La fête de l’Humanité a tenu ses nouveaux objectifs politiques

vendredi 30 septembre 2011.
 

Mais un certain retour de la tradition s’est observé : il a plu une très grosse rasade samedi soir ! J’ai donc pataugé misérablement dans une allée boueuse pour rendre visite à Bernard Thibault quand ce fut l’heure, après une longue discussion avec Cécile Duflot dans le vacarme des trombes qui martelaient le toit du stand du Front de Gauche. Tout cela presque au moment où j’affirmais dans l’émission de Laurent Ruquier qu’il ne pleuvait pas sur la fête. Il est vrai que nous avons enregistré l’émission deux jours avant… Notre premier but était de lancer et de mettre en scène l’édition du programme partagé « L’Humain d’abord ». Coup au but ! Cinquante mille programmes vendus en trois jours selon la police, soixante dix mille selon certains organisateurs ! La séquence de l’Agora sur le thème, bien organisée en séance de trois minutes par interventions roulantes fut un bon moment de pédagogie collective. Et l’occasion d’une indication très sérieuse sur les états d’esprit. Personne ne demande autre chose que des idées claires et des réponses à la fois radicales et très concrètes. Inutile de souligner que cette façon de voir me convient parfaitement. De mon côté, à mon passage sur la scène où trois journalistes de « l’Humanité » m’interrogeaient, je fus très impressionné par la force de l’écoute et de la réactivité de l’espace bondé devant lequel je parlais. Cette impression est de l’ordre d’une sensation physique. Si vaste que soit l’espace dont il est question, en peu de temps il se fabriqua une sorte de proximité quasi intime. J’espère me faire comprendre avec ces mots. Je n’en trouve pas d’autres pour souligner le genre des fusions qui se sont opérées au cours de cette fête. Elle a pris mille formes mais toutes se ramènent à quelques épures constantes : une mise en commun sans hiérarchie discriminante. Exemple, les assemblées-débats avec des syndicalistes en lutte. Personne ne ramena le débat sur la place des uns vis avis des autres. Action politique et action syndicale se sont données à voir naturellement comme tenant les deux points d’un même front. Que de débats d’hier ont semblé dépassés alors sur ce sujet !

C’était le moment dont on m’avait dit qu’il serait le plus éprouvant pour moi. Celui du discours sur la grande scène de la fête de l’Humanité. Marie-George Buffet m’avait décrit la situation et donné quelques conseils techniques. Peu avant, André Chassaigne fit de même. Et Jacques, le chef du service d’ordre me donna un bon coup de main dans le dernier quart d’heure. En effet, je suis resté avec tous les autres un grand moment au pied de la tribune de la grande scène, perché sur une marche de l’escalier qui y conduisait. « Monte d’un cran, me dit-il, tu vas t’habituer ». Bonne pioche. Le déroulé avait pris quarante minutes de retard. Nos patientâmes un bon quart d’heure et je ne le regrette pas. J’ai pu longuement m’imprégner de l’ambiance de cette foule immense qui remplissait la place centrale de la fête. Si bien que le moment venu, une fois en place, c’est comme si j’avais fait ça déjà plusieurs fois.

Dans ces conditions, le stress ainsi évacué lâcha prise et j’eus le cœur tranquille pour ressentir plus clairement ce qui se passait. J’avais déjà noté combien cette foule si réactive n’était pas celle d’un groupe de consommateurs de concert, même si le concert était bien dans son programme pour cette fin d’après-midi. C’était un public politisé. Ses interventions, leurs nuances subtiles en attestaient. Inutile donc de surligner les effets oratoires. Le nombre et l’espace poussent déjà assez à forcer le ton bien inutilement. Je continuais donc de corriger le texte de mon discours dans ma tête. Je prononçais donc ensuite, sans hâte, en pleine empathie avec ceux qui m’écoutaient, ce que j’avais décidé de dire cette fois-ci. Pourtant, l’émotion, violente comme une irruption, m’explosa le cœur au moment où vinrent les notes de l’Internationale, quand le chant monta de la foule et s’installa parmi nous. Puis quand la Marseillaise suivit, l’unisson m’emporta complètement. Oh, ma gauche ! Mon pays ! Ce moment d’osmose politique, sur cette grande scène, avec eux tous et les drapeaux rouges, dans le rôle qui m’a été confié, c’est comme un accomplissement dans ma vie d’engagement.

