Le capitalisme à l’agonie de Paul Jorion (Notes de lecture et réflexions)

mardi 25 octobre 2011.
 

Paul Jorion est maintenant connu de tous et maintes notes de lecture ont déjà été publiées sur cet ouvrage qui date de mars 2011. Tout va très vite dans l’évolution de la crise économique allant vers la dépression. La spectaculaire crise financière qui en est une résultante fait apparaître bien des affirmations les plus péremptoires d’hier comme des stupidités sans nom. On s’aperçoit que l’on vit dans un monde où les « décideurs » ont fait fausse route. Mais ne sont-ils pas allés vers une folle logique où les peuples n’ont en rien leur mot à dire, où la démocratie représentative apparait comme un leurre remis en question. N’est-on pas parvenu au fond de l’impasse mortifère du capitalisme ? Un analyste hors pair. Paul Jorion est l’un des rares « économistes » a avoir « prévu » la crise des subprimes de 2008. Mais il est vrai qu’il avait derrière lui une grande expérience dans de multiples domaines. Il avait travaillé dans le « ventre de la bête ». Sa clairvoyance n’est sans doute pas bien vue de tous puisque déjà en 2004, il n’avait pu trouver un éditeur pour un précédent ouvrage, « La crise du capitalisme américain ». Ses analyses faites de constats, colle au plus près de la réalité. Chaque démonstration est étayée par des faits. Jorion reprend un à un tous les arguments et déclarations des gouvernants et prétendus « spécialistes » pour en faire la critique. Il décrit par le détail les dérives du système financier.

Avec bonheur, il a ouvert un blog qui rencontre un succès constant. Ce blog, d’une haute tenue, est la convergence de beaucoup, de tous ceux qui cherchent à comprendre lesdits mécanismes qui font notre économie, de ceux aussi qui ont des idées et veulent participer à un dialogue critique, qui veulent même refaire le monde. On y remarque bien sûr, parmi d’autres plumes celle, régulière, brillante, de François Leclerc.

Paul Jorion ne se cache pas pour reconnaître, avec modestie, que c’est l’apport de tous les participants à ce blog qui lui permettent de mieux comprendre notre société.

Un système à bout de souffle L’intérêt du livre vient donc de la dissection de la sphère financière qui domine aujourd’hui l’Economie. L’auteur nous montre que le système dans une pratique faite de spéculation et de paris, court à sa perte sans pouvoir trouver remède. Comme le nœud coulant qui serre encore plus l’animal qui se débat.

Comment par exemple relancer l’économie productive de biens, si sous les coups de mesures d’austérité, on enlève du pouvoir d’achat ? Comment combler le déficit des états si, par l’effet du chômage et de la baisse des revenus, le montant des impôts que devrait percevoir ledit Etat est appelé à diminuer ?

Il y a bien une dissociation entre la sphère financière, objet de spéculations toujours plus sophistiquées, et l’économie réelle. La première représentant aujourd’hui cinquante fois la seconde. A quoi bon investir dans l’industrie, la fabrication de biens ou les services, quand la spéculation permet de rapporter en quelques secondes des milliards de dollars ou d’euros ? La perversion est telle que ladite spéculation entend profiter au mieux de la banqueroute des états par le biais des CDS et CDO, produits financiers (garanties) dont on n’avait que peu d’idées voici encore une trentaine d’années. Pouvait-il en être autrement ? (1)

Une crise de la pensée libérale Paul Jorion nous fait un historique qui montre que les spéculateurs ont été longtemps assimilés à des parieurs, quasiment à des délinquants. Ces pratiques ont été jadis prohibées et l’auteur veut nous dire qu’aujourd’hui elles devraient être mieux encadrées. Jean Baptiste Say lui-même condamnait tous les spéculateurs et agioteurs de son temps pour leur rôle négatif sur l’économie.

Lloyd, le premier assureur, était un tavernier certainement habitué aux jeux d’argent. Il eut le génie d’embarquer dans ses paris de riches armateurs. Et en ces temps de crise, comme en 1929, le grand frisson, la panique en étreint certains qui finissent par se dire que Karl Marx n’avait pas complètement tort. L’auteur se différencie du théoricien allemand sur un point : la baisse tendancielle du taux de profit. Celle-ci serait en effet loin d’être prouvée et la mort du système, contrairement à ce qu’affirmait Marx ne pourrait venir de là ( 2 ).

