Mayotte : Le 101e département français est paralysé par la grève

mardi 11 octobre 2011.
 

Le 101e département français est secoué par un mouvement social contre la vie chère depuis quinze jours. Manifestations, grèves, barrages routiers se succèdent. Les syndicats exigent une réduction des prix sur une dizaine de produits

Paralysée par un mouvement de contestation contre la vie chère, l’île de Mayotte ne respire plus depuis quinze jours. Barrages routiers, rues désertées, magasins fermés… Le chef-lieu du 101e département français, Mamoudzou, a pris des allures de ville fantôme. Les manifestants ont bloqué certaines routes, tandis que de jeunes émeutiers dressaient des barricades avec des blocs de béton, des carcasses de voitures ou des arbres, au nord et au sud de Mamoudzou. Depuis une semaine, tous les magasins sont fermés sous la pression des manifestants. L’impatience commence à gagner certains consommateurs. « Je soutiens le mouvement, mais je n’ai plus de lait, plus de viande, plus de riz. Il faut bien que je nourrisse mes enfants », se désolait samedi matin Mraati devant le rideau d’un supermarché. Le magasin ouvre finalement ses portes et est rapidement pris d’assaut par les clients. Soulagement de courte durée  : les manifestants arrivent manu militari pour faire fermer le supermarché. « Nous avions besoin d’une révolution pour que les choses changent. Cela passe par la paralysie de l’économie. Les dirigeants doivent comprendre que les Mahorais souffrent et ont besoin d’être écoutés », explique Salim Nahouda (CGT).

Dès le premier jour des manifestations, le 27 septembre, la présence policière massive a porté la tension à son comble. « On manifeste pacifiquement et on nous envoie des gendarmes pour nous tirer dessus, s’insurge Soula, professeur des écoles. On est excédé. » L’usage des blindés dès le deuxième jour de manifestation a mis le feu aux poudres. « C’est complètement disproportionné », juge un militant habitué des cortèges. L’État n’a effectivement pas lésiné sur les moyens, en faisant appel à des renforts (entre autres le GIPN  : groupe d’intervention de la police nationale) de l’île de La Réunion et de l’Hexagone. « Ce n’est plus la grève, c’est la guerre  ! », s’étonne Ibrahim devant le ballet des véhicules. De fait, le mouvement a réveillé des tensions sociales. Le nord et le sud de Mamoudzou ont été le théâtre d’affrontements violents. Pour la première fois à Mayotte, des cocktails Molotov ont été lancés sur les forces de l’ordre, qui ont répliqué avec des grenades lacrymogènes. Une quinzaine de personnes ont été interpellées, dont un adolescent de quatorze ans, condamné en comparution immédiate à un mois de prison ferme. Vendredi, une fillette de neuf ans a été blessée à l’œil par un tir de Flash-Ball. Ce week-end cependant, la tension est retombée et la plupart des barrages routiers ont été levés hier. Cette semaine, le préfet reçoit tour à tour les associations de la société civile (hier), de consommateurs avec les syndicats (aujourd’hui), le patronat (demain) avant la chambre de commerce et de l’industrie mercredi. D’ici jeudi, jour du bilan de ces rencontres, la grève continue.

Sur le fond, le conflit s’ancre dans le refus de la vie chère. « À la Réunion, 12 yaourts coûtent 2,5 euros. À Mayotte, pour le même prix, vous en avez 4 », peste le leader CGT. L’intersyndicale à l’origine de la fronde (CGT, CFDT, FO et associations de consommateurs) exige l’alignement des prix de 11 produits de première nécessité (riz, viande, gaz, etc.) sur ceux de La Réunion, autre île française de l’océan Indien. « Mayotte est le département d’outre-mer où le coût de la vie est le plus élevé alors que le niveau de vie est le plus bas  ! Ça ne peut plus durer », enrage Riffay Hamidouni, de l’Association des consommateurs mahorais.

Intersyndicale, État et patronat ont discuté de la baisse des prix au cours de plusieurs négociations fleuves. Mais, samedi soir, les tractations ont une nouvelle fois achoppé. « La grève continue », a scandé Boinali Saïd (CFDT), sous les acclamations de 800 manifestants réunis sur la place de la République, en centre-ville. « Les distributeurs s’enrichissent sur notre dos en prenant des marges exorbitantes. Eux, ils roulent en 4x4 et nous on est à pied. Quand je travaille, je nourris toute ma famille », fulmine Dala, 22 ans. « La cherté de la vie est un prétexte, mais ces manifestations sont un cri d’alerte de la population pour dire  : “Occupez-vous de nous, faites qu’il n’y ait pas des Français à 2 vitesses” », analyse Hamidou Madi M’Colo (FO). Même constat pour Jean-Paul Aygalent, directeur de la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Dieccte). « Ces manifestations révèlent un malaise plus grave. Parmi les manifestants, il y a beaucoup de jeunes sans travail et sans perspectives d’avenir. » Le fort taux d’inactivité (seulement 35 000 personnes travaillent sur une population de 200 000) et les différences de salaires entre résidents et expatriés cristallisent également les frustrations dans une île où l’allocation chômage est absente et où le RSA, prévu pour le 1er janvier 2012, ne représentera qu’un quart du montant en vigueur dans l’Hexagone. Le malaise social est profond et la détermination des manifestants à obtenir satisfaction impressionnante. En attendant, 
Mayotte s’apprête à rester île morte une journée de plus.

Le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi, rattaché au groupe PS, appelle mercredi le gouvernement à "ouvrir de véritables négociations" sur la crise sociale à Mayotte, estimant que "la colère des Mahorais et leurs revendications sont tout à fait justifiées". "La situation est telle que des mesures d’urgences doivent être adoptées. Le prix des produits de première nécessité est inacceptable, l’indemnisation des chômeurs quasi inexistante et les retraites misérables", déclare dans un communiqué le sénateur, élu le 25 septembre. Il "appelle les citoyens au calme et enjoint les forces de l’ordre à faire preuve d’une plus grande modération".

Juliette Camuzard


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