Primaires socialistes : une réussite à analyser (article du 10 octobre 2011)

dimanche 16 octobre 2011.
 

1) Une forte affluence

Je voudrais commencer par une anecdote personnelle concernant des communes de moyenne montagne du Nord Aveyron dans lesquelles la gauche est presque en terre de mission (en 1994, l’extrême droite y avait obtenu plus de voix que toute la gauche, l’extrême gauche et les écologistes).

Vers dix heures du matin ce 9 octobre, je sors pour acheter du pain.

Je croise aussitôt un couple venu d’une commune éloignée (enviton 1h30 aller retour) ; habillés du dimanche, ils viennent de voter ; nous parlons peu car le mari, passionné de chasse, a manqué l’ouverture ce matin pour la première fois depuis des dizaines d’années et veut au moins rejoindre ses copains pour le repas.

Dix mètres plus loin, je rencontre une famille amie, ouvriers de tradition plutôt marquée à l’extrême gauche. "On a voté le plus à gauche ; c’est toujours ça de pris".

Sur la place, un paysan très âgé de la maison de retraite (dont je n’ai jamais connu les préférences politiques) vient vers moi, tout sourire ; il vient de voter ; il est content de l’affluence... J’écoute attentivement mais ne lui fais pas part de mon point de vue.

Devant la boulangerie, une dame d’une soixantaine d’années, inconnue, m’interpelle de sa voiture, "Vous pouvez m’indiquer où on vote - Oui - Je me gare et j’arrive". Surprenant ! Plus de deux heures de voiture pour participer à ces primaires de la part d’une dame de milieu rural à l’accent fortement occitan " Vous comprenez ! Dans l’état où est la France... et le monde ... il faut bien faire quelque chose."

Lorsque les premières estimations nationales ont confirmé une forte participation, je n’étais pas étonné.

Cette affluence dans des bureaux de vote souvent inhabituels pour les électeurs s’expliquent, me semble-t-il par trois souhaits des citoyens :

- une volonté de jeter Nicolas Sarkozy hors de l’Elysée. Marie-George Buffet a raison de déceler « la volonté de chasser du pouvoir Nicolas Sarkozy et la bande du Fouquet’s ».

- un souhait de participation réelle à la vie politique. « Cette participation est le signe que les Français ont envie du débat, mais elle n’est en aucun cas un blanc-seing pour le Parti socialiste », affirme à juste titre Eva Joly.

- une mobilisation d’une partie significative de la gauche pour que celle-ci gouverne le pays à partir de mai 2012.

2) Quelques résultats

A l’heure où j’écris ces lignes, sur 2 211 835 votants, ont obtenu :

- Arnaud Montebourg : 368 106 voix (17%)

- Martine Aubry : 673 571 voix (31%)

- Jean-Michel Baylet : 14532 voix (1%)

- Manuel Valls : 125631 voix (6%)

- François Hollande : 859 383 voix (39%)

- Ségolène Royal : 150 142 voix (7%)

- Blancs ou nuls : 20470

- 01 Ain : François Hollande 35%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 24%

- 06 Alpes Maritimes (Nice) François Hollande 39%, Martine Aubry 27%, Arnaud Montebourg 20%

- 09 Ariège : François Hollande 46%, Martine Aubry 24%, Arnaud Montebourg 17%

- 11 Aude (Carcassonne) François Hollande 51%, Martine Aubry 17%, Arnaud Montebourg 16%

- 12 Aveyron : François Hollande 44%, Martine Aubry 26%, Arnaud Montebourg 18%

- 13 Bouches du Rhône François Hollande 36%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 21%

- 14 Calvados (Caen) François Hollande 37%, Martine Aubry 35%, Arnaud Montebourg 16%

- 16 Charente François Hollande 44%, Martine Aubry 21%, Arnaud Montebourg 15%

- 17 Charente Maritime François Hollande 40%, Martine Aubry 21%, Arnaud Montebourg 17%

- 21 Côte d’Or (Dijon) François Hollande 41%, Martine Aubry 22%, Arnaud Montebourg 25%

- 22 Côtes d’Armor : François Hollande 44%, Martine Aubry 30%, Arnaud Montebourg 16%

- 24 Dordogne : François Hollande 42%, Martine Aubry 22%, Arnaud Montebourg 18%

- 25 Doubs (Besançon) François Hollande 41%, Martine Aubry 28%, Arnaud Montebourg 20%