Comme on le sait c’est une décision politique très significative qu’ont pris les dirigeants communistes, et ceux de la Fête, en choisissant de bouleverser les habitudes de ce moment traditionnel. Je ne crois pas qu’un dirigeant politique français non membre du parti communiste ait jamais parlé depuis ce lieu avant que cela me soit proposé. Ce n’est pas tout. En plaçant mon tour de parole après celui de Patrick Le Hyaric et avant celui de Pierre Laurent, il m’a été fait une nouvelle faveur. Celle de m’éviter le démarrage de la séquence, exercice toujours délicat. Mais aussi celle de me soustraire à la pression sur le dernier qui parle, après que tout ait été dit, et tandis qu’on vous pousse dans le dos pour rattraper le retard de l’horaire. J’étais donc totalement à mon aise et j’ai pu respecter sans difficulté la durée de douze minutes de temps de parole qui m’était accordée. Cela me rend d’autant plus sensible à la performance de ceux qui avant et après moi, ont pris le micro. Le Hyaric et Laurent assurèrent, avec la maitrise des gens aguerris à ce lieu et à ce moment politique. Je les ai écoutés tous deux, j’ai senti leurs efforts, j’ai gouté le travail d’écriture que représentent ces brèves minutes d’expression calibrée. Le diable m’emporte de ne pas écrire mes discours avant de les prononcer ! Ces deux hommes je les écoute depuis quelques temps déjà. J’ai noté cette fois-ci une évolution de leur style oratoire. Nous voilà dorénavant aussi proche dans la forme que sur le fond. Le discours de Le Hyaric avait une grande puissance lyrique, très maitrisée, selon son habitude. Celui de Laurent fonctionnait dans le registre rhétorique de l’esprit de son livre, le « nouveau pari communiste ». Je veux dire qu’il innovait tant pour les angles choisis que pour le style. La flèche est acérée. Il en résulte des moments surprenants de liberté de ton. Ainsi quand il dit « soyez de gauche » à l’adresse des socialistes et des écologistes. L’humour qui entoure cette formule terrible n’atténue pas sa portée, bien au contraire. Elle en élargit le sens. C’est du jamais entendu. Car peu nombreux ont noté que Pierre Laurent en a profité pour décrire la nouvelle identité politique assumée de son parti. En particulier quand il a évoqué le samedi, à la réception du conseil national du PCF, la « révolution écologiste ». Mais, bien sûr, c’est l’interpellation des socialistes et des écologistes qui a marqué à juste titre les esprits. Tous les dirigeants du Parti de Gauche ne parlaient que de ça depuis qu’ils avaient entendu la formule la veille, dans l’allocution dans le stand du conseil national du PCF. C’était déjà énorme, dit en présence de ceux à qui c’était destiné, Martine Aubry et Cécile Duflot. Personne ne prévoyait que ce serait répété face aux quarante mille personnes de cette place. Oui, c’est un signal très fort qui devrait faire réfléchir ceux à qui il est adressé. La titraille du journal l’Humanité le lendemain semble elle-même hésiter devant l’audace. Elle dit « Soyez de gauche, soyons de gauche ! » a lancé Pierre Laurent à tous les invités de la Fête. ». Hum ! Hum ! D’où sort ce : « soyons de gauche » ? Pourquoi diluer et relativiser de cette façon ce qui était volontairement dit sans artifice de langage ? S’émanciper des euphémismes n’est pas une habitude facile à prendre, c’est certain. Je ne crois pourtant pas que le secrétaire national du PCF renoncera au style qu’il est en train de créer. S’il en est ainsi c’est parce que nous avons tous fait le constat de l’exaspération de la gauche d’en bas, celle du terrain et des luttes. Olivier Dartigolles, autre dirigeant du PCF me confiait : « le plus grand risque pour nous aujourd’hui serait d’être une main en dessous du parler clair qui est attendu de nous ». C’est exactement ma façon de voir depuis que j’ai décidé de faire le livre « qu’ils s’en aillent tous ».

On n’explique pas autrement l’accueil très controversé qui fut fait à Martine Aubry et qui nous prit tous de court. Je ne crois pas que ce soit sa personne qui était visée. Les réactions étaient très politiquement exprimées. Les prises de position du PS sur les retraites ont déclenché un ressentiment que je n’avais pas imaginé. C’est là-dessus que j’ai entendu crier des syndicalistes massés devant le stand du Front de Gauche pendant sa visite. Comme je ne savais rien de ce qui s’était passé avant cela j’étais totalement pris au dépourvu par les mines défaites et l’agressivité des personnalités qui accompagnaient Martine Aubry. Leur violence notamment contre la presse me laissa pantois. Et bien narquois, je l’avoue. Car je mesure à cette occasion le caractère sélectif des indignations des médiacrâtes. Ceux qui ont fait une boucle de mes propos contre le « petit journaliste », ne soufflent mot des gestes et des comportements autrement plus concrètement violents que j’ai pu observer pendant cette séquence et dont on m’a dit qu’ils sont devenus habituels. Mais il est vrai que pour eux cela n’existe pas, sans doute. Mépris de classe : est seule concernée ici la piétaille de ceux qui se foulent les uns les autres pour arracher leurs images et leurs sons dans une cohue imposée qui fait pitié à voir. Après quoi je dois dire que personne n’était content autour de moi de la tension contre elle. Nous ne l’avions pas invitée pour qu’elle ait à le regretter. Je le dis d’autant plus tranquillement que, la veille, mes amis du Parti de Gauche avaient été une nouvelle fois humiliés avec perfidie par les partisans de Martine Aubry à propos de la liste aux sénatoriales dans le département des Hauts de Seine. Pourtant ils firent avec une magnifique discipline le travail de sauvetage que la tension du moment exigeait. Je restai amer que le déplacement ait tourné de cette façon. Mais cette situation rend compte d’un ressenti réel, davantage me semble-t-il à propos du Parti Socialiste que de la personne de sa première secrétaire.

