantôt d’affirmation des États et des métropoles dans l’organisation des grands événements sportifs.

L’acceptation de la candidature française à l’organisation de l’Euro 2016 en mai 2010 n’a fait qu’accélérer un ensemble de projets d’aménagement portés par de nombreux acteurs, publics, privés et de type PPP (partenariat public-privé). Si 12 stades ont été sélectionnés dans ce cadre en 2010 (un nombre limité à 9 en mai 2011, ramené à 11 en juin), la perspective d’accueil d’un tel événement sportif n’est pas la seule motivation de ces projets  : une vingtaine de projets sont recensés dans les années 2000, certains en voie d’abandon, la plupart en cours de concrétisation. Ils relèvent tous d’enjeux sportifs – le développement du football français – mais aussi extra-sportifs (économiques, sociaux et politiques).

En effet, avec la marchandisation progressive du football professionnel depuis une trentaine d’années, le stade tend à être instrumentalisé par les acteurs qui portent ces projets, qu’ils soient traditionnels (les collectivités locales qui placent les grands équipements au cœur des stratégies de communication) ou récents (les clubs qui fonctionnent comme des entreprises de spectacle et cherchent à diversifier leurs revenus). Avec les projets de grands stades en cours, en particulier ceux portés par les acteurs privés (dont le projet phare de l’Olympique lyonnais du président Aulas, mais aussi les projets en PPP à Lille, Nice ou Bordeaux), nous ne sommes plus dans le modèle classique du stade «  temple du football  », mais dans celui de l’équipement de grand spectacle, où le supporter est de plus en plus perçu comme un consommateur, qu’il soit en place VIP ou en place populaire. Sans prétendre se rapprocher d’un modèle espagnol (supporters socios quasi copropriétaires des stades) ou anglais (investisseurs privés, stades modernes exnihilo, prix élevé des places accompagnant les mesures anti-hooliganisme), c’est le modèle allemand qui paraît le plus attractif  : des stades plus grands (45 000 places en moyenne contre moins de 30 000 en France), bien remplis grâce à une culture d’abonnés et à une diversité tarifaire. Mais il existe un risque derrière l’idée du supporter fidèle, c’est la notion de public captif, valorisée notamment lors des opérations de type naming (dérive des cartes prépayées).

Le stade moderne doit apporter pour ses défenseurs des revenus annexes derrière l’impératif de confort et de sécurité  : outre l’ambition de multiplier les places VIP (jusqu’à 6 200 à Lyon, au futur stade des Lumières, contre 1 800 à Gerland, au-delà donc des 4 850 places recommandées par l’UEFA pour l’Euro 2016), c’est toute une offre complémentaire qui accompagne les projets de grands stades. Cela peut être par transformation de l’enceinte (boîte à spectacle au Grand Stade de Lille), mais surtout aménagement des abords, en lien avec la vie du club résident (boutique, musée, centre d’entraînement), le sport marchand (centre de fitness, bowling, karting) ou par des opérations immobilières diverses (hôtel, centre commercial, bureaux...), à l’image de l’OL Land prévu pour accompagner le développement de l’Est lyonnais, sans forcément prendre en compte toutes les configurations locales (enjeu financier de la desserte).

Bref, à la suite des transformations de stades chez nos voisins, les stades français sont amenés à devenir, même timidement, des centres de profits  : ce qui apparaissait comme une invective des gérants du football professionnel (LFP et grands clubs), face à un modèle français jugé obsolète, devient une réalité dans l’avancement chaotique des projets. S’entrecroisent des intérêts divergents, qui dépassent les oppositions classiques (public-privé, local-national) et rendent l’avancement des projets souvent problématique. Les collectivités territoriales restent les pivots du système de construction/exploitation des grands stades (disposant des réserves foncières, du contrôle des procédures administratives, finançant les accès), mais dans un contexte de désengagement des pouvoirs publics en général. Reste à savoir si un stade, aussi grand et moderne soit-il, peut être un élément clé de la civilisation urbaine, un lieu de vie bien inséré dans la ville, garant d’un spectacle sportif populaire.

Stéphane Merle,

3) Les supporters de demain seront-ils traités comme des clients ou des acteurs à part entière  ?

