Quatre leçons sur la crise grecque, tirées de l’expérience argentine Par Jonathan Marie, Enseignant chercheur ParisVIII

samedi 2 septembre 2017.
 

La situation économique observée depuis ces derniers mois en Grèce n’est pas sans rappeler celle qu’a connue l’Argentine à la fin des années 1990. Les modalités d’insertion de la Grèce dans l’économie mondiale et celles de l’Argentine d’alors sont similaires  : impossibilité de mettre en place une politique monétaire autonome, financement éventuel du déficit budgétaire par les marchés financiers et taux de change surévalué.

En 1991, l’Argentine adopte un régime monétaire particulier imposant simultanément un ancrage fixe du change sur le dollar, une règle d’émission monétaire basée sur les réserves de change et la libre convertibilité des unités de pesos en dollars. Ce régime est abandonné en catastrophe en 2001, les fuites de capitaux ayant eu raison de son maintien. Initialement pourtant, cet arrangement monétaire suscite la confiance des marchés financiers  : les capitaux affluent en Argentine de 1991 à 1994.Lorsqu’elle adhère à l’Union économique et monétaire en 2001, la Grèce connaît une situation similaire.

La répétition des crises frappant des économies émergentes dès le milieu des années 1990 érode la confiance envers l’Argentine. Les entrées de capitaux se restreignent  : la croissance économique s’atténue et le déficit public comme le risque pays progressent. À mesure que les taux d’intérêt exigés par les créanciers s’élèvent, la probabilité d’un défaut de paiement de l’État argentin s’accroît. Un cercle vicieux se déclenche, initié par le changement d’attitude des marchés financiers.

Pour, espère-t-on, éviter une crise monétaire et financière, plusieurs plans sont mis en place sous l’égide du FMI, dès 1994. Les aides octroyées sont versées en contrepartie de mesures de restriction budgétaire et de privatisations, adoptées dans un contexte de forte contestation sociale. On estime que l’intervention internationale va rassurer les marchés financiers et enrayer le phénomène.

Cette illusion est aujourd’hui encore largement répandue, la Grèce accepte de relever le défi. Les autorités s’estiment en mesure de rétablir la confiance des marchés financiers mise à mal depuis la crise de 2008. Le cas argentin a pourtant rappelé une leçon keynésienne qui n’est toujours pas retenue  : les plans de rigueur adoptés en période de récession ou de très faible croissance sont contre-productifs. En limitant l’intervention publique, la récession s’aggrave et le ratio dette publique sur PIB continue mécaniquement de progresser. Le cercle vicieux n’est pas enrayé mais encouragé. Les marchés ont raison de s’alarmer.

Un deuxième enseignement découle naturellement  : dans ces conditions et malgré les montants considérables octroyés, les plans de sauvetage ne peuvent mettre fin à la défiance des marchés financiers. Un plan d’aide en appelle toujours un suivant. La récente dégradation par l’agence Moody’s de la note du Portugal est une autre illustration de cet état de fait.

Face à de telles contraintes, il est tout à fait légitime de se demander si une sortie de l’euro doit être davantage redoutée par les Grecs que l’austérité inefficace mise en place aujourd’hui.

En décembre 2001, victime d’une récession particulièrement sévère, l’Argentine exsangue abandonne son régime monétaire et se déclare en défaut de paiement. Le PIB recule de 10,9 % en 2002. Les taux de chômage et de pauvreté explosent. Pourtant, dès 2003, la croissance est supérieure à 8,5% et elle se maintient à un niveau comparable tout au long de la décennie jusqu’à atteindre, l’an passé, 9,2%.

De cette deuxième séquence, on peut retenir deux leçons supplémentaires. D’abord, la dévaluation est un instrument de politique économique qui peut fonctionner. Le taux de change argentin est multiplié par plus de 3 entre 2001 et 2003. Cette variation de la valeur de la monnaie s’est instantanément accompagnée d’une amélioration du solde de la balance commerciale. Le développement des exportations et la limitation des importations ont enclenché un cercle vertueux permettant la réindustrialisation de l’économie argentine.

Enfin, et c’est le quatrième enseignement, le défaut de paiement affaiblit les contraintes qui pèsent sur la politique monétaire, facilitant la gestion de la politique économique, ce qui doit encourager la croissance. L’économie resterait-elle cependant condamnée à figurer au ban des marchés financiers internationaux  ? Même pas, car la croissance retrouvée et la perspective de nouveaux profits attirent les capitaux.

Pour que la Grèce conserve l’euro, on doit permettre une diminution des taux d’intérêt imposés au gouvernement hellénique. À court terme, la solution la plus simple et la plus efficace serait d’accepter que la Banque centrale européenne puisse acheter des titres de dette nouvellement émis par l’État grec. À moyen terme, le fédéralisme budgétaire est bien sûr indispensable.

Quant aux craintes suscitées par les conséquences d’une dévaluation et d’un défaut de paiement, l’Argentine des années 2000 montre que cette solution ne doit pas être rejetée d’emblée  : il existe des défauts de paiement auxquels succède une forte croissance économique.

Il convient toutefois d’admettre que la Grèce et toute la zone euro sont bien à la croisée des chemins.

Jonathan Marie

Tribune libre dans L’Humanité du 24 juillet 2011


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