50 raisons pour lesquelles Israël devrait reconnaître l’Etat palestinien

jeudi 29 septembre 2011.
 

1) 50 raisons de dire oui à un Etat palestinien Des ONG israéliennes pour la paix tentent de convaincre leurs compatriotes de dire "oui" à la reconnaissance de la Palestine

Initié par une coalition d’ONG israéliennes pour la paix, un manifeste pour le soutien à la reconnaissance de l’Etat de Palestine a été relayé par la presse israélienne et notamment l’éditorialiste Gideon Levy dans "Haaretz". Nous publions ces 50 raisons de dire "oui", des arguments présentés par et pour des Israéliens mais qui interpellent tous les acteurs et observateurs d’un conflit maintenant vieux de 63 ans.

Voici les 50 raisons de dire oui à un Etat palestinien

1. Pour assurer l’identité d’Israël, en tant qu’état juif, sioniste et démocratique, dans l’esprit de sa déclaration d’indépendance.

2. L’instauration d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël respectera la résolution historique de 1947 de deux Etats pour deux peuples.

3. Nous serons présents pour assurer la solidarité et réhabiliter la société israélienne.

4. Sans cela, les relations d’Israël avec l’Egypte, la Turquie, les Etats-Unis, et de fait, le monde entier, continueront de se dégrader.

5. L’instauration d’un Etat palestinien ouvrira la voie à une reconnaissance d’Israël par l’ensemble du monde arabe, et à la mise en œuvre de l’engagement des 22 états membres de la Ligue Arabe de normaliser leurs relations avec Israël.

6. Parce que la justice sociale ne s’arrête pas à la Ligne verte [ligne de démarcation datant de l’armistice de 1949 : ndlr]

7. Cela permettra des négociations sérieuses et équitables entre deux Etats, plutôt qu’entre un Etat et une autorité.

8. Jérusalem sera reconnue sur le plan international comme la capitale d’Israël et les ambassades étrangères y reviendront.

9. L’instauration d’un Etat palestinien mettra fin à l’occupation qui nous corrompt et affaiblit Israël.

10. Nous devrions prendre conscience que nous ne pouvons pas vivre plus longtemps dans un monde qui peut tolérer l’injustice, et que chaque peuple a droit à la liberté et à l’auto-détermination.

11. La création d’un Etat palestinien améliorera nettement les relations entre Juifs et Arabes en Israël, permettant d’engager les processus qui amèneront l’égalité entre les deux peuples à l’intérieur du pays.

12. La sécurité d’Israël et de l’Etat palestinien sont interdépendantes.

13. Cela posera des principes clairs concernant les caractéristiques de la frontière, principes qui ouvriront la voie à des négociations effectives.

14. L’établissement d’un Etat palestinien reconnu fera taire ceux qui se servent des Palestiniens comme prétexte pour nous boycotter et nous déclarer la guerre.

15. Ainsi, Israël pourra fixer ses frontières comme n’importe quel autre Etat.

16. Si nous n’acceptons pas un Etat palestinien nous nous retrouverons avec un Etat bi-national et perdrons le rêve sioniste.

17. Un Etat national palestinien résoudra le problème des réfugiés en son sein

18. Cela apportera une fin à la proposition fantaisiste d’un pays pour deux nations entre la Méditerranée et le Jourdain

19. A Tel Aviv, Ramallah, au Caire et à Damas, une génération jeune, laïque et férue de technologies grandit avec la foi dans sa capacité d’agir sur les changements et méprise les peurs créées par les gouvernements.

20. Alors Israël n’aura pas à réoccuper la zone A [la Cisjordanie est divisée en trois zones – A,B et C : ndlr] et n’aura donc pas à assumer financièrement quatre millions de Palestiniens de Cisjordanie et Gaza.

21. Seul un Etat palestinien peut nous prévenir de devenir le prochain Etat d’apartheid.

22. C’est la seule option pratique pour les Israéliens de vivre en paix au Moyen-Orient.

23. Sans cela, nous aurons à assurer la sécurité sans coopération possible avec les forces de sécurité palestiniennes qui participent aujourd’hui à la lutte contre le terrorisme.

24. Sans cela, Israël devra garantir les droits civils des Israéliens aux Palestiniens dans les territoires et au bout du compte, également le droit de vote à la Knesset.

