Promouvoir les langues et cultures de France

lundi 6 février 2012.
 

Trop longtemps considérées comme étant potentiellement adversaires de la langue nationale et donc de l’unité de la République, les langues de France ne devraient plus apparaître aujourd’hui que comme ce qu’elles sont : partie prenante du patrimoine national, européen et mondial, qu’il convient de faire vivre et de promouvoir, sans conflit fantasmatique avec la langue nationale. Car elles sont aujourd’hui particulièrement menacées, si l’on ne crée pas les conditions qui leur permettent d’exister, à la fois bien sûr dans l’espace privé, mais aussi dans l’espace public. Toutes les enquêtes montrent en effet, même si c’est à titre variable selon les aires linguistiques, qu’il y a contradiction entre l’état de transmission et d’usage de ces langues, de plus en plus détérioré, et sentiment positif à leur égard. Sans rien changer au principe qu’elles ne sauraient faire l’objet d’un enseignement ou d’un usage obligatoires, il devient désormais urgent de créer les conditions d’obligation pour les pouvoirs publics, de pouvoir répondre aux demandes des populations concernées.

Il apparaît donc nécessaire et urgent, soixante ans après la loi Deixonne, d’affirmer la reconnaissance des langues de France par une loi de la République, qui leur donne un statut et définisse le cadre de leur promotion.

A discuter sur la questions des langues de France (appellation inscrite dans le service ministériel : Délégation générale à la langue Française et aux langues de France – DGLFLF, et qui est une notable avancée par rapport aux appellations : idiomes locaux, langues régionales…), autant le faire sur des faits précis, à jour des études menées dans ce domaine par des chercheurs, quitte à les apprécier dans un deuxième temps, et sans que l’opinion se substitue aux faits.

Langue(s) et Etats

La façon dont les Etats ont traité leurs usages linguistiques est extrêmement diverse[1]. Ce qui rend difficile la référence à des modèles ou à des contre-modèles. Une chose est sûre en tout cas, c’est que le recours à la langue comme moteur de la constitution des nations, venue du XIXème siècle, se heurte à la réalité et suscite dès la fin du XIXème siècle la démonstration inverse de la part, en France, d’historiens (Fustel de Coulanges), de philosophes (Renan), de linguistes (Bréal) : ce qui fonde la nation, c’est d’abord sa dimension politique, le choix de ses citoyens. L’Etat national peut avoir plusieurs langues officielles, co-officielles à des degrés divers sur une ou plusieurs parties de son territoire, et ceci en rapport ou pas avec des structures fédérales. Comme les religions, mais à un autre titre (car si l’on peut avoir une religion ou n’en pas avoir, mais pas plusieurs, il est nécessaire d’avoir une langue, et de préférence plusieurs), les langues ont fait, et continuent à faire l’objet de multiples manipulations pour justifier l’identité de groupes dominants ou dominés, du fait de leur qualité de créations culturelles humaines particulièrement riches[2].

Pour les manipulations dans le cadre des « communautés imaginées » que sont les nations, voir les travaux des historiens comme Eric Hobsbawm et ses disciples, tel Benedict Anderson ou Christopher Bayly ; en France on peut se reporter, entre autres, aux ouvrages de Suzanne Citron et de Anne-Marie Thiesse.

Poursuivre en actes une tradition progressiste

La situation française est de ce point de vue à la fois particulière et significative des problèmes posés par ces manipulations. Ce qui la caractérise, c’est en effet, contrairement au sentiment dominant, que la France est un pays multilingue, le plus riche d’Europe. De fait, le monolinguisme officiel (d’ailleurs entré tardivement dans la Constitution - 1992), héritage direct de la « langue du Roi » de l’Ancien Régime, n’a pas empêché que, jusqu’au début du XXème siècle, la majorité des enfants français n’avait pas le français comme langue maternelle.

