Le gouvernement prépare-t-il le démantèlement de la Sécu

vendredi 27 avril 2012.
 

A) Un choix de société  !

par Jean-Luc Gibelin Animateur du collectif santé, protection sociale du PCF

Depuis des mois, les principaux dirigeants du gouvernement répondent principalement aux demandes du Medef, voire anticipent certaines de ses demandes. À l’évidence, ce n’est pas une orientation de gauche qu’ils mettent en œuvre. Mais, au-delà, il y a, de leur part, un véritable détricotage d’une des réalisations du programme audacieux du Conseil national de la Résistance  : la protection sociale. La Sécurité sociale est au cœur de ces enjeux, notamment à partir de son financement. Par exemple, le plan dit de compétitivité et ses 50 milliards d’économies se concrétisent par une ponction de plus de 25 milliards sur différentes facettes de la protection sociale, de la Sécurité sociale. Cette somme se rajoute aux exonérations déjà accordées, comme les 30 milliards de «  cotisations employeurs  ». La protection sociale, la Sécurité sociale sont systématiquement ponctionnées pour assouvir les exigences des grands patrons et du monde de la finance. Ceux-là veulent vider la Sécurité sociale de ses fondements  : «  Chacun cotise selon ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins.  » Pour les communistes, ce principe reste plus que jamais pertinent et d’actualité.

Oui, nous sommes pour des cotisations versées par toutes et tous  ; oui, ces cotisations doivent être fixées en fonction des ressources réelles  ; oui, nous sommes pour des prestations qui couvrent les besoins et non en fonction des revenus, donc discriminatoires. Cette véritable solidarité est précieuse et nous n’acceptons pas les multiples formes de remise en cause.

La solidarité, ciment de la protection sociale, est insupportable pour le grand patronat, pour les financiers. C’est contraire à l’individualisme, moteur de la logique assurantielle qui leur est si chère. C’est bien la violente bataille idéologique actuelle. C’est un vrai choix de société, l’assistanat ou la solidarité, l’individualisme ou la force du collectif, l’assurantiel ou la protection sociale solidaire. Dans ce cadre, l’universalité de la protection sociale est le moteur et la logique de la Sécurité sociale. Jeter en pâture la modulation des prestations de la politique familiale n’est pas anodin. En raison de la crise des financiers, cela vise à déstructurer la Sécurité sociale. Et que personne ne se fasse d’illusions  ! Le même gouvernement montre ses vraies intentions en considérant qu’une retraite à 1 200 euros n’est pas une petite retraite. Pas d’illusions à avoir, sans solidarité, nous aboutirions uniquement à un assistanat des très pauvres. Au contraire, l’universalité de la Sécurité sociale est sa colonne vertébrale. Pas question, donc, de laisser remettre en cause cette universalité.

Pour autant, la problématique des inégalités sociales est réelle  ; elle doit être traitée par une politique sociale audacieuse et courageuse de réduction des inégalités sociales. Ce n’est pas la mission de la protection sociale, de la Sécurité sociale. En voulant mélanger les genres – politique sociale et Sécurité sociale –, les dirigeants du gouvernement jettent le trouble. Ils servent objectivement les intérêts du monde financier et assurantiel, qui n’a jamais accepté la vision révolutionnaire d’Ambroise Croizat, le père de la Sécurité sociale. Une alternative de gauche à la politique gouvernementale de remise en cause de la Sécurité sociale existe. Oui, le remboursement à 100 % par la Sécurité sociale des soins prescrits, avec un contrôle démocratique des ayants droit à la santé, c’est possible et finançable. La mobilisation est indispensable pour rejeter les choix gouvernementaux. Les communistes sont et seront de toutes ces mobilisations, à commencer par le 16 octobre, pour les relayer dans les propositions politiques et les porter y compris au Parlement, notamment lors du débat sur le PLFSS 2015.