Je ne partage pas le regard porté sur la visite de Ségolène Royal par certains commentateurs. Non, Ségolène Royal n’a pas été chahutée. A moins que le sang-froid dont elle a fait preuve face à la bousculade inouïe des photographes et caméramens ne m’ait trop impressionné pour que je le voie. Il n’en reste pas moins qu’elle avait parfaitement organisé son déplacement. Arrivée tôt dans la matinée avant les dérangements de la grande affluence, elle avait quelque chose à nous dire, clair et net, sur les sujets qui nous intéressent contre les licenciements boursiers et pour le contrôle des banques. Mais tout cela, si apprécié que cela ait été, se situait dans le stand hors de portée de l’écoute des passants de la Fête. Cela n’explique donc pas pourquoi Martine Aubry, de son côté, a été interpelée comme elle l’a été sur son parcours. Pour ma part j’en suis navré car je ne l’avais pas du tout prévu. Mon intention et celle du Front de Gauche n’était pas de donner à voir quelque préférence que ce soit. Ce n’était pas notre sujet. Le but était de faire franchir un pas à « l’offre publique de débat ». La publication du programme du Front de Gauche rendait possible ce franchissement en lui donnant un point d’appui concret. Voilà tout. J’estime que cela a été réussi. En même temps la centralité du Front de gauche a été soulignée. Car c’est là un enjeu. Nous ne sommes pas la force d’appoint du PS. Nous sommes autonomes et indépendants. Et sans nous rien ne peut se faire. Et quand je dis « nous » je ne pense pas à nos états-majors de parti. Je parle de tous ceux qui ne se sentent représentés par nous qu’en raison du fait que nous affirmons notre rupture avec le système. Inclus le système traditionnel des alliances qui ramènent toute les énergies à la niche du conformisme. Le comprendre, c’est-à-dire admettre ce qui se passe sur le terrain est la condition de base de toute analyse pour le futur de la gauche. Il ne faut plus croire que les votes automatiques, les consignes de désistement et autres réflexes de la période issue de l’union de la gauche fonctionnent comme avant. La confiance se mérite et la méfiance domine les esprits. A juste titre. Quand Hollande déclare dès le premier débat de la primaire que le « futur président est autour de cette table », quand il évoque l’alliance au centre et réduit le deuxième tour à une capitulation sans condition, on voit à quel aveuglement conduit le nombrilisme socialiste qu’il incarne si bien. Les autres candidats se montrent plus respectueux des autres, moins arrogants. Ils ont fait le déplacement, ils ont commencé un dialogue sur nos bases exigeantes. Je leur en suis reconnaissant. Cela ne me fait surtout pas oublier ceux qui ne sont pas venus. Car leur choix est bel et bien assumé comme une décision politique. Le contenu de ces refus souligne la gravité de la divergence que veulent creuser leurs auteurs.

Besancenot et Poutou ni aucun responsable ou porte-parole du NPA ne sont venus jusqu’à nous. Un vote de la direction collective du parti l’a décidé. C’est absolument nouveau. Dans le passé chaque année, Olivier Besancenot passait, par exemple, en toute simplicité sur le stand du Parti de Gauche. Cela ne l’engageait à rien. Sinon à montrer qu’on se parlait sans problème, même pour se dire des désaccords. Pourquoi en va-t-il autrement maintenant qu’en s’adressant au Front de Gauche tout entier les camarades du NPA peuvent s’épargner une tournée des divergences ? Pourquoi le dialogue serait-il plus difficile quand nous mettons sur la table un programme rédigé qui rend concret le contact ? Au lieu de ça quoi ? Un vote pour refuser une invitation ! Voter sur une visite à faire, en réponse à une invitation dans un stand central des organisateurs de la Fête à laquelle on participe est une décision si étrange ! Même Lutte ouvrière n’a pas fait cela. Nathalie Arthaud est passée. Et je sais bien que cela n’a pas changé son avis sur nous ni réduit sa distance avec notre programme. Je n’attendais pas cela d’ailleurs. C’est tout simplement incompréhensible.