- 26 Drôme François Hollande 37%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 21%

- 29 Finistère François Hollande 43%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 15%

- 30 Gard (Nîmes) François Hollande 40%, Martine Aubry 24%, Arnaud Montebourg 20%

- 31 Haute Garonne (Toulouse) François Hollande 39%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 18%

- 32 Gers : François Hollande 39%, Martine Aubry29%, Arnaud Montebourg 18%

- 33 Gironde (Bordeaux) François Hollande 41%, Martine Aubry 28%, Arnaud Montebourg 18%

- 34 Hérault (Montpellier) François Hollande 40%, Martine Aubry 25%, Arnaud Montebourg 19%

- 35 Ille et Vilaine (Rennes) François Hollande 38%, Martine Aubry 34%, Arnaud Montebourg 17%

- 38 Isère (Grenoble) François Hollande 36%, Martine Aubry 34%, Arnaud Montebourg 19%

- 39 Haute Marne : François Hollande 39%, Martine Aubry 31%, Arnaud Montebourg 18%

- 40 Landes François Hollande 39%, Martine Aubry 33%, Arnaud Montebourg 16%

- 42 Loire (Saint Etienne) François Hollande 38%, Martine Aubry 30%, Arnaud Montebourg 21%

- 44 Loire Atlantique (Nantes) François Hollande 41%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 16%

- 45 Loiret (Orléans) François Hollande 40%, Martine Aubry 30%, Arnaud Montebourg 17%

- 46 Lot : François Hollande 47%, Martine Aubry 20%, Arnaud Montebourg 21%

- 47 Lot et Garonne François Hollande 45%, Martine Aubry 23%, Arnaud Montebourg 18%

- 50 Manche François Hollande 42%, Martine Aubry 31%, Arnaud Montebourg 18%

- 53 Mayenne François Hollande 41%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 15%

- 54 Meurthe et Moselle François Hollande 41%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 15%

- 56 Morbihan François Hollande 44%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 16%

- 57 Moselle François Hollande 45%, Martine Aubry 29%, Arnaud Montebourg 14%

- 59 Nord (Lille) François Hollande 26%, Martine Aubry 55%, Arnaud Montebourg 11%

- 60 Oise François Hollande 38%, Martine Aubry 33%, Arnaud Montebourg 16%

- 62 Pas Calais François Hollande 37%, Martine Aubry 43%, Arnaud Montebourg 9%

- 63 Puy de Dôme (Clermont Ferrand) François Hollande 47%, Martine Aubry 25%, Arnaud Montebourg 18%

- 64 Pyrénées Atlantiques (Pau) François Hollande %, Martine Aubry %, Arnaud Montebourg %

- 65 Hautes Pyrénées : François Hollande 40%, Martine Aubry 27%, Arnaud Montebourg 19%

- 66 Pyrénées Orientales (Perpignan) François Hollande 47%, Martine Aubry 21%, Arnaud Montebourg 18%

- 68 Haut Rhin François Hollande 38%, Martine Aubry 33%, Arnaud Montebourg 18%

- 69 Rhône (Lyon) François Hollande 35%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 20%

- 71 Saône et Loire François Hollande 18%, Martine Aubry 15%, Arnaud Montebourg 65%

- 72 Sarthe François Hollande 43%, Martine Aubry 31%, Arnaud Montebourg 15%

- 75 Paris François Hollande 32%, Martine Aubry 37%, Arnaud Montebourg 16%

- 76 Seine Maritime (Rouen) François Hollande 36%, Martine Aubry 38%, Arnaud Montebourg 15%

- 77 Seine et Marne François Hollande 38%, Martine Aubry 30%, Arnaud Montebourg 17%

- 78 Yvelines François Hollande 37%, Martine Aubry 31%, Arnaud Montebourg 15%

- 81 Tarn : François Hollande 42%, Martine Aubry 26%, Arnaud Montebourg 19%

- 82 Tarn et Garonne François Hollande 36%, Martine Aubry 21%, Arnaud Montebourg 17%

- 83 Var François Hollande 40%, Martine Aubry 25%, Arnaud Montebourg 21%

- 87 Haute Vienne (Limoges) François Hollande 63%, Martine Aubry 14%, Arnaud Montebourg 13%

- 91 Essonne François Hollande 35%, Martine Aubry 31%, Arnaud Montebourg 16%

- 92 Hauts de Seine : François Hollande 35%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 15%