B) Pour une Sécurité sociale professionnelle

par Daniel Gouttefarde Président de l’association Ambroise Croizat

L’aggravation de la crise et son cortège d’exclusions et d’injustices, de développement des précarités nécessitent de repenser nos solidarités, pas pour amoindrir leur portée et leur champ, mais pour qu’elles soient utiles, efficaces, cohérentes, et répondent aux besoins d’une société qui appelle des transformations et de nouvelles conquêtes sociales. Face au cap toujours plus libéral du président de la République et de son premier ministre, les forces progressistes doivent se rassembler et construire une alternative aux orientations et choix actuels.

La construction d’une Sécurité sociale professionnelle garantissant aux salariés, quels que soient leurs situations et les aléas de la vie (perte d’emploi, chômage, accident ou maladie…), le maintien de ressources permettant de vivre doit être une ambition politique. 
Il faut rompre avec les choix actuels qui taillent dans les budgets sociaux, réduisent comme peau de chagrin la Sécurité sociale basée sur la solidarité pour transférer vers l’individu sa protection sociale. Si tel était le cas, nous ne serions plus dans le projet initial dont Ambroise Croizat disait qu’il libérait «  des peurs du lendemain  », mais dans une jungle, un chacun-pour-soi où les plus argentés pourraient se soigner, élever et éduquer leurs enfants, vieillir sereinement. Tel est l’objectif des libéraux, de droite comme de gauche.

Comment travailler à cette Sécurité sociale professionnelle  ? Quelles initiatives permettraient aux citoyens de s’approprier ce concept, qui reste flou pour beaucoup et ne constitue pas un projet accessible, qui «  réenchanterait  » notre imaginaire et redonnerait sens et contenu aux luttes sociale  ?

Un dispositif existe qui mérite une attention, celui pour des personnes en situation de handicap qui ont à leur service des outils performants  : les centres de réadaptation professionnelle et sociale (CRPS) et leur accompagnement particulier. Gérés par des associations, des mutuelles, des syndicats, des établissements publics, ils regroupent 146 établissements et services, emploient 4 000 salariés et accueillent 13 000 personnes chaque année, orientées par les maisons départementales des personnes handicapées. Un dispositif d’ailleurs insuffisant au regard du nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Rassemblés au sein d’une fédération, ils proposent 240 formations qualifiantes à l’issue desquelles 70 % environ des personnes retrouvent un emploi dans le nouveau métier appris. Ils sont un exemple pouvant inspirer une Sécurité sociale professionnelle car construit sur la continuité de prestations  : rémunération pendant la formation, formations qualifiantes débouchant sur un diplôme et un emploi, financement de ces formations qui incombe déjà à la Sécurité sociale.

Autre raison d’étendre ce dispositif  : les publics accueillis en CRPS nous renseignent sur des caractéristiques similaires rencontrées parmi les chômeurs, notamment ceux de longue durée  : la désocialisation et ses conséquences. Pour résorber le chômage, la Sécurité sociale professionnelle devra s’inspirer des savoirs acquis dans la rééducation professionnelle des travailleurs handicapés. Cela coûte cher  ? Pas sûr  ! Quel est le coût pour la société de l’exclusion  ? Une récente étude met en évidence la valeur ajoutée économique et sociale des CRPS, qui permettent «  une réinsertion dans un emploi pérenne pour 2 stagiaires sur 3  ». Comme en 1945 avec Croizat et la Sécurité sociale, rendons crédible ce projet porteur. Loin d’être une chimère, cet objectif peut devenir réalité, pas seulement pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour l’ensemble du monde du travail, pour une humanité qui ne laisse personne à sa marge.

C) Étatisation et privatisation

par Nathalie Gamiochipi Secrétaire générale de la fédération CGT santé, action sociale

Oui, depuis les années 1980, toutes les réformes s’inscrivent dans un double mouvement d’étatisation et de privatisation. Le premier, en écartant les citoyens de tout débat  ; le second, en privatisant les actions de protection sociale, financièrement. Nous attendions un virage à gauche, et le pacte de responsabilité, la loi de finances rectificative de juillet 2014, le PLFSS 2015 et la future loi santé achèvent ce long travail de déconstruction.

