L’homme selon Marx, pour une anthropologie matérialiste, d’Yvon Quiniou

dimanche 15 novembre 2015.
 

L’homme selon Marx, pour une anthropologie matérialiste, d’Yvon Quiniou. Éditions Kimé, 2011, 16 euros.

Une conception matérialiste de l’Homme

Dans cet ouvrage dense et pédagogique à la fois, le philosophe Yvon Quiniou reprend le fil de l’anthropologie matérialiste de Marx et Engels à l’aune des acquis et questionnements scientifiques contemporains (notamment ceux de la neurobiologie), et en la confrontant à l’apport de Freud. L’une des trames de la réflexion consiste en une critique bienveillante à l’égard de l’important travail mené par Lucien Sève sur ce même terrain, de Marxisme et théorie de la personnalité (1969) à l’Homme  ? paru en 2008.

Partageant avec lui le rejet de tout biologisme, Yvon Quiniou s’en distingue, en revanche, par la conservation d’une certaine idée de « nature humaine ». À partir de sa propre lecture de l’œuvre de Marx, il s’attache à montrer que cette notion, non seulement ne conduit pas à figer l’homme et les rapports humains, mais est même indispensable à la pleine compréhension de leur détermination historique. Pour que l’essence humaine (« ensemble des rapports sociaux », selon l’expression de Marx dans sa 6e thèse sur Feuerbach) ait réellement un contenu déterminé à chaque moment de l’histoire, il faut bien, nous explique en substance le philosophe, admettre l’existence de « potentialités universelles et transhistoriques », inscrites dans le corps de chaque homme.

Toujours susceptibles d’être « actualisées » par les conditions sociales objectives dans lesquelles évoluent les hommes concrets, ces « potentialités » supposent elles-mêmes que le corps soit actif, « doté d’une vie psychique » qui le rende « réceptif » aux influences extérieures. « L’interaction entre le corps et le milieu social » consiste en une « action de part et d’autre, le corps cerveau activant ses propres capacités naturelles ou innées (…) sur la base, mais sur la base seulement, des conditions externes du milieu », précise l’auteur, alors que Lucien Sève, pour sa part, considère le corps comme un simple « support » de la personnalité.

Quel est l’enjeu de toute cette réflexion  ? En attribuant un « poids causal à la biologie en l’homme », Yvon Quiniou affirme une forte volonté de dépassement à la fois des « sociologismes », qui ne voient en l’homme qu’un pur produit de son milieu social, et des tentations, parallèles, de retour au postulat métaphysique du « libre arbitre ». En creux, son effort permet aussi de souligner que toute invocation d’une « nature humaine » pour invalider a priori le projet communiste relève de la manipulation idéologique. Avec Marx, mais aussi Spinoza, il parvient à rendre particulièrement tangible la possibilité d’un dépassement du capitalisme, en ancrant celle-ci dans le « moteur de la conduite des hommes » que constitue « l’intérêt individuel ». S’il se confond souvent, dans la société actuelle, avec l’égoïsme, l’intérêt individuel peut être aussi « attachement à une vie intéressante » et donc, ouvrir sur la « réalisation totale de l’individu », objet, selon l’Idéologie allemande, de la société communiste. Yvon Quiniou nous aide ainsi à prendre conscience du fait que la compréhension de l’Homme est un domaine pleinement politique.

Laurent Etre


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