Alors que l’idéologie dominante (républicaine et bourgeoise) a cherché à décrire les pratiques linguistiques populaires comme inférieures, passéistes et méprisables, la résistance a rencontré le mouvement ouvrier et progressiste comme Jean Jaurès, ou plus tard des communistes comme Marcel Cachin, Yann Sohier ou Félix Castan. Dans la situation d’aujourd’hui, malgré tant de dénigrements à l’égard des « patois », toutes les enquêtes d’opinion (par exemple enquête CSA de juin 2008, 68 % favorables à l’inscription dans le texte de la Constitution, et plus à gauche qu’à droite) montrent que les Français marquent un attachement renouvelé à ces éléments vivants de leur patrimoine.

Il faut de nouvelles dispositions législatives

De ce point de vue, la loi Deixonne de 1951 est à l’évidence devenu très insuffisante : d’une part parce qu’elle ne concerne que l’enseignement, laissant de côté l’ensemble du domaine culturel et médiatique, d’autre part parce qu’elle ne tient pas compte des changements intervenus depuis (en particulier le nouvel article 75-1 de la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ») et des nouvelles données européennes. La comparaison avec les pays voisins pour les langues transfrontalières (basque, catalan et occitan avec l’Espagne, occitan avec l’Italie, langue mosellane avec le Luxembourg par exemple), est d’ailleurs désastreuse dans tous les cas pour la situation française.

Si l’on considère dès lors que l’Etat républicain a pour mission de sauvegarder son patrimoine linguistique, et de soutenir celles et ceux qui ont choisi de le faire vivre par leurs pratiques et leurs créations, il devient indispensable de leur en donner les moyens dans le cadre du service public. Il s’agit donc de développer, à côté de la réponse rapide à des demandes explicites, une politique d’offre, telle qu’elle peut exister pour l’ensemble des langues apprises dans le pays, langues territorialisées, historiques, et langues d’immigration, en égalisant les situations dans le sens le plus favorable. L’exemple du corse montre que cela est tout à fait réalisable. Par la même occasion, il s’agit de mettre un terme à une concurrence sauvage entre les langues à faire vivre et apprendre sur le territoire national, que la pénurie actuelle exacerbe. On ne peut défendre une langue, y compris la langue française, langue commune incontournable sur le territoire national, en effet menacée par l’hégémonisme de l’anglais, sans défendre toutes les langues. Il s’agit de permettre que des filières puissent être mises en place de la maternelle à l’université, par la valorisation à l’occasion des examens, et bien sûr, d’abord, une information systématique en direction des intéressés, parents, enseignants, élèves, grand public.

De même, la présence des langues et cultures de France dans l’environnement propre à telle ou telle partie du territoire national, doit être clairement définie et relever de mesures réglementaires explicites. Le bilinguisme, déjà parfois présent dans la signalétique, ne peut que renforcer l’information de tous, en fournissant une présence sociale indispensable aux usages linguistiques.

Quant à la présence des langues de France dans le monde médiatique, les absences, insuffisances et inégalités actuelles obligent à remettre sur le métier des règles plus contraignantes, dans le but de sortir d’une situation trop souvent marquée par un ostracisme de fait contre ces langues et cultures.

Les langues et cultures de France, ouverture sur le monde

Le lien des langues de France avec les langues et cultures étrangères, ou d’autres pays, notamment frontaliers, qui caractérise la situation française, oblige à utiliser les avantages ainsi offerts pour, non un repliement communautaire illusoire et dangereux, mais une ouverture en direction des autres peuples, avec leurs langues et leurs cultures. De ce point de vue, la signature de la « Charte européennes des langues régionales ou minoritaires », compte tenu qu’elle n’engage pas au-delà des articles choisis, est un moyen d’appui utile pour faire envisager aux peuples l’Europe comme autre chose qu’un horizon de risques et de menaces telles que le promet un espace de « concurrence libre et non faussée », si désastreuse pour eux.

[1] Voir Anne-Marie Le Pourhiet (dir.), Langue(s) et constitution(s), actes du colloque de Rennes, Économica, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2004. [2] Cf. les travaux des linguistes, comme Henri Meschonnic, Bernard Cerquiglini, Jean-Baptiste Marcellesi… et Claude Hagège, professeur au collège de France, après ceux de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message