Paul Jorion explore donc une autre piste : celle de Keynes et du bancor, la monnaie dont il avait eu l’idée. On pourrait remettre de l’ordre dans les échanges financiers et faire repartir l’économie quitte à réveiller l’inflation. Et ainsi il se félicite des déclarations d’Obama et, en France, de celle du ministre Henri Guaino, pour leurs discours appelant à une relance de la production de biens et un meilleur pouvoir d’achât.

Mais Jorion signale aussi, en passant la différence avec les années 1930. D’une part l’économie libérale n’était pas aussi mondialisée qu’aujourd’hui. Il existait un « bloc soviétique » et des contrées en voie d’exploitation par le colonialisme ou le capitalisme le plus sauvage. D’autre part dans les pays industrialisés d’alors, d’où provenait la crise, il existait encore la possibilité d’engager des grands travaux d’équipements, de faire du travailleur un consommateur, un conducteur automobile. Issue qui parait improbable aujourd’hui, même en équipant chacun d’un ordinateur L’équipement de la Chine en automobile devient un cauchemar environnemental que même les dirigeants les plus irresponsables redoutent. Et d’une façon générale qui sera en mesure d’acheter alors qu’on annonce à grands coups de trompettes que les revenus de la majorité de la population doivent baisser au nom du renflouement des déficits budgétaires ?

A cela les libéraux optimistes répondront qu’il reste à équiper aujourd’hui les pays émergents, comme le Brésil, l’Inde et la Chine déjà citée. Paul Jorion répond péremptoirement que les causes de la crise que vit aujourd’hui le capitalisme sont également en germe dans lesdits pays émergents, au prise notamment avec l’inflation. Faisant la critique du modèle économique d’aujourd’hui il remarque, au passage, la baisse tendancielle du travail. Mais il n’insiste pas sur le fait, qu’à travers le système en décadence, c’est la pensée libérale elle-même qui sombre. Où sont les Tocqueville d’aujourd’hui, ceux qui auraient assez d’intelligence pour opérer une critique pertinente, dire la vérité conformément à l’objectivité, à la lucidité, et à cette rationalité qui faisait la force de la bourgeoise ? On doit bien constater, en supposant leur existence, que le Pouvoir politique aux mains des marchés, désormais sans ressort ni imagination ni volonté, ne veut pas les entendre. Préparer à la « mobilisation générale » ( ?) en commémorant le 11 septembre, semble plus dans ses cordes….

Vous avez dit « utopie » ? Jorion appelle à l’utopie. Mais d’emblée, mine de rien, il met des barrières pour nous indiquer dans quel pré nous pouvons jouer et les endroits qui nous sont interdits. Ainsi en est-il du terme communisme où l’auteur nous renvoie à l’exemple soviétique. Le modèle communiste ce serait cela ? Bien des acteurs et penseurs ont fait la critique dudit régime soviétique pour conclure qu’il s’est agi d’un capitalisme d’état irrationnel quant à son issue. Lénine lui-même, en son temps, ne voyait un avenir au socialisme que par la victoire de la révolution allemande. Cette gauche allemande, ces anarchistes espagnols réalisant l’utopie, Paul Jorion fait mine de les ignorer dans sa quête. Les références à Freud, que d’aucuns ont qualifiés d’ethno centriste et de conservateur réactionnaire avéré (2) laissent cependant dubitatifs.

Les références à la Révolution Française apparaissent pertinentes à plus d’un titre - des femmes et des hommes jeunes et audacieux - mais l’établissement du pouvoir politique de la bourgeoisie est marqué dès l’origine par l’injustice sociale (loi Le Chapelier et interdiction d’appel à la réforme agraire sous peine de mort). Et pour notre part c’est surtout sur ce point que nous voyons les limites de la « vertu » robespierriste.

Le régime démocratique où nous vivons est-il somme toute acceptable ?

Venant d’un sérail de gens convenables, il est sans doute difficile d’imaginer une rupture sociale où les masses populaires joueraient le premier rôle, où la justice sociale deviendrait l’objectif premier d’un monde à construire, redonnant aux produits leur seule valeur d’usage. Tant il est vrai que la conscience de classes des masses n’apparait pas évidente ….