Par Nicolas Hourcade, sociologue

L’organisation de l’Euro 2016 par la France est présentée par les autorités sportives et publiques comme l’occasion de rénover les stades et, au-delà, le spectacle du football. Associée à la lutte contre le hooliganisme, la construction de nouvelles enceintes est censée offrir un meilleur accueil et attirer un public familial. Il s’agit ainsi de rompre avec l’ordre actuel des stades et d’en forger un nouveau. Par ordre des stades, j’entends les formes de comportement et de contrôle social qui s’y expriment ainsi que les normes qui y sont dominantes. En retraçant à grands traits l’histoire du football français, trois périodes peuvent être distinguées.

1. Des débuts du professionnalisme, en 1932, aux années 1970, l’ordre des stades est consensuel. Le public se comporte plus en spectateur qu’en supporter. Les associations de supporters ne cherchent pas à mettre de l’ambiance, mais à créer des relations de sociabilité entre fans, joueurs et dirigeants, en se positionnant comme partenaires du club. Les dirigeants du football adoptent une attitude souvent paternaliste à l’égard de leur public. Les incidents sont rares et, quand ils surviennent, ils ne sont pas perçus comme un problème grave.

2. Les années 1970-1980 connaissent des évolutions concomitantes qui bouleversent cet ordre. C’est d’abord la transformation du football en activité médiatique et économique. C’est ensuite l’apparition de nouveaux groupes de supporters qui, eux, prennent en charge l’ambiance dans les stades et s’approprient les tribunes. C’est enfin le développement des incidents et la découverte, avec le drame du Heysel, du hooliganisme comme problème social.

3. Depuis les années 1990, l’ordre des stades est conflictuel. Parce qu’il existe de la violence verbale et physique dans les stades et à leurs alentours. Aussi parce que les associations de supporters les plus actives affirment leur « indépendance » par rapport aux dirigeants, ne ménagent pas leurs critiques envers le « foot-business », défendent leurs « droits » et n’hésitent pas à faire la « grève » des encouragements en cas de mécontentement. Le statut des supporters se révèle dès lors ambigu. Les associations qui prônent la proximité entre tous les acteurs doivent repenser leur rôle quand la distance ne cesse de croître entre fans, joueurs et dirigeants. Et celles qui s’approprient les tribunes pour y mettre de l’ambiance suscitent un regard ambivalent. Les dirigeants du football jugent indispensable leur ferveur tout en goûtant peu leurs débordements, mais aussi leur esprit critique et leur revendication d’un rôle actif dans le football.

Pour résoudre ces tensions, les autorités sportives et publiques prônent un nouvel ordre des stades en communiquant sur la nécessaire lutte contre le hooliganisme et sur le confort du public. Mais derrière ces mots d’ordre consensuels se cachent une volonté de reprise en main des supporters contestataires et/ou turbulents et une mise en avant de la figure du supporter client qui consomme docilement le spectacle et ses produits dérivés, à une époque où la commercialisation du football franchit un nouveau palier. Cette offre de spectacle, qui accroît le nombre des places « business » et transforme le stade en centre commercial, rencontrera sans doute un public. À condition cependant que la hausse des prix ne soit pas exagérée, dans un pays qui n’a ni le même réservoir d’amateurs ni la même qualité de jeu que l’Angleterre ou l’Allemagne.

Quoi qu’il en soit, ce nouvel ordre pose questions. Faut-il tendre vers un spectacle sportif à l’américaine, où le prix des billets est élevé et le show formaté par les organisateurs, ou convient-il de préserver un spectacle populaire et des espaces d’expression autonome pour les supporters  ? Comment lutter contre le hooliganisme sans s’attaquer par la même occasion à l’ambiance festive, aux libertés publiques (les méthodes actuelles posent des problèmes trop souvent occultés) et aux supporters revendicatifs, dont certains s’opposent à la violence et aux discriminations et tentent de s’intégrer positivement dans le football  ? Ce sport n’est-il qu’une activité économique, dirigée par les patrons des clubs et des fédérations, et les supporters seulement des clients  ? Ou est-il une activité sportive et sociale qui pourrait être organisée de manière plus démocratique et au sein de laquelle les supporters pourraient constituer un acteur à part entière  ?

