Révolution citoyenne (interview de JL Mélenchon)

jeudi 1er septembre 2011.
 

Votre programme d’action est fondé sur une « révolution citoyenne ». Qu’entendez-vous par là ?

D’abord il y a le mot « révolution », il ne faut pas le brader. « Révolution », cela touche des domaines bien précis. Premièrement, les institutions : fin de la monarchie présidentielle, bataille pour la 6ème République et Assemblée constituante. Ensuite, une modification du régime de la propriété. Dans la révolution citoyenne, certains secteurs d’activité sortent de la propriété capitaliste et du marché : l’éducation, l’énergie, les transports, la santé, l’argent lui-même qui doit redevenir un bien commun. Troisième élément, la modification de la hiérarchie des valeurs : ce ne sera pas la concurrence libre et non faussée ou la liberté du commerce, mais la coopération et la soumission de toute décision à l’impératif de conservation de l’écosystème qui rend la vie humaine possible.

Cette révolution est « citoyenne ». L’adjectif n’est pas là pour adoucir ou faire passer la pilule. Il veut dire que le moyen de la révolution égale sa fin. Le moyen, c’est l’action consciente et délibérée – au sens de mise en délibération – du peuple qui exerce le pouvoir. Chaque personne devient citoyenne : elle n’exprime pas seulement ce qui est bon pour elle, ce qu’elle peut faire par exemple dans le cadre du syndicat ou dans le cadre de l’association, elle dit ce qui est bon pour tous. Chacun d’entre nous est investi d’une mission un peu « sacrée », magique : penser ce qui est bien pour tout le monde. L’objectif, c’est que l’humanité s’autodétermine. Qu’elle cesse non seulement d’être en proie à des vérités révélées – auxquelles nous sommes chacun libres de croire en notre for intérieur – mais qu’elle soit aussi libérée de l’injonction que représenterait la main invisible du marché. Une humanité rendue citoyenne c’est une humanité émancipée.

Comment faire en sorte que les citoyens soient en capacité de porter cette révolution, de « penser pour tout le monde » ?

On ne peut pas s’impliquer dans la vie de la Cité si la préoccupation numéro un, c’est de survivre jusqu’à demain et peut-être même jusqu’à tout à l’heure. La condition de base est donc une répartition des biens qui permettent de vivre. Et puis il y a l’éducation : il faut être capable. Il n’y a rien de plus humiliant et dégradant pour quelqu’un que de se savoir ignorant. Il faut un peuple éduqué, avec un rapport critique au savoir. D’où la place de l’école. Ensuite il y a les médias : des gens dont c’est le métier de nous procurer les informations dont nous avons besoin pour être des personnes responsables et capables d’agir en toute conscience. D’où la place centrale de l’information et du système des médias dans la citoyenneté. Les médias sont au service de la conscience civique et leur devoir est de la servir. Ils ne peuvent être irresponsables, ils appartiennent à l’esprit public. C’est très exigeant, c’est comme l’école, qui appartient à la Nation. Avec cela, on aurait déjà les bases. C’est le mécanisme idéal. Une école qui éduque correctement et qui éveille les enfants, des médias réellement respectueux de leur public et de la citoyenneté de ceux qui les lisent… Cela a l’air d’être de bon sens. Mais, dans la vie, rien ne se passe comme cela.

Votre idée de révolution serait-elle donc fondée sur un idéal inatteignable ?

Dans le monde réel, ces choses ne se réaliseront qu’à condition qu’on les aide à se réaliser. En Amérique du Sud, au Maghreb ou en Espagne avec les Indignés, les gens demandent tous la même chose : la liberté, la démocratie, le droit de gagner son pain. Le monde stable, en équilibre, n’existe pas. C’est la lutte qui est mère de toute chose ! Démocrite nous l’a enseigné au 5ème siècle avant notre ère. Commençons par avoir un comportement adulte, acceptons que telle est bien la réalité et tâchons d’y trouver notre place en donnant à cette lutte une forme civilisée : « la démocratie ». Et ensuite réglons les problèmes par le débat, le consentement, et quand nous ne sommes vraiment pas d’accord, l’arbitrage.

Pas par le consensus ?

Le consensus, c’est la violation de la démocratie. Assumons que nous sommes dans des contradictions qu’il faut dénouer, que ce n’est pas malsain que nous ne soyons pas d’accord, et, qu’à la fin, il faut trancher. Et que si l’on se trompe, il faudra peut-être y revenir une deuxième fois. Le réel n’attend pas pour avoir sa propre dynamique. Et la dynamique actuelle, c’est une crise de la civilisation humaine sous l’impact de deux chocs : la crise du modèle capitaliste d’accumulation qui aboutit à l’absurdité que l’on a sous les yeux. Et la crise écologique qui va mettre tout le monde d’accord plus vite que n’importe quelle autre contradiction du capitalisme. Nous sommes dans cette séquence-là, pas dans une séquence apaisée, où l’on discute tranquillement. C’est dans le bruit et la fureur que les choses se construisent à présent. Nous sommes à une période où les êtres humains ont intérêt à savoir ce qu’ils veulent, parce que s’ils ne « savent » pas, l’impact de leurs propres activités va s’imposer à eux. L’écosystème va être détruit. C’est un moment angoissant mais superbe aussi. Nous sommes en pleine responsabilité, comme lorsque on devient adulte. C’est un peu laborieux, nous ne sommes jamais sûrs d’y être arrivés, même à mon âge. Mais c’est quand même bon de se sentir maître de soi, « émancipé », autonome. La révolution citoyenne est une révolution humaniste qui commence, qui passe et qui finit par l’humain. Et ce mouvement-là englobe tout, l’écosystème et aussi les règles sociales.


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