Autre splendide dédain, François Hollande ! Comme Poutou, il nous a tourné le dos. Plutôt que d’en commenter le sens vu de mon balcon, je préfère vous communiquer le verbatim de sa propre explication. Celle qu’il a donné dans l’émission Radio France politique, le dimanche même. En résumé : ce n’était pas ma place dit-il. C’est noté ! Question : « Vous avez contourné l’obstacle ? François Hollande : (…) Cette année j’ai considéré, au-delà de l’engagement que j’avais en Corse, que ce n’était pas ma place. Il y a un candidat du Front de Gauche qui a été choisi, Jean-Luc Mélenchon. Moi je suis candidat à la candidature du PS, à partir de là je ne suis pas pour rechercher un adoubement (…) Question : La Fête de l’Humanité est un symbole de l’union de la gauche, du rassemblement de la gauche. Votre absence n’est-elle pas un contre symbole ? François Hollande : Ce n’est pas du tout un symbole de l’Union de la gauche, pas davantage du rassemblement de la gauche. Question : Le programme commun ! François Hollande : On ne va pas remonter à Mathusalem. C’est le symbole du Parti Communiste. La première fois que j’y suis allé, j’avais 15 ans, c’était Jacques Duclos en 1969 qui sortait d’une élection présidentielle (vous voyez je remonte à l’histoire, pour ne pas dire à la préhistoire). C’est une belle fête qui permet au peuple communiste de se retrouver, même d’inviter davantage, mais là en l’occurrence c’était la fête de Jean-Luc Mélenchon, et c’est tout à fait normal ; et je l’ai bien compris. Question : C’est Jean-Luc Mélenchon qui vous gêne ? François hollande : Jean-Luc Mélenchon va être candidat du Front de Gauche. Moi je souhaite être candidat du PS, nous allons nous retrouver l’un en face de l’autre (…) Question : Vous avez redouté une confrontation avec les électeurs de la gauche de la gauche ? François Hollande : Mais ça n’a rien à voir. Si on m’avait invité à un débat j’y serais allé ; je n’ai pas été invité à un débat ; on ne m’a pas proposé de faire un colloque avec le Parti communiste, je serais peut-être venu. (…) Mais je ne suis pas là pour que Jean-Luc Mélenchon me fasse compliment ou me fasse reproche. Au lendemain d’une désignation par la primaire, j’aurais à cœur de rencontrer Jean-Luc Mélenchon – je l’ai d’ailleurs appelé pour lui dire que je ne pourrais pas être là – comme de rencontrer le parti communiste, mais pour nous rencontrer au second tour. »

« J’ai le respect du Front de Gauche qui a désigné son candidat, respect de la Fête de l’Humanité, qui est la fête où je ne suis pas là pour aller chercher des voix qui viendraient du parti communiste, même si certains communistes veulent venir voter pour la primaire ils seront les bienvenus puisque c’est ouvert à tous. Mais j’essaie de ne pas confondre les moments ; le moment du rassemblement viendra. Question : Le fait que Jean-Luc Mélenchon ait mal pris votre absence n’handicape pas ce rassemblement ? François Hollande : Jean-Luc Mélenchon essaie de faire le plus de voix possible au 1er tour, il va essayer de se distinguer. C’est normal, il est dans son rôle. Il n’est pas là pour dire quel est le meilleur candidat du PS ».

François Hollande m’a appelé au téléphone, en effet. Je l’ai dit aux journalistes qui m’ont interrogé. J’ai bien fait de ne pas croire ce qu’il m’a dit. Car il me présentait son absence comme un concours de circonstances lié à sa présence en Corse. On voit au contraire qu’il s’agit d’un choix politique ! Et avec quels arguments ! C’est donc tout autre chose. Si je l’avais cru je me serai bien ridiculisé en l’excusant auprès de ceux qui m’ont interrogé. En pensant au coup tordu j’ai mis dans le vrai. Ce garçon est vraiment un roublard madré. Il faut se tenir sur ses gardes en permanence et ne jamais prendre ce qu’il dit pour argent comptant. Mon travail c’est aussi de ne pas nous laisser rouler !

Ai-je dis que nous avons mis les petits plats dans les grands pour la visite d’Arnaud Montebourg ? Nous l’avons fait, en effet. Il est ce qui reste de la gauche du PS après que tout le reste se soit perdu dans les sables des combines et plans à tiroirs sans fond. La foule de la Fête, subtile mais narquoise criait depuis les stands qu’il longeait « avec nous ! qu’est-ce que tu fais au encore au PS » et ainsi de suite. C’est vrai ça, qu’est-ce qu’il fait encore là dedans ? Patience.


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