25. Le prix d’une non-résolution du conflit est plus élevé que le prix d’un accord conclu aujourd’hui.

26. Etablir un Etat palestinien est un acte de justice. Les Palestiniens sont un peuple et méritent un Etat.

27. Ainsi, Israël ne sera pas le dernier pays à reconnaître la Palestine.

28. C’est la voie pour empêcher les extrémismes juifs et palestiniens d’aggraver la situation.

29. Un Etat palestinien, au côté d’Israël, servira ses citoyens et autorisera l’autodétermination des Palestiniens et la fierté nationale.

30. Celui qui se soucie de la qualité de vie de nos enfants a un intérêt à stopper la souffrance de ses voisins et à leurs permettre de prendre leur destin en main.

31. La solution de deux Etats est soutenue à la fois par les Israéliens et les Palestiniens dans toutes les enquêtes de ces dernières années.

32. Cela va créer de grandes opportunités économiques pour les Israéliens et tout le Moyen-Orient opportunités qui n’existent pas aujourd’hui en raison du conflit.

33. La pollution des eaux souterraines de la Cisjordanie nuit à la santé des Israéliens et des Palestiniens. Un Etat palestinien indépendant s’attaquera à ce problème car ce sera dans son intérêt.

34. Seul un Etat palestinien permettra un processus historique de réconciliation entre les peuples.

35. Cela éliminera la peur de la guerre et les deuils dans nos familles qui paient le prix de la guerre en cours.

36. Une solution à deux Etats dénoncera la vision palestinienne d’un seul Etat.

37. L’établissement d’un Etat palestinien amènera la fin du conflit et de toutes les réclamations contre Israël.

38. Un Etat palestinien indépendant coopérera avec Israël à la bonne gestion de l’aquifère de montagne, source conjointe d’eau des deux pays.

39. Israël est le seul obstacle entre les Palestiniens et l’indépendance.

40. Si le Sud-Soudan peut avoir un Etat, pourquoi pas la Palestine ?

41. Cela redonnera à nos voisins palestiniens leur dignité.

42. Parce que vous ne pouvez pas demander des droits pour les Israéliens et ne pas reconnaître le droit des Palestiniens à avoir un Etat.

43. C’est la voie pour prouver qu’il n’y a aucune part de vérité chez ceux qui affirment qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix dans l’autre camp.

44. L’alternative –une sorte de Yougoslavie israélo-palestinienne– et plus effrayante et signifie la destruction de l’Israël sioniste, économiquement et moralement.

45. Le futur tel que nous le voyons est entre nos mains.

46. Nous vivrons finalement dans un pays à la moral démocratique qui respecte ses minorités et leur octroie les mêmes droits.

47. Si les médias vous racontaient la vérité concernant le conflit dans une version complète et équilibrée, vous diriez "oui".

48. Parce qu’une situation d’occupation militaire et d’Etat colonisateur ne peut se poursuivre à jamais, et n’est pas en corrélation avec les valeurs universelles humanistes juives.

49. C’est maintenant ou jamais, et toute autre alternative serait bien pire.

50. Parce que c’est la seule solution viable, et vous le savez bien.

Céline Lussato - Le Nouvel Observateur

2) Entretien à Tel-Aviv avec Yael Patir, qui dirige la campagne en faveur du soutien israélien pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. ...

En Israël comme dans les territoires palestiniens occupés, la décision divise et demeure l’objet de débats intenses. Une campagne à destination de l’opinion publique israélienne énumère 50 raisons pour lesquelles Israël devrait soutenir la reconnaissance d’un Etat palestinien.

Depuis Tel-Aviv, Yael Patir, âgée de 31 ans, dirige cette campagne. Plus précisément, elle est aujourd’hui la coordinatrice israélienne du Forum des ONG israélo-palestiniennes pour la paix, un réseau de plus de 100 organisations qui rassemble une grande partie des ONG des deux bords œuvrant en collaboration pour la paix. Une équipe de Ramallah coordonne également le Forum du côté palestinien.