Nicolas Hourcade

4) Citoyens, sportifs, supporters, élus : il est urgent de débattre d’une nouvelle conception du stade

Par Danielle Lebail, Secrétaire fédérale du PCF du Rhône, et Nicolas Bonnet, Responsable de la commission sport du PCF

C’est autour de cette question que la fédération du Parti communiste du Rhône a organisé un débat public dans le quartier de Gerland le mercredi 29 juin 2011.

Alors que l’enquête d’utilité publique sur le projet de l’OL Land est en cours, toutes les questions doivent être débattues avec les citoyens concernés, sportifs et supporters. La concertation doit être largement ouverte et animée par les pouvoirs publics. Le débat ne doit pas être confisqué par une minorité qui veut faire passer en force une conception libérale du sport.

L’Euro 2016 est une chance pour notre pays et pour les Lyonnais, mais il ne sera porteur d’espoir que si les stades répondent aux besoins de la population, s’ils sont conçus pour être des lieux d’émancipation et d’appropriation citoyenne.

Malheureusement, les projets présentés marquent la volonté de faire des grands parcs d’attractions à forte consommation et un support télégénique à forte rentabilité. Le projet OL Land est exemplaire  : il est présenté comme une future cathédrale de la marchandisation.

C’est un choix politique et idéologique. L’État a appelé de ses vœux l’Euro 2016 tout en connaissant le cahier des charges de l’UEFA, mais sans vraiment préparer la candidature de notre pays et sans mettre les moyens financiers à la hauteur. Il ne s’engage qu’à hauteur de 7 % du budget global nécessaire, au lieu de 30% lors de la Coupe du monde de 1998. Toutes les lois votées ont facilité la privatisation. Des lois d’exception qui autorisent les collectivités à octroyer de l’argent public aux clubs et aux grands groupes du BTP pour des enceintes conçues pour générer du cash. Non seulement il s’agit d’accorder des subventions à des projets reposant sur la propriété privée ou sur un bail emphytéotique, mais également pour servir à construire des loges et autres espaces de prestige. Ces choix écartent la possibilité d’une maîtrise publique. Au moment où le gouvernement réduit la dépense publique, il est temps de rendre public « l’argent privé »  ! Nous réclamons la transparence sur les sommes colossales qui circulent autour du football. D’où viennent-elles, à qui profitent-elles  ?

Nous pouvons encore inverser cette tendance par un combat politique sur les objectifs, la propriété, le financement public et la gestion démocratique.

Ces nouveaux stades doivent être construits pour répondre aux besoins de la population en étant des grands lieux de vie collective, de diffusion de la culture sportive nécessaire à l’éducation et au développement d’un sport de qualité. L’investissement doit être au service d’une autre conception qui, ne se limitant pas au spectacle, contribue à la formation des espoirs et permet l’accueil d’une diversité de pratiquants, notamment le football féminin, les amateurs et les scolaires. Le stade doit être multifonctionnel, permettant l’accueil d’une diversité de disciplines  ; une conception du modèle sportif français fondée sur les principes de mutualisation des moyens.

Si les grands stades sont d’intérêt général, ils doivent dépendre d’une maîtrise publique garantissant la transparence et le contrôle citoyen sur sa gestion et l’animation, notamment par les associations de supporters. Elle est également une garantie pour la répartition des recettes générées lors des grandes manifestations. Ces recettes doivent alimenter un fonds spécial, tel que le fonds Sastre, créé en 1998 à l’occasion de la Coupe du Monde pour soutenir la vie associative et les pratiques amateurs.

Il conviendrait alors de repenser les grands stades dans le cadre d’un réseau national d’équipements publics diversifiés et complémentaires afin de satisfaire tous les besoins. Une nouvelle conception en rupture avec l’ère de la marchandisation et essentiel pour l’avenir du sport.

Pour cela, la part du budget de l’État consacré au sport doit être largement réévaluée pour mettre en place un plan national d’investissement pour les grands équipements et pour les équipements de proximité. Enfin, les recettes apportées par l’Euro 2016 pourraient être reversées dans un fonds spécial d’équipement et ainsi soutenir les futurs projets.

Danielle Lebail


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