- 93 Seine Saint Denis François Hollande 35%, Martine Aubry 34%, Arnaud Montebourg 17%

- 94 Val de Marne François Hollande 36%, Martine Aubry 33%, Arnaud Montebourg 17%

- 95 Val d’Oise François Hollande 37%, Martine Aubry 32%, Arnaud Montebourg 16%

François Hollande %, Martine Aubry %, Arnaud Montebourg %

3) Quelques remarques sur ces résultats

- Le bilan le plus important me paraît être l’intérêt pour le débat politique à gauche et les perspectives que ce vote révèle dans les profondeurs de la population. Cela confirme le vote pour les sénatoriales. J’avais mis en ligne hier un article intitulé 2011, année révolutionnaire. Le vote des primaires me paraît un indice dans ce sens car ce sont surtout les aspirations des peuples qui font émerger les révolutions.

- Arnaud Montebourg a profité de ce contexte avec de nombreuses voix déjà acquises au Front de Gauche. Son score (17%) révèle le désir de rupture avec les politiques d’accompagnement de la crise d’une fraction importante de l’électorat mobilisé par ces primaires.

- La principale surprise concerne donc ce vote en faveur d’Arnaud Montebourg. Il est évident que la gauche officielle du PS (Hamon, Emmanuelli...) est restée inaudible durant la préparation du premier tour dans son appel à voter Aubry. Montebourg a raflé la mise en avançant des analyses et propositions plus critiques du système en place (troisième indice de politisation vers la gauche après les sénatoriales et la participation aux primaires).

- Que va faire Arnaud Montebourg de ce succès ? Il me surprendrait agréablement s’il prouvait sa capacité sur le long terme à porter des orientations à gauche de la direction du PS plutôt que retomber dans les accords conjoncturels habituels de couloir. Ayant déjà été échaudé par lui plusieurs fois ces dix dernières années : j’en doute.

- L’appartenance à tel ou tel courant des fédérations et sections socialistes n’a pas pesé de façon décisive dans les votes. Les électeurs ont choisi essentiellement à partir des débats télévisés, des sondages, des compte-rendus dans la presse, des avis provenant de leur entourage. Dans les Landes, grosse fédération socialiste dirigée par la gauche du parti, c’est François Hollande qui sort en tête (39%) devant Aubry (33%). Ségolène Royal, par exemple, ne bénéficie guère d’un vote préférentiel dans sa région de Poitou Charente.

Conséquence : les résultats sont proches pour une grande majorité de départements, indépendamment des positionnements partidaires. Parmi les exceptions en faveur de Martine Aubry , notons Paris (37%), le Nord (55%) et le Pas de Calais (43%). Parmi les exceptions en faveur de Montebourg, notons ses 65% en Saône et Loire.

- Notons au passage que les instituts de sondage n’avaient absolument pas prévu l’importance du score d’Arnaud Montebourg et avaient surestimé celui de François Hollande.

- Ségolène Royal s’effondre au delà des prévisions. Elle croyait encore au matin du 9 octobre qu’un vote massif la favoriserait ; en fait, ce résultat confirme le fait qu’en 2007, il y a eu un vote de gauche se portant sur elle mais pas d’élan derrière sa personne.

Ces remarques sur le bilan du premier tour des primaires socialistes ne remettent pas en cause notre critique du principe même des primaires. Comme l’écrit Martine Billard "ceux, qui des étoiles dans les yeux rêvent de les imposer partout et tout le temps, feraient bien de ne pas oublier comment cela s’est terminé en Italie (plus de parti de gauche organisé ayant un réel rapport de force) et comment même une primaire réussie peut déboucher sur une déception profonde (Obama aux USA). De plus ce processus renforce la démocratie d’opinion, la personnalisation de la politique - à défaut de programme très différent, les participants à la compétition en sont réduits à faire valoir leurs mérites personnels – et accentue la présidentialisation de la Vème République que justement nous voulons combattre en appelant à une constituante pour mettre en œuvre une VIème République.

Si les électeurs d’Arnaud Montebourg veulent retrouver lors de l’élection présidentielle en avril-mai prochain un candidat qui porte les propositions les plus fortes qui les avaient attirés comme le contrôle de la finance, la VIème république, une réelle prise en compte des enjeux écologiques, alors ils n’hésiteront pas, ils voteront pour Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche."

Jacques Serieys


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