Pourquoi une telle campagne, alors que le gouvernement israélien et l’administration américaine ont tout fait pour dissuader les Palestiniens de se rendre à l’ONU ? L’occasion de Camp David en 2000, la guerre de Gaza, le blocus, mais aussi le boycott des produits israéliens via la campagne BDS, les tensions avec l’Egypte... En 2011, la question des deux Etats est l’occasion d’aborder tous ces problèmes, qui constituent aujourd’hui le cœur du conflit.

Entretien

Yael Patir, vous travaillez actuellement à la mise en place d’une campagne « 50 raisons pour Israël de reconnaître l’Etat palestinien à l’ONU ». De quoi s’agit-il ?

La base commune du Forum des ONG est la solution à deux Etats, basée sur les frontières de 1967, les deux capitales à Jérusalem. Nous concevons notre réalité comme totalement interdépendante. Ce qui se passe du côté palestinien a des conséquences en Israël, et inversement. Il est donc important de se coordonner et de travailler en partenariat, de conserver un dialogue, même si une guerre à Gaza est en cours, et, outre l’enlèvement d’un soldat israélien, de toujours garder des canaux ouverts entre nous.

Aujourd’hui, en Israël, il y a une campagne de peur, mise en place par le gouvernement israélien, depuis le premier jour où les Palestiniens ont annoncé leur intention de se rendre à l’ONU, et dont le message est d’expliquer que s’agit d’une menace pour Israël, qui ne pourra générer qu’une escalade, que les Palestiniens se rassembleront aux frontières, qu’un tsunami politique est en cours. Toutes ces expressions utilisées par les hommes politiques israéliens ont pour but de générer la peur.

Depuis le début, nous disons au contraire : « Pourquoi Israël n’accepte-t-il pas l’Etat palestinien ? » Notre premier ministre clame qu’il soutient la solution à deux Etats, pourquoi ne pas dire dès le début : « Nous félicitons les Palestiniens pour tout leur travail en faveur de leur propre indépendance, sous la forme de la solution à deux Etats, et nous sommes prêts aux négociations. » D’ailleurs, je pense que si Nétanyahou avait tenu ce discours, les Palestiniens ne seraient pas allés à l’ONU.

La situation, aujourd’hui, c’est une impasse. Et nous devons en sortir. Ce que la campagne que nous menons exprime, c’est : « 1) Nous soutenons l’établissement d’un Etat palestinien. 2) Nous voulons réduire la peur au sein de l’opinion israélienne, car la peur peut créer les conditions de la violence. 3) Encourager toute activité sur le terrain en faveur de la paix, et qui ne soit pas violente. »

Cette campagne, à destination du public israélien, nous l’avons arrêtée à 50 points, parce qu’il nous semblait que c’était un bon chiffre. Nous l’avons lancée via les réseaux sociaux, notre base de contacts, et nous préparons plusieurs « happenings » et événements médiatiques pour la promouvoir, pour l’heure jusqu’à mi-octobre.

Une partie de votre argumentaire vise le mouvement social actuellement en cours

L’idée est de dire qu’il n’y a aucune raison que la justice sociale s’arrête à la ligne verte. Une autre façon d’exprimer cela, c’est de souligner qu’une fois le conflit réglé, il sera bien plus facile d’aborder les problèmes sociaux en Israël et d’y remédier. Il sera aussi plus facile de s’occuper des inégalités en Israël même entre Juifs et Arabes.

Pourquoi considérez-vous la période qui court de 1991, avec la conférence de Madrid, jusqu’à aujourd’hui comme un « semblant de processus de paix » ?

Il y a eu un processus de paix, mais qui n’a pas été appliqué sur le terrain. Tout fut, et demeure, une question de volonté politique. Et je ne crois pas que jusqu’à aujourd’hui, nous ayons eu un leader israélien qui ait été réellement convaincu de l’urgence de faire la paix. Et les rares moments où cela aurait pu être le cas, sous Barak, Rabin, qui fut assassiné, ou Olmert, la tragédie de l’histoire a rendu cela impossible. Ajoutez à cela que les deux parties ne sont jamais « synchronisées ».

Aujourd’hui, les Palestiniens, avec Abou Mazen et Salam Fayyad, sont réellement impliqués dans cette solution à deux Etats. Mais les Palestiniens sont divisés, avec le Hamas à Gaza, et nous avons le gouvernement israélien le plus à droite de l’histoire.