Une maïeutique L’auteur est semblable à ces vieux mécanos pleins d’expérience, capable de décortiquer n’importe quel moteur de son temps, capable de repérer sans coup férir la panne dans le système et ce au moindre bruit suspect. Mais peut-on demander à l’homme de l’art d’imaginer un nouveau moteur, un nouveau moyen de transport, une nouvelle vie où les transports, justement, n’auraient plus la même signification ? L’auteur a donné tout ce qu’il a pu, restant à l’écoute. Il a précisé, à maintes reprises, qu’il n’était pas là pour refaire le monde (4) mais pour faire avancer la conscience, que sa contribution critique se voulait plus modeste. Paul Jorion est-il au chevet du capitalisme pour tenter de le sauver, comme ont avancé certains ? Si c’était le cas on remarque qu’il est peu écouté par les Grands de ce monde. Il nous aide surtout à mieux comprendre notre monde.

NOTES

(1) « …Keynes, distinguant en conséquence la « finance » d’avec l’ « industrie », voulait qu’on encourageât cette dernière… Tout en soutenant qu’ « encas de courant régulier d’affaires, les spéculateurs peuvent rester aussi inoffensifs qu’un fétu de paille », il professait que « la situation devient grave quand l’entreprise n’est plus qu’un fétu de paille dans le tourbillon de la spéculation »(Théorie générale, p.171) « Cette distinction entre, industrie et finance, entre capital productif et capital parasitaire, est aussi vieille que le capitalisme lui-même. Elle a servi de couverture à une lutte fallacieuse contre le « joug de l’intérêt » et les spéculateurs irresponsables. Aujourd’hui, cette lutte entre cliques capitalistes constitue pour l’essentiel un phénomène dépassé, car la fusion de l’industrie et de la finance est si complète qu’elle exclut toute distinction « morale » entre celle-ci et celle-là. Mais même auparavant, tous les capitalistes, et pas seulement les financiers, ne voyaient dans la production rien d’autre qu’ »un mal nécessaire » pour faire de l’argent ». Et, quand bien même seul le processus de production est générateur de profits, on a toujours voulu faire de l’argent sans son intermédiaire » (Capital,II, E.S. , i, p.54) C’est en particulier aux moments où le capital demeure « oisif » et où le taux d’investissement stagne que les capitalistes redoublent d’efforts en vue de faire de l’argent aux dépens des autres détenteurs de monnaie et de titres, par le biais de manipulations financières et de coups de Bourse. » « Marx et Keynes », Paul Mattick, 1972 (réédité chez Gallimard, 2010, p.35)

(2) Un certain Bordigus participant au blog de Jorion a une conception différente concernant la baisse tendancielle du taux de profit : « Au cours de la crise, tout le capital fictif s’effondre. Elle indique que la production capitaliste n’est pas arrivée à dominer la loi de 1a baisse tendancielle du taux de profit, ou, ce qui revient au même, que la crise n’est qu’un moyen catastrophique pour surmonter cette contradiction. Elle est parvenue à dominer la loi sur 1a base de laquelle elle s’est développée (loi de la valeur) mais elle ne parvient pas à s’assujettir celle qui la régit. C’est pourquoi cette loi de la baisse tendancielle du taux de profit est « la plus importante de l’économie politique et elle est la plus essentielle lorsqu’il s’agit de comprendre les rapports les plus difficiles. Du point de vue historique, elle est aussi la loi 1a plus importante. C’est une loi qui, malgré sa simplicité, n’a jamais été comprise jusqu’à ce jour et encore moins exprimée de façon consciente. » (Fondement, t. 2, p. 275). « 4.2.22. –Avec l’accroissement du capital et donc de la productivité du travail , toutes les entraves au procès de valorisation, que le capital n’a pas supprimées mais englobées, deviennent des moyens de valorisation : la rente foncière(agraire οu des terrains à bâtir), les limites nationales avec le protectionnisme, etc… Cela veut dire, en définitive, essor considérable de la spéculation. Autrement dit arrivé à un certain stade de la dévalorisation, le capital ne peut la fuir qu’au travers de la spéculation et en devenant capital fictif. » Extrait de la revue Invariance, Thèses de travail 1969 »

(3) "Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne" (2010, Grasset) par Michel Onfray.

(4) Dans l’Humanité du 15 avril 2011, il déclare « Mon rôle n’est pas de produire de nouvelles utopies, mais simplement de favoriser la prise de conscience de la nécessité d’un nouveau système. Rien n’est possible si nous ne commençons pas par nous libérer de l’aliénation du journal télévisé de 20h, qui nous assène, par exemple, l’idée que nous sommes des « demandeurs d’emplois ». Moi, je veux contribuer à libérer les gens de cette conception. »

Nemo3637


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