Au niveau du financement, les cotisations sociales se sont considérablement réduites et, parallèlement, la participation privée des ménages s’est accrue. Depuis 1980, les prélèvements des entreprises sont passés de 33 % à 4,68 %. Ce changement n’est pas neutre, c’est bel et bien un choix politique qui vise à soustraire les entreprises de leurs obligations sociales pour augmenter la rémunération de leurs dirigeants et actionnaires, et renvoyer à la sphère privée la prise en charge individuelle des risques de la vie. La politique de restriction des dépenses publiques est une aberration économique et sociale. En France, 37 % des revenus des ménages sont socialisés. L’OIT rappelait encore dernièrement qu’en les diminuant, on se prive d’un instrument de relance de l’économie qui a besoin de travailleurs en bonne santé, suffisamment instruits et d’une population suffisamment jeune.

Au niveau du désengagement de l’assurance maladie, qui ne rembourse plus qu’à hauteur de 53 % en moyenne les soins courants (hors affection de longue durée et hospitalisation) et à 4 % l’optique, les prothèses… faisant ainsi la part belle aux complémentaires santé. L’ANI de sécurisation de l’emploi est venu consolider et accélérer ce processus, et aggraver les inégalités d’accès aux soins. Les cadeaux fiscaux dont bénéficient les complémentaires, soit 6,8 milliards d’euros, ne sont ni plus ni moins des moyens que l’on retire aux services publics et à la Sécurité sociale pour une couverture inégalitaire, coûteuse, où les compagnies d’assurances sont souvent en arrière-plan. C’est un marché très juteux  : en témoigne l’annonce toute récente du positionnement du géant de l’ameublement Ikea sur ce terrain. Reconquérir la Sécurité sociale devient une urgence, il faut reprendre la part laissée au fil du temps aux complémentaires, ce qui permettrait d’offrir à tous une couverture des soins de santé à 100 % beaucoup moins coûteuse pour les assurés sociaux, tout en gardant un moyen de régulation du système de santé par le conventionnement des professionnels autour de tarifs opposables, donc identiques partout et pour tous.

Au niveau du système de santé, la loi HPST a supprimé du Code de la santé le terme de «  service public de santé  »  ; la future loi santé le rétablit, mais en permettant à tous de pouvoir y prétendre. Les établissements publics sont surendettés et n’ont plus aucune marge  : ils ne peuvent plus qu’intervenir sur la masse salariale et l’activité. Les organisations du travail issues de l’industrie productiviste sont totalement inadaptées à des établissements au service de l’humain  ; les salariés empêchés de bien travailler sont en souffrance  ; les patients ou résidants, de moins en moins bien pris en charge. L’orientation des patients vers les professionnels de santé libéraux et les cliniques privées a pour objectif premier la réduction de la part de prise en charge par la Sécurité sociale. Les soins à l’hôpital sont financés par la Sécu à 90,7 %, l’ambulatoire à 62,5 %. La loi santé n’a pas pour but de faire faire des économies ni aux patients ni à la Sécurité sociale, car contrairement à la campagne menée par l’hospitalisation privée commerciale, quand on agglomère toutes les dépenses, le service public n’est ni plus cher ni moins cher, mais le personnel y est souvent mieux formé et les patients tous acceptés, quelle que soit leur situation sociale. En 2014, pour la première fois, l’enveloppe budgétaire de l’hôpital est inférieure à celle des soins de ville, où le dépassement d’honoraires et les déserts médicaux ne cessent de s’étendre. Ce sont des milliers de suppressions d’emplois que le gouvernement projette dans les hôpitaux, les structures médico-sociales et sociales. Le 16 octobre, jour de l’ouverture des débats parlementaires sur le PLFSS, la CGT appelle l’ensemble des salariés à se mobiliser.


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