Vous soulevez un point important, car aujourd’hui encore, une majorité d’Israéliens demeurent convaincus que c’est Arafat qui a fait échouer l’accord de Camp David en 2000 sur la question des réfugiés et de Jérusalem, et non Ehoud Barak. Ce qui conforte la version du gouvernement de Nétanyahou selon laquelle Israël n’aurait pas de partenaire pour négocier la paix.

J’ai rédigé un texte là-dessus, sur le concept israélien « d’absence de partenaire pour la paix », et du mal qu’il continue de faire. Les Israéliens se disent encore à propos de Camp David : « Nous voulions la paix, nous offrions le meilleur accord possible, et les Palestiniens n’en ont pas voulu, ce qui prouve qu’ils ne veulent pas la paix. » Barak lui-même, une fois que son plan n’a pas marché comme il le souhaitait, a déclaré qu’Arafat cherchait à reconquérir l’ensemble de la Palestine et à détruire Israël.

Barak a donc été le premier contributeur à cette idée qu’il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix, ce qui n’est pas vrai. Arafat fut extrêmement courageux. Il fut le premier dirigeant arabe à avoir accepté Israël, et le premier à avoir normalisé ses relations avec Israël. Simplement, il ne voulait pas se soumettre au plan de Barak.

On ne peut pas dire que, depuis vingt ans, Israéliens et Palestiniens veulent une solution à deux Etats, et que cette solution n’arrive pas à cause d’un problème au niveau des dirigeants. Mais, de mon point de vue, ce sont les dirigeants qui créent la réalité politique.

Outre l’impasse des négociations telles qu’elles ont pu avoir lieu jusqu’ici, beaucoup de Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza, mais aussi en Israël, expliquent que ce qui leur importe aujourd’hui, ce n’est pas tellement le fait d’avoir un Etat sur le papier, que de pouvoir enfin avoir le contrôle de leur propre réserve d’eau, de pouvoir circuler comme ils l’entendent, de disposer des mêmes moyens égaux au niveau des municipalités israéliennes, de voir la fin du siège de Gaza, et tant d’autre problèmes. Pourquoi concentrer votre énergie et votre campagne sur cette question de l’Etat palestinien ?

Bien sûr, les Palestiniens savent bien que même si l’Etat est reconnu à l’ONU, les colonies ne seront pas automatiquement démantelées, et que l’occupation ne prendra pas fin. Ils sont donc sceptiques vis-à-vis de cette initiative, et ils ont raison de l’être. Deux choses cependant : de mon point de vue israélien, je soutiens la solution à deux Etats. Le futur d’Israël n’existe que par la voix de cette solution à deux Etats. Et au vu de la situation politique des deux parties, l’initiative palestinienne donnera du souffle à cette solution. Elle génère un soutien international, et une plateforme via laquelle nous pourrons davantage mettre de pression sur les dirigeants palestiniens et israéliens pour qu’ils aillent aux négociations et aboutissent à un accord.

J’ai par ailleurs peur que si rien n’advient sur ce front onusien, les colonies continuent de s’étendre, que le même gouvernement israélien continue de diriger les affaires de l’Etat, que la Knesset continue d’introduire des lois antidémocratiques.

L’initiative devant l’ONU est porteuse d’espoir, et nous en avons besoin. Si cette initiative ne change rien, et je comprends qu’une partie des Palestiniens le pensent, qu’est-ce qui pourra le faire ? Que proposez-vous ? D’agir violemment ? De demeurer sans rien faire ? C’est une chose de critiquer, une autre de constater les effets négatifs d’une absence d’initiative.

Une autre manière de présenter les choses, c’est de mettre en question l’initiative à l’ONU qui, selon le président Abbas, constitue un prélude au retour à la table des négociations, et le lien entre ces négociations et le développement considérable de la colonisation en Cisjordanie ces trois dernières années. Pourquoi, puisque vous vous adressez à l’opinion publique israélienne, ne pas mettre l’accent directement sur la colonisation de la Cisjordanie ?

Encore une fois, il est évident qu’il n’y a aucun lien pratique entre l’initiative à l’ONU et le retrait des colonies, je le reconnais. Par ailleurs, d’un point de vue personnel, je pense qu’il est temps pour la communauté internationale de mettre davantage de pression sur Israël pour qu’il se retire des colonies. Mais d’une manière intelligente, car la colonisation s’est toujours poursuivie, sous la gauche, la droite, pendant les périodes de négociation et en dehors. Ce n’est pas nouveau. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui on braque l’attention dessus.

Nous, Israéliens et Palestiniens, nous savons depuis toujours que pendant que tout le monde se congratule à la table des négociations, la colonisation se poursuit, et que les routes palestiniennes sont détruites ou barrées pour construire de nouvelles routes pour les colons, pour qu’ils soient prétendument en sécurité. Ce qui se passe depuis deux ans, c’est que le monde ouvre un peu les yeux, et qu’il est devenu plus légitime, dans le langage politiquement correct de la communauté internationale, de critiquer Israël. Notamment du fait de la présence de Nétanyahou et Liberman au gouvernement. Eux, ce sont officiellement des méchants, des épouvantails. Du coup, la question de la colonisation a émergé, et c’est une excellente chose pour le processus de paix.

Il faut dire aussi une chose : il y a plus de 50 raisons d’être pessimiste, de penser que la solution des deux Etats est impossible. Mais ce n’est pas mon affaire. Pour l’heure, je n’ai pas renoncé. Et je sais une chose : les Israéliens sont toujours obsédés par l’idée de l’Etat juif. Même si quelque chose va changer, que nous ne pouvons pas continuer avec cet Etat et cette sorte de régime d’apartheid qu’il cultive en son sein, je ne les vois pas renoncer à l’Etat juif dans les 50 ans qui viennent, pas plus que la diaspora. Il faut donc un Etat palestinien.

« Il arrivera peut-être un moment où je vous dirai : va pour le boycott, nous n’avons plus d’option »

Pourquoi en appeler à la communauté internationale, quand la question du retrait des colonies, du moins du gel de la colonisation, dépend uniquement de la volonté politique, comme vous le souligniez précédemment, du gouvernement israélien ?

C’est vrai, mais vous savez, quand les Israéliens se sentent isolés, ils comprennent les choses. Quand ils ressentent la pression, qu’ils voient que cela affecte leurs commerces, leurs relations économiques, ils comprennent davantage les choses. C’est pour cela que l’engagement et la pression internationale ont un effet considérable sur l’opinion publique israélienne. Elle peut avoir un effet négatif, en gonflant l’orgueil national et le sentiment d’être rejeté par tous. Mais en fin de compte, les Israéliens veulent être acceptés, et aimés, par le reste du monde. Nous sommes un petit pays, dans un environnement pas toujours amical, et la manière dont les Israéliens perçoivent le monde a un effet réel sur la manière dont ils votent.

Par pression internationale, vous incluez la question du boycott ?

La question du boycott est problématique, car elle attise la peur des Israéliens de voir leur Etat menacé dans sa permanence, et l’idée qu’en fin de compte, « c’est nous contre eux ». Mais il arrivera peut-être un moment où je vous dirai : va pour le boycott, car nous n’avons plus d’autre option. Mais je ne crois pas que nous y sommes.

La guerre de 2008-2009 contre Gaza, qui a fait plus de 700 victimes civiles, soutenue par une large majorité d’Israéliens, l’affaire de la flottille, l’impasse des négociations, l’accélération de la colonisation en Cisjordanie et le blocus de Gaza... Quelle étape supplémentaire pourrait vous mener à perdre espoir dans la perspective d’une solution négociée, et à adopter cette idée du boycott ?

C’est l’une des questions les plus difficiles. Sur la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions, lancée en 2005), je m’interroge tous les jours, du point de vue de quelqu’un proche du terrain, en contact avec la société palestinienne. Je vis réellement un processus, moi, l’Israélienne de Tel-Aviv. Parfois, vous souhaitez quelque chose de plus radical, vous avez envie de vous dresser au milieu de la place et de crier aux passants : « Ne voyez-vous pas tout le mal que nous faisons ? Ne voyez-vous pas que nous tournons notre foi et nos espoirs dans la mauvaise direction ? Ne voyez-vous pas que vous avez trop peur pour voir les choses comme elles sont ! », et tout ce genre de choses.

La guerre de Gaza fut ma première expérience de dépression. C’était horrible. Je ne pouvais pas rester à la maison, j’avais besoin de voir qu’il existait encore des gens qui pensaient comme moi. Je recevais des appels de personnes avec lesquelles nous travaillons à Gaza, j’entendais les bombes tomber, et eux me dire « aidez-nous... ». C’était vraiment horrible.

Le boycott, oui, j’y pense. Mais je m’interroge sur ce qui serait plus efficace. Pas d’un point de vue moral, à savoir est-ce que le boycott serait moral ou pas... La campagne BDS est une manière concrète de changer cette réalité. C’est en ces termes, concrets, que j’essaie de réfléchir. Et je crois que le sentiment de peur des Israéliens peut être compréhensible, et qu’il faut encore envisager les choses avec une carotte et un bâton.

Peur des roquettes lancées depuis Gaza ?

Les roquettes, mais aussi des Egyptiens partant à la conquête d’Israël, des Libanais franchissant la frontière et nous tirant dessus. Ces peurs sont présentes aujourd’hui. Du point de vue israélien, la guerre du Liban en 2006 se présente ainsi : « Quelle erreur avons-nous commise ? Deux de nos soldats avaient été enlevés, les Libanais envoyaient des roquettes sur nos maisons à Haïfa... Qu’est-ce que vous attendiez de nous ? Que veulent-ils, ces Libanais ? Nous ne les occupons pas... »

Je crois aussi que les Israéliens ne comprennent pas les relations au sein du monde arabe. Ils ne comprennent pas que les Egyptiens du Caire soient vraiment révoltés par le sort des Palestiniens, que cela compte vraiment pour eux. Les Israéliens perçoivent donc les sentiments égyptiens comme de la haine et de l’antisémitisme. Ils ne comprennent pas que les Egyptiens soient révoltés par le fait que le volet palestinien de l’accord de paix qu’ils ont signé avec Israël n’ait jamais été appliqué, et qu’ils soient par conséquent en colère contre cet accord de paix.

De fait, un large spectre de la classe politique israélienne, de Liberman au parti travailliste, évoque les révolutions arabes comme autant de menaces pour Israël, tout en se réclamant des valeurs démocratiques. N’est-ce pas pour le moins paradoxal ?

Tout est une question d’attitude. Je crois qu’Israël doit faire de son mieux pour s’intégrer dans la région. Dire « c’est la région qui ne veut pas de nous », ce n’est pas acceptable. Si Israël est vraiment un pays de paix, la paix et la sécurité devraient toujours être placées au même niveau. Aujourd’hui, la sécurité est très loin au-dessus de la paix dans nos priorités.

L’autre chose, c’est que j’échange beaucoup avec des citoyens des pays arabes, des Palestiniens, mais pas seulement. Et je suis complètement étourdie et surprise par la manière dont ils voient les choses, par la manière très ouverte dont ils me perçoivent.

Avant de rencontrer des Egyptiens, je ne comprenais qu’ils se sentaient trompés par Israël. Et avant de travailler avec des individus du monde arabe, je ne comprenais pas l’importance de l’enjeu de la normalisation avec Israël. Je ne comprenais pas le problème qu’ils avaient pour me parler, me rencontrer. Je me disais : « Mais enfin, nous sommes des êtres humains ! » Je ne comprenais pas une chose essentielle : la ligue arabe n’a aucun pouvoir, et la seule carte des pays arabes face à Israël, c’est la normalisation. Ils ne sont pas assez forts du point de vue militaire, du moins tant que nous avons l’appui des Etats-Unis, et que, du point économique, nous ne dépendions pas du monde arabe.

Une fois que vous avez compris cela, vous comprenez qu’il ne s’agit pas de haine, ou d’antisémitisme, ou de rejeter tous les Juifs à la mer. Mais ils veulent que le conflit ait une fin, et ils n’ont que l’arme de la normalisation pour cela. Je pense qu’en Israël, la plupart des gens ne sont pas conscients de cela.

Revenons-en à cette question d’intégration régionale : les Israéliens de ma génération ont grandi avec un sentiment d’isolement. Nous vivons dans ce quartier, mais nous n’y sommes pas acceptés. Nous regardons constamment au-delà de la mer, vers l’Europe, vers les Etats-Unis.

Prenons nos programmes scolaires : nous n’étudions pas l’histoire ou la philosophie du Moyen-Orient, mais celles de l’Europe et des Etats-Unis. Nous n’avons pas le sens d’où nous nous trouvons. Et quand les gens d’ici se préparent à devenir des hommes d’affaires, ils n’examinent pas les opportunités au sein de la région, des 80 millions d’Egyptiens qui peuvent constituer un marché considérable.

C’est une des choses auxquelles nous travaillons à travers nos programmes à destination des jeunes Israéliens, d’essayer d’ouvrir leurs perspectives. Et pour les Palestiniens qui y assistent, c’est peut être aussi une manière de mieux comprendre le point de vue israélien. Et notamment, cette question de « l’Etat juif », extrêmement importante aux yeux des Israéliens.

Ces programmes d’échanges entre Israéliens et Palestiniens, en quoi consistent-ils ?

J’ai un partenaire palestinien, nous sélectionnons chaque année dix jeunes militants israéliens et palestiniens, entre 20 et 30 ans, ceux dont nous présumons qu’ils feront leur chemin – d’une certaine manière ce sont les futurs dirigeants de nos pays –, et nous essayons ensuite de les associer dans ce programme, ce qui n’est pas toujours facile.

Puis, pendant dix mois, ils se rencontrent chaque mois, engagent un dialogue sur des sujets spécifiques, et en général, en présence d’une importante personnalité politique, palestinienne ou israélienne. Les Palestiniens iront à Tel-Aviv, les Israéliens en Cisjordanie. Ils ont aussi un séminaire au parlement européen. La seconde partie du programme est une formation pour jeunes dirigeants, en matière d’interviews ou de négociations.

En août 2011, vous avez mené l’un de ces groupes à la rencontre du premier ministre palestinien, Salam Fayyad, à Ramallah.

Oui, et j’ai dû littéralement les tirer de dessous leurs tentes ! Ils étaient très impliqués dans le mouvement social en Israël. L’idée, c’était de les emmener à Ramallah, qu’ils découvrent l’atmosphère, qu’ils voient qu’il y avait une vie normale, si l’on peut dire, de l’autre côté.

Lors de la rencontre, Salam Fayyad a fait part de son point de vue, et eux ont posé des questions. Il leur a fait un exposé sur les problèmes palestiniens internes, le Hamas, le problème du soutien de la population pour un gouvernement, comme le sien, qui n’est pas élu, la légitimité des dirigeants, et les problèmes de vie quotidienne des Palestiniens. Eux lui ont posé des questions, du type : « Pourquoi ne reconnaissez-vous l’Etat juif ? Pourquoi exigez-vous des conditions pour retourner à la table des négociations ? »

Et qu’en est-il ressorti ?

Le principal retour que j’ai eu, et j’ai trouvé cela assez fort, c’est que ces jeunes, qui ont fait un effort pour venir, compte tenu de leur engagement important dans le mouvement social, m’ont confié avec trouvé de l’espoir à Ramallah.

N’est-ce pas une vision une peu tronquée que vous leur proposez ? Tout le monde aujourd’hui en Cisjordanie s’accorde pour dire que Ramallah est une bulle, comme on disait auparavant que Tel-Aviv constituait une bulle au sein d’Israël

Bien sûr, la qualité de vie n’est pas la même à Ramallah qu’ailleurs en Cisjordanie. Mais cela permet déjà de leur montrer que, contrairement à ce que certains disent, tout en dehors d’Israël ne se résume pas au désert et aux chameaux. Il y a des gratte-ciel à Ramallah, et les gens ne se tirent pas dessus toute la journée. Les Israéliens, avant de s’y rendre, pensent que tout n’y est que désordre. Si j’en avais la possibilité, je les emmènerais aussi à Naplouse.

Et ils rencontrent aussi des militants de la société civile palestinienne, très critiques à l’égard de Fayyad, sur le fait que l’économie palestinienne est totalement dépendante du soutien international, etc. Il leur est donc donné à voir une vision complexe des choses. Je ne leur vends rien, je leur offre des opportunités pour comprendre, par eux-mêmes, ce qui se passe.

PAR PIERRE